Guerre contre Al-Hadji-Oumar et ses adhérents

Sources Annales sénégalaises de 1854 à 1885 Edité à Paris en 1885 par Maisonneuse et Leclerc - Extrait page 101 à 160:
Omar (Al Hadji ), marabout Toucouleur (Poular) d'Alwar, près Podor, pèlerin de la Mecque, où il avait passé un certain nombre d'années, avait acquis depuis longtemps, dans les contrées que baigne le Sénégal, une grande réputation de savoir et de sainteté; il était naturellement désigné par l’ opinion publique pour proclamer et commander, au moment venu, une de ces guerres saintes qui, depuis plusieurs siècles, se succèdent dans le Soudan, et le transforment successivement en états musulmans.

Cette guerre sainte pour laquelle, depuis 1848, il se préparait des compagnons dévoués dans ses nombreux taliba (élèves) de Dinguiray, à la frontière nord du Fouta-Djalon, devait naturellement être dirigée contre quelqu'un de ces États restés idolâtres comme le Kaarta, le Ségou, le Cayor, le Baol, le Sine, et le Saloum, etc., mais nos prétentions à la domination du Sénégal, manifestées par un commencement d'exécution lors de la prise de Podor en 1854, devaient bientôt nous mettre aux prises avec ce fanatique.

Lors de l'expédition de Podor, les musulmans du Fouta et même de Saint-Louis, croyaient qu'Al Hadji viendrait s'opposer à nous en appelant tous les croyants aux armes, mais ou bien il n'osa pas, ou bien il n'était pas encore prêt.
Cependant, tout en nous laissant prendre pied dans le Fouta, il proclama presque immédiatement la guerre sainte, réunit une armée, prit Tamba et d'autres provinces du Bambouk et arriva bientôt jusqu'à Farabana et Makhana, se signalant déjà par son audace, par le courage aveugle de ses gens et par des massacres impitoyables, mais proclamant bien haut qu'il ne voulait pas de guerre avec les blancs et osant même envoyer demander au gouverneur Auguste-Léopold Protet, des munitions de guerre, des canons et un officier pour l’ aider à soumettre les idolâtres, demande qui fut rejetée.

A la fin de novembre 1854, en présence d'une armée du Fouta-Djalon, du Bondou et du Fouta sénégalais, qu'on faisait monter à 12.000 hommes et qui était à Farabana avec Al Hadji, c'est-à-dire à une vingtaine de lieues de Bakel, armée exaltée par ses récents succès, qui envoyait des détachements faire la loi à Bakel même, et voulait imposer des conditions au commandant du poste, il fallut prendre des précautions pour être prêt à toute éventualité. M. Bargone, sous-lieutenant d'infanterie de marine, venait d'être nommé commandant du poste : la garnison fut renforcée de 25 hommes et d'un chirurgien, les approvisionnements doublés ; sous la direction du capitaine du génie Faidherbe, l'enceinte fut réparée, les pièces d'artillerie mises en état ; une redoute fut construite sur le mont aux Singes pour couvrir Guidimpalé, quartier des traitants français et ceux-ci et leurs gens furent organisés en milice : ces dispositions ôtèrent à Al Hadji toute envie d'inquiéter Bakel pour le moment.

M. Girardot, habitant du Sénégal, commandait alors Sénoudébou, et Al Hadji lui envoya son fils pendant quelque temps comme gage de bonne amitié et peut-être comme espion. Sénoudébou était le lieu de passage de bandes considérables de Toucouleur du Fouta qui partaient pour la guerre sainte et se rendaient dans le Bambouk, où s'organisait l’ armée qui devait exterminer les infidèles quels qu'ils fussent.

Le prophète ayant traversé le Sénégal et envahi le Kaarta à la fin de 1854, laissa derrière lui les populations du Fouta, du Bondou, du Guoy fanatisées et soulevées par ses émissaires et disposées à tout entreprendre et son premier ordre. Il ne tarda pas beaucoup à jeter le masque à notre égard.

Dès les premiers mois de 1855, quand il vit que ses affaires allaient bien dans le Kaarta, il fit piller tous nos traitants du haut Sénégal, qui malgré les conseils de l’ autorité, n'avaient pas rallié Bakel ou Sénoudébou : 22 villages du Khasso, du Kaméra, du Guoy, des Guidimakha et du Damga prirent part à ces pillages.
C'est alors aussi qu'il adressa aux gens de Saint-Louis une lettre par laquelle il cherchait à séparer leur cause de la nôtre et de les entraîner dans son parti; et, de fait, il avait beaucoup de chauds partisans dans Saint-Louis même ; il terminait ainsi cette épître adroite et perfide:

« Maintenant je me sers de la force, et je ne cesserai que lorsque la paix me sera demandée par votre tyran (le gouverneur) qui devra se soumettre à moi, suivant ces paroles de notre maître : Fais la guerre aux gens qui ne croient ni en Dieu, ni au jugement dernier ou qui ne se conforment pas aux ordres de Dieu et de son prophète, au sujet des choses défendues, ou qui ayant reçu une révélation, ne suivent pas la vraie religion; jusqu'à ce qu'ils payent la Djézia, (tribut religieux) par la force et qu'ils soient humiliés.
Quant à vous, enfants de Ndar (Saint-Louis), Dieu vous défend de vous réunir à eux; il vous a déclaré que celui qui se réunira à eux, est un infidèle comme eux, en disant : Vous ne vivrez pas pêle-mêle avec les juifs et les chrétiens : celui qui le fera est lui-même un juif ou un chrétien. Salut! »

Il envoyait en même temps l'ordre au Guoy, au Bondou et au Fouta de nous bloquer dans Bakel et dans Podor.

Carte - Cours du fleuve Sénégal en 1889

Cours du fleuve Sénégal en 1889

Carte - Cours du fleuve Sénégal en 1889 de Khayes à Bafoulabé

Carte - Cours du fleuve Sénégal en 1889 de Khayes à Bafoulabé

Le nouveau gouverneur Louis Faidherbe, commandant du génie Faidherbe, allait donc avoir une guerre sainte sur les bras, en même temps que la guerre avec les Maures.

Les nouveaux ennemis que nous allions avoir à combattre étaient les plus redoutables de tous. Les guerres de religion sont impitoyables et le fanatisme inspire un courage qui ne recule devant rien puisque, pour ceux qui en sont animés la mort elle-même est regardée comme un bien.

Les gens d'Al Hadji étaient en grande partie, comme nous l’ avons déjà dit, des Toucouleur et des Pouls du Fouta-Djalon, du Bondou, du Damga, du Fouta sénégalais, du Toro et du Dimar; il y avait aussi des Sarakhollés du Gadiaga et des Guidimakha et, plus tard, des Bambara du Kaarta et des Khassonké.

En mars 1855, les villages des bords de la Falémé, au-dessus de Sénoudébou, subissant l’ influence d'Al Hadji, se rendirent sans aucune raison, sans la moindre discussion préalable, coupables d'un guet-apens contre M. Girardot, piqueur du génie et commandant de Sénoudébou, et contre les ouvriers qui extrayaient des coquilles d'huîtres dans la rivière pour faire de la chaux. Réunis en très grand nombre, ils firent feu sur nos gens, blessèrent M. Grégoire, piqueur, et firent prisonnier M. Girardot qui parvint à se racheter pour 45 pièces de guinée. Les ouvriers se défendirent très bravement.

Dans le même mois, la garnison de Bakel fut obligée d'aller châtier les deux villages hostiles de Marsa et d'Oundounba. Nous eûmes un spahis tué et 3 laptots blessés. On tua 12 ennemis, on en blessa 25 et on ramena 4 prisonniers, 22 bœufs, des chèvres et des ânes.

Avril 1855. Cherchant à soulever tout le pays contre nous, Al Hadji s'efforçait de mettre les Maures dans son parti en écrivant à ceux d'entre eux qui vendent des gommes à Bakel, que les Français ne leur avaient jamais donné pour leurs produits que la moitié de leur valeur, mais que, dans quelques mois, il allait venir prendre Bakel et mettre bon ordre atout cela. En même temps, les Sarakholés du Guoy et des Guidimakha et les gens de Bondou se mirent à arrêter les caravanes de gomme des Douaïch ; le roi Bakar, envoya à Bakel son frère Ali, avec 60 cavaliers, pour les protéger, de concert avec nous.

Le 3 avril 1855, des bandes de Guidimakha enlevèrent à l' improviste le troupeau des habitants de Bakel; on les poursuivit, on leur reprit le troupeau et on leur tua quelques hommes. Nous perdîmes un laptot.

Le 14 avril 1855, le prince Ali, avec ses cavaliers, partit de Bakel, pour punir un village qui avait pillé un petit convoi de ravitaillement envoyé par notre fournisseur à Sénoudébou; il enleva le troupeau de ce village, mais quand il fut de retour au bord du fleuve, les gens du village de Bakel tombèrent sur lui, le cernèrent contre le fleuve et l'eussent massacré, lui et les siens, si M. le sous-lieutenant Bargone ne fût accouru à son secours avec la garnison et la population de Guidi-Mpalé.
On repoussa les Sarakholés et comme il n'y avait plus de ménagements à garder envers Bakel, M. Bargone fit canonner et raser le village.
La détermination de M. Bargone fut fortement approuvée; un quartier du village, celui des Ndiaybé, fut épargné et nous resta toujours fidèle.

Le 20 mai 1855, le lam Toro Ahmed, cédant enfin aux ordres des émissaires du prophète arrivés jusqu'à Podor, se mit en campagne pour intercepter toute relation entre notre établissement et la rive gauche.

Juin 1855, à l'approche des hautes eaux, l' Almany du Fouta, l'éliman Mbolo, nommé Abdoul-Tamsir, vint à Saint-Louis, demanda la paix au nom de l’ almamy Rachid et d'El-Iman-Rindiao, le chef le plus puissant du pays. Cette démarche était inspirée par la peur, mais elle était un commencement d'indépendance, du moins simulée du Fouta, vis-à-vis d'Al Hadji qui, lui, n'approuvait pas tous ces ménagements.

Le 14 juillet 1855, le gouverneur Louis Faidherbe voulant se rendre compte, par lui-même, de l'état des affaires du haut du fleuve, partit sur le Serpent, pour Bakel.
Jusqu'à Orndoli, il trouva les villages du Fouta sur la défensive, mais sans mauvaises intentions. Arrivés à Orndoli, dans le Damga, on vit un grand nombre d'hommes armés sur la rive, et, suivant leur vieille habitude, quelques-uns d'entre eux, se mirent à nous provoquer par gestes et même à nous mettre en joue. Le gouverneur Louis Faidherbe fit immédiatement tirer sur ces insolents, bien décidé qu'il était à ne jamais supporter des populations riveraines les insultes qu'elles avaient l'habitude de nous prodiguer. La fusillade devint générale; les hommes d'Omdoli nous suivirent jusqu'à Bapalel, puis jusqu'à Gouriki, de sorte que l'engagement se continua avec trois villages, le bateau marchant toujours. Comme, à chaque village, on avait soin d'abord d'essuyer le feu des Toucouleur , avant de riposter, pour leur faire comprendre que nous ne faisions que répondre à leurs provocations, comme d'un autre côté, le jeu commençait à leur déplaire, en raison des pertes qu'ils éprouvaient, des cavaliers partirent du village de Gouriki et allèrent prévenir les villages suivants de ne pas tirer, et, à partir de ce moment nous ne fûmes plus inquiétés jusqu'à Bakel. Nous avions 2 laptots légèrement blessés. Les Toucouleur , ayant presque toujours combattu à découvert, avaient éprouvé des pertes considérables.

En arrivant à Bakel, le gouverneur Louis Faidherbe apprit qu'Al Hadji était presque cerné dans le Kaarta et dans une position très critique, mais son influence n'en avait nullement souffert dans le haut Sénégal.

La garnison de Bakel avait fait plusieurs sorties heureuses dans les villages voisins ; une seule fois, on avait été repoussé de Mannaël par des forces supérieures. Il n'y avait à cette affaire qu'une quarantaine d'hommes de Guidi-Mpalé, qui étaient sortis sans en avertir le commandant.

Au moment même où le Serpent mouillait devant le poste, les Bakiri du bas Galam (Guoy), avec quelques Toucouleur , enlevaient un troupeau de 5O bœufs au poste; ils avaient choisi le moment de l'arrivée du bateau, supposant que tout le monde serait alors occupé. On se mit aussitôt à leur poursuite, et le Serpent redescendit le fleuve pour soutenir les nôtres. Les volontaires Ndiaybé de Bakel, les soldats et laptots du poste et du Serpent, se réunirent au nombre de 250 hommes environ. On courut jusqu'à Tuabo, capitale du pays et là, le feu ayant été mis de tous côtés à ce grand village, il arriva malheureusement qu'un certain nombre des habitants fut brûlé. Le vieux Tonka (roi) fut mis par les siens sur un cheval et parvint à s'échapper; une partie de sa famille fut prise.

Ayant laissé le commandement du poste au capitaine du génie Parent, le gouverneur Louis Faidherbe redescendit vers Saint-Louis pour prendre les mesures que nécessitaient les circonstances. Le Serpent eut, en passant, des engagements très vifs avec tous les villages du bas Galam. Grâce à nos bastingages en tôle, nous n'eûmes qu'un laptot légèrement blessé ; les Sarakholés perdirent assez de monde, car ils s'exposaient très hardiment à notre fusillade et à notre mitraille. Les villages du Fouta ne tirèrent pas sur nous.

Le capitaine Parent pour dégager les abords de Bakel, fit deux petites razzias et alla brûler le village de Counguel, le plus gros village du Guoy, après Tuabo.

Août 1855. L'état des choses dans le haut pays, nécessitant la présence de forces plus considérables que celles qui s'y trouvaient, le gouverneur Louis Faidherbe envoya dans le fleuve, M. le commandant Morel, à bord de l’ Epervier, avec 250 hommes d'infanterie. Il devait enlever, en passant, Ngana, dans le Damga, village d' Amadou-Amal, qui avait assassiné un traitant nommé Malivoire, et qui était l’ homme le plus dangereux du Fouta.
Après avoir accompli cette mission, M. Morel devait s'entendre, à Bakel, avec le capitaine Parent, pour faire quelque sortie dans les environs, si cela était nécessaire. A Ngana, on ne trouva personne. Arrivés à Bakel, d'après les renseignements que prirent MM. Morel et Parent, ils crurent pouvoir enlever un camp fortifié près de Mannaël, à une lieue de Tuabo, camp dans lequel s'étaient rassemblés la plupart des habitants des villages du Guoy.

Ayant réuni 450 hommes, ils se rendirent à la pointe du jour, par le fleuve, à Mannaël, débarquèrent et attaquèrent le village de l'intérieur après une marche de 2 heures. Après un premier succès, ayant échoué contre les obstacles que présentèrent un réduit assez fort et plus d'un millier de défenseurs, ils battirent en retraite en bon ordre vers les bateaux à vapeur, suivis avec acharnement par l’ ennemi jusqu'au fleuve même. Ils laissèrent 10 morts ou blessés sur le terrain et ramenèrent 51 blessés parmi lesquels le capitaine d'infanterie Guéneau et le chirurgien-major de l’ Epervier, Marec, dont la conduite avait été très belle pendant l’ action.
Les volontaires de Bakel, qui s'étaient retirés avant les troupes, avaient trouvé moyen d'emmener 40 prisonniers et du butin; grâce au courage remarquable déployé par tous, commandant, officiers et soldats et aux pertes très fortes qu'éprouva l'ennemi en tués et blessés, cette affaire ne produisit pas trop mauvais effet dans le pays ; les Sarakholés, ne se croyant plus en sûreté dans leur camp, l'abandonnèrent.

Dès cette époque, Al Hadji avait anéanti notre commerce au-dessus de Bakel et fait tout son possible pour l'anéantir au-dessous. Il ne cachait plus ses projets à notre égard; il disait:
« Les blancs ne sont que des marchands ; qu'ils apportent des marchandises dans leurs bateaux, qu'ils me payent un fort tribut lorsque je serai maître des noirs, et je vivrai en paix avec eux. Mais je ne veux pas qu'ils forment des établissements à terre, ni qu'ils envoient des bâtiments de guerre dans le fleuve. »
Aussi, bien loin d'abandonner et de démolir nos forts, nous crûmes nécessaire d'en créer un nouveau, plus avancé que tous les autres, à Médine, pour éloigner notre frontière de Bakel et sauver, si c'était possible , l'important commerce de ce comptoir.

Dans ce but, le gouverneur Louis Faidherbe se transporta, avec tout ce qu'il put réunir de forces à Médine, dans le Khasso, à 250 lieues de Saint-Louis. C'était la première fois qu'une colonne française allait aussi loin, et cela fut jugé téméraire par beaucoup de personnes. En effet, il y a beaucoup de difficultés pour les blancs à faire la guerre dans ces contrées, pendant la seule saison où les bateaux peuvent y monter. Des inondations qui couvrent de marécages d'immenses étendues de pays , des pluies torrentielles accompagnées des plus violents coups de vent, des chaleurs insupportables, un soleil qui vous tue en quelques heures: voilà les obstacles à vaincre avant de combattre des populations nombreuses, bien armées, et douées d'une grande bravoure.

Mais notre cause était perdue si nous ne cherchions pas à arrêter court les progrès du prophète, et si nous attendions qu'il fut maître du haut du fleuve pour lui résister dans le bas.

L'état du bas du fleuve, vérifié par nos campagnes du printemps, rendait l'éloignement de la garnison possible. Les bateaux à vapeur l’ Epervier, le Rubis, le Grand-Bassam, le Marabout, le Serpent et le Basilic, sous le commandement de M. Desmarais, lieutenant de vaisseau, remorquant d'autres navires et nos deux bateaux-écuries, transportèrent en quinze jours de pénible navigation, 300 hommes d'infanterie, 40 spahis montés, 30 canonniers, avec 4 obusiers de montagne, 15 sapeurs du génie, 20 conducteurs du train, avec 20 mulets, 600 volontaires noirs de Saint-Louis, 100 ouvriers noirs du génie armés , 2 blokhaus , des matériaux et des approvisionnements. Les bateaux mirent, de plus, à terre, 150 laptots sous les ordres des officiers de marine. C'est à cela que se bornaient les forces de la colonie, que la fièvre et le feu de l'ennemi avaient considérablement réduites après l'expédition de Mannaël.

Septembre 1855. La colonne débarquée à Khay, le 12 septembre 1855, se mit en marche le 13, à 5 heures 3/4 du matin, et à 8 heures 1/2 nous arrivâmes devant Médine.
La veille, un détachement de l'armée d'Al Hadji occupait encore Médine, mais il avait fui dans la nuit et le roi Sambala nous attendait paisiblement à la tête de ses gens, au bas de la ville. Le gouverneur Louis Faidherbe lui dit qu'il venait punir ceux qui s'étaient rendu coupables du pillage de nos marchandises ; Sambala répondit que l'armée d'Omar, maîtresse du Khasso, avait commis ces pillages malgré lui; qu'il avait offert jusqu'à 100 captifs au prophète, pour sauver nos comptoirs et qu'il n'en avait reçu pour réponse que des menaces de mort ; qu'il avait toujours été l'ami des Français et qu'il l’ était encore. Il consentit sans objection à l'occupation de Médine par un fort.

Le marché fut vite fait, Sambala comprenant que nous achetions ce que nous aurions pu prendre ; 5.000 francs une fois payés, et 1.200 francs de cadeaux par an, tel fut le prix, non seulement d'un vaste emplacement de quatre hectares pour le fort, dans la situation la plus favorable, mais de toute la rive gauche du fleuve, depuis Médine jusqu'aux cataractes du Félou, c'est-à-dire sur 3 kilomètres de longueur.

Le 15 septembre 1855, les travaux du fort furent commencés par une chaleur excessive. Dès le premier jour, un fourrier qui faisait la distribution, mourut en trois heures d'un coup de soleil, et beaucoup d'hommes contractèrent la fièvre.

Le même jour, ayant appris qu'il y avait à Gondiourou, à deux lieues de Médine, un dépôt de marchandises, laissées par Al Hadji , M. le sous-lieutenant Flize, directeur des affaires indigènes, fut envoyé, avec un peloton de spahis, 200 volontaires et 15O guerriers de Sambala pour les prendre.
Les habitants du village prirent la fuite et les marchandises furent rapportées à Médine, où un tiers fut laissé aux capteurs et deux tiers rendus aux traitants. On avait aussi trouvé dans le village un très grand nombre de corans.

Dans la nuit du 17 au 18 septembre 1855, une tempête effroyable mit notre camp en déroute, et le lendemain, nous avions un grand nombre de soldats blancs malades de la fièvre et de diarrhées.
Heureusement les jours suivants, le temps s'améliora, la chaleur fut moins insupportable, les troupes étaient mieux installées ; des gourbis en feuillage protégeaient hommes et chevaux du soleil ; de petites pluies qui tombaient la nuit rafraîchissaient la terre sans gêner nos travaux et sans mouiller les hommes abrités par leurs tentes. Les vivres distribués étaient abondants et de bonne qualité; aussi l’ état sanitaire s'améliora et cessa de donner des inquiétudes sérieuses. Nos chevaux et nos mulets, très malades les premiers jours, reprirent de l'appétit; on avait trouvé, à force de recherches, un fourrage qui leur convenait. 600 ouvriers travaillaient neuf heures par jour au fort.

Le 22 septembre 1855, le gouverneur Louis Faidherbe fut, avec une partie de la colonne, visiter les cataractes. On fit graver sur un rocher les noms de tous les officiers de la colonne.

Le 30 septembre 1855, le gouverneur Louis Faidherbe signa un traité de paix, de commerce et d'alliance avec tous les chefs du Khasso qui vinrent devant lui abjurer leurs haines et leurs rancunes pour s'entendre avec nous contre l'ennemi commun.

Octobre 1855. Comme il était nécessaire de faire un exemple avant de redescendre à Saint-Louis avec les troupes, on se décida, le 1er octobre, à sévir contre le grand village fortifié de Gagny (Guidi-Makha). Trois jours auparavant, on avait arrêté dans ce village des gens de Sambala, et on les avait maltraités, parce qu'ils étaient amis des Français et par conséquent ennemis du prophète.

En conséquence, le 4 octobre 1855, les bateaux à vapeur le Serpent et le Grand-Bassam, le Marabout et le Basilic sous le commandement de M. Butel, lieutenant de vaisseau, reçurent l'ordre de partir de Khay, à dix heures, pour arriver devant Gagny vers une heure du matin, mouiller dans l'ordre de marche, et commencer en même temps le feu de tous les obusiers.
L'opération fut bien menée, une centaine d'obus démantelèrent l’ enceinte du village et éclatèrent dans les cases, jetant l'effroi et la mort dans la population prise au dépourvu.

Le 5 octobre 1855, au matin, le fort étant terminé, la colonne partit de Médine, n'y laissant que quelques maçons pour achever les maçonneries intérieures. Le même jour, nous nous embarquâmes à Khay et nous arrivâmes à Bakel dans la nuit suivante.

Le 10 octobre 1855, toute la colonne était rentrée à Saint-Louis, les hommes étaient très fatigués et pour la plupart malades. Il en mourut un grand nombre à l'hôpital, des suites de cette expédition.

Au moment même du départ de Médine, on vit venir Boubakar, le fils de feu l'almamy du Bondou, Sada qui nous avait cédé le terrain de Sénoudébou.
Boubakar venait de l'armée des Bambara, dans laquelle il servait contre Al Hadji . Le gouverneur Louis Faidherbe lui proposa de jouer, dans le Bondou, le rôle que Fara-Penda avait joué dans le Oualo; il accepta, et tous nos efforts tendirent, dès lors, à le faire reconnaître comme almamy du Bondou : il en est aujourd'hui le maître et notre fidèle allié.

A cette époque, la nouvelle se confirma qu'après une bataille acharnée et décisive livrée entre Lakhané et Diangouté, les Bambara avaient été définitivement expulsés du Kaarta par Al Hadji qui était. resté maître du pays.

Au commencement de 1856, pendant que le Khasso nous restait fidèle et faisait la guerre aux Guidimakha, qui, par les ordres d'Al Hadji , avaient tiré sur nos embarcations, la garnison de Sénoudébou et celle de Bakel, réunies à la cavalerie des Douaïch, enlevaient trois villages hostiles du Bondou. A la suite de ces coups de main, plusieurs villages vinrent dire au commandant de Bakel qu'ils étaient disposés à accepter l'almamy Boubakar et à abandonner le parti d' Al Hadji .

Vers la même époque, le Galibi, mouillé entre Makhana et Dramanet, sous le commandemant pu premier maître Reutin, infligea une très sévère punition aux gens de Dramanet, pour avoir laissé des émissaires d'Al Hadji assassiner deux laptots de traitant de Saint-Louis.

En février 1856. 250 volontaires de Bakel, commandés par Alioun-Sal, allèrent enlever un village ennemi du Bondou, nommé Déthié; toute la population périt.

Au commencement de mars 1856, une bande de Toucouleur de l' armée d' Al Hadji , revenant du Kaarta et commandée par deux grands marabouts du Fouta, nommés Belli et Tierno-Alliou, forçait le Bondou à se soulever de nouveau contre nous et contre son almamy. Ils s'emparèrent de Bordé, village situé près de Bakel, et qui avait hésité à prendre parti pour eux; et, enhardis par ce facile succès, ils vinrent enlever le troupeau du poste. On courut après eux, à la suite des traitants Alioun-Sal et Ndiay-Sour. On atteignit les Toucouleur à ce même village de Bordé, on leur reprit le troupeau et on leur tua 5O hommes ; la nuit seule sauva le reste ; on leur enleva 400 captifs qu'ils ramenaient de leur guerre sainte, 14 chevaux, des bœufs, des ânes et du butin qu'on mit quatre jours à transporter à Bakel. Les deux chefs Toucouleur restèrent sur le champ de bataille; nous n'eûmes qu'un soldat noir tué et quelques blessés.

À la suite de cette brillante affaire, l’ almamy Boubakar reprit la campagne avec trois ou quatre cents partisans, et M. Girardot, commandant de Sénoudébou, s'étant réuni à lui, ils détruisirent le village de Débou, qui s'était déclaré contre nous et y firent plus de 100 prisonniers.

Pendant ce temps, le commandant du Galibi, à Makhana, attaqué par 180 hommes, les mettait en fuite par deux heureux coups de canon et mitraillait, pour la troisième fois, le village de Dramanet.
Enfin, le commandant de Sénoudébou brûlait le village de Touldéro, aidé par Boubakar-Saada, avec une perte de 2 hommes; ils en avaient tué 30 à l'ennemi, entre autres le prince Sissibé Boubakar-Malik.

Au mois d'avril 1856, les Khassonké, fidèles à notre alliance, eurent de petits engagements avec les Guidi-Makha et leur tuèrent quelques hommes, et les Malinké de Farabana vinrent joindre leurs forces aux nôtres à Sénoudébou.

Le 5 avril 1856, 500 Bondouké de Naé, Kidira, Sanoukholé, cherchèrent à enlever le troupeau du poste de Sénoudébou. 50 hommes du poste, 80 du village et 100 Malinké les repoussèrent vigoureusement.

Par suite de cette agression, on alla, quelques jours après, brûler Naé, où plus de 200 prisonniers périrent dans les flammes. On fit aussi quelques prisonniers, entre autres un grand marabout d'Al Hadji , chef de la bande, qui avait attaqué le troupeau du poste et qui fut fusillé sur-le-champ. Il se trouvait dans le village plus de 200 kilogrammes de poudre et une grande quantité de mil, produit de la dîme levée dans le Bondou, au profit d'Al Hadji . Naé, était un village de 1200 âmes.

Le 7 avril 1856, le village sous le poste fut attaqué de nouveau; l’ ennemi fut mis en fuite très promptement. Dans ces différentes affaires, le poste avait eu 1 laptot tué et 7 blessés; le village, 4 blessés : les Malinké, 2 tués et 3 blessés et le contingent de Boubakar-Saada, 1 blessé.

Les Toucouleur , les Guidimakha et les Soninké du Kaméra voyant venir la saison des hautes eaux, firent une tentative désespérée pour se venger du Galibi qui, pendant toute la saison, avait vigoureusement repoussé toutes leurs attaques.
Le 31 mars 1856, à six heures du malin, le bâtiment fut assailli par une armée considérable. La lutte dura jusqu’à huit heures. 1800 cartouches furent brûlées par l’ équipage et par les Bakiri nos alliés, qui avaient 48 fusils, et on tira 28 coups de canon à obus et à mitraille. M. Reulin écrivit :
« Je ne puis connaître les pertes des ennemis, elles doivent être très fortes, car au lieu d'emporter leurs morts, comme ils en avaient l’ habitude, ils les ont jetés dans le fleuve; quand l’ennemi fut mis en fuite, il laissa sur place de grandes traces de sang et quelques cadavres qu'il n'avait pu enlever. »

Le 6 avril 1856, M. Reutin alla brûler le grand village Guidi-Makha d'Ambidédi; un assez grand nombre d'habitants furent brûlés.

Le 13 avril 1856, le Galibi fut de nouveau attaqué par plus de 2000 hommes. L'affaire fut encore plus chaude que celle du 31 mars, quoique n'ayant duré que trois quarts d'heure. L'artilleur du bord Horès eu le bras traversé d'une balle, le laptot Disbi reçut dans la bouche une balle qui lui coupa la langue et le commandant, M. Reutin, fut légèrement touché au flanc gauche. L'ennemi avait formé deux colonnes, l' une en amont l'autre en aval du bâtiment qui était mouillé contre la berge. Les Bakiri, retranchés dans leur petit tata, firent un feu très meurtrier sur les assaillants. Le canonnier Horès, quoique blessé, continua à servir ses pièces avec beaucoup de bravoure. M. Reutin évalua la perte des Al Hadji stes à 150 hommes, quoiqu'il n'en fût resté qu'une cinquantaine sur le terrain, car il apprit qu'ils avaient été en enterrer à Sébékou, où beaucoup de blessés moururent le même jour.

Profitant de ce succès, dans la nuit du 16 avril, nos Bakiri et quelques Khassonké, envoyés par Sambala, allèrent brûler le village de Makha-Iakharé.

Vers le même temps, les gens de Bakel, les Bondouké de Boubakar-Saada et quelques Douaïch firent trois razzias sur les Toucouleur qui se rendaient à Nioro avec leurs troupeaux, à l'appel d'Al Hadji , pour aller peupler son nouvel état. On leur prit 400 bœufs et 300 moutons.

Au mois de mai 1856, vingt cavaliers du Kaarta vinrent dire à Sambala de Médine que les Bambara venaient de se nommer pour roi Déringa-Mori dans le Foula-Dougou, qu'ils soutenaient encore la lutte contre Al Hadji et qu'ils viendraient se réunir dans le Diombokho aux Djaouara et aux Khassonké; mais, en réalité, ces gens du Kaarta se montrèrent toujours impuissants contre leur terrible ennemi.

Le 7 mai 1856, à sept heures du matin, le fort et le village de Sénédébou furent encore assaillis par plus de 2000 hommes. Le combat dura jusqu'à six heures; l’ ennemi laissa 13 morts sur le terrain et emporta 40 blessés.

Le 21 mai 1856, Abdoulay-Avésa, grand marabout du Fouta-Djalon , revint, suivi de 4.000 hommes environ du Bondou, du Kaméra, du Fouta , tenter une nouvelle attaque. Après cinq heures de fusillade, il se retira à 3000 mètres, laissant trois morts. Dans la nuit du 23, il fit une nouvelle attaque sans résultats. Enfin, le 24, à onze heures du matin, l'ennemi, divisé en trois corps, vint livrer un dernier assaut. Trois fois repoussé, il abandonna le champ de bataille à deux heures de l’après-midi, laissant 35 morts et emmenant beaucoup de blessés. 200 hommes du poste et du village le poursuivirent et ramenèrent une dizaine de prisonniers.

En juin 1856, un de nos courriers ayant été massacré par les partisans d'Al Hadji à Alana, entre le Guoy et le Fouta, Boubakar-Saada fut envoyé par le commandant de Bakel pour punir ce village. On le brûla à moitié, on y tua sept hommes et on y fit 30 prisonniers; on ramena aussi un petit troupeau.

En août 1856, tout le Bondou se soumit à Boubakar-Saada et les chefs lui donnèrent des otages. D'un autre côté, les affaires d'Al Hadji semblaient aller très mal dans le Kaarta.

En septembre 1856, Pendant un voyage fait par M. Flize, dans le Bambouk, notre almany du Bondou, Boubakar-Saada et Bougoul de Farabana se réunirent pour attaquer Kéniéba qui était au pouvoir de nos ennemis; ils prirent le village et le mirent à notre disposition pour l'exploitation de ses mines d'or.

En octobre 1856. Nous eûmes à cette époque de petits démêlés avec le Fouta, mais toujours sans hostilités et suivis de grandes protestations d'amitié de la part de l’ almany.

Le 1er novembre 1856, Sambala de Médine pour venger son oncle Sanou-Moussa, tué quelques mois auparavant dans le Diombokho, alla attaquer Maréna avec 1.000 Kassonké et douze soldats ou laptots du poste; il fut repoussé et ses gens se sauvèrent. Pendant la retraite, nos douze hommes se retranchèrent à Kana-Makhounou avec les Bambara réfugiés qui s'y trouvaient. Quatre d'entre eux furent tués avec leur chef, le gourmet Mbay-Diop; les autres, dont trois étaient blessés, purent atteindre Médine. Tous les Bambara furent faits prisonniers.

En janvier 1857, Boubakar-Saada fit, une grande razzia sur son cousin Ousman qui le trahissait et qui fit sa soumission. à la suite de cette sévère leçon.

En février 1857. Le chef Toucouleur Bélé traversa le Bondou avec 600 hommes du Fouta, pour aller rejoindre Al Hadji .

Les deux villages d'Arondou et d'Iaféré, près du confluent de la Falémé et du Sénégal, ayant coupé les routes, nos gens leur enlevèrent sept prisonniers et 240 bœufs.

Pendant que Boubakar-Saada était occupé à faire la guerre dans le Ferlo, pour soumettre cette province, une partie de ses villages révoltés passa à l'ennemi, en traversant le fleuve et se rendant chez les Guidi-Makha.

Mars 1857, croyant }es circonstances favorables, un compétiteur s'éleva même contre lui dans le Bondou; c'était un nommé Ély-Amady-Caba, partisan d'Al Hadji . Il avait réuni autour de lui les populations d'Ourou Amadou, Beldioudi, Sileng, Kipiaguel, etc., c'est-à-dire environ 6.000 personnes, avec lesquelles il s'était enfermé dans le village fortifié d'Amadhié.

Boubakar lui ayant envoyé demander le tribut dû à l’ almany, Ély répondit par un refus formel et annonça qu'il fusillerait le premier qui viendrait lui renouveler cette demande. Boubakar se fit aider par 260 Malinké du Bambouk et par 6 à 700 Maures Douaïch qui avaient passé le fleuve à Tuabo, après avoir promis au commandant de Bakel qu'ils ne feraient aucun tort aux villages du Guoy qui se disaient de notre parti.

Cette armée se présenta devant le tata d'Amadhié et en fut repoussée, après avoir perdu une quinzaine d'hommes tués ou blessés; les Maures s'étaient contentés de faire caracoler leurs chevaux hors de la portée des créneaux du tata.

Boubakar se retira en désordre à Sileng. Comme cet échec eut pu produire un très mauvais effet pour nos affaires dans le Bondou, M. le capitaine Cornu, commandant de Bakel et M. Girardot, commandant de Sénoudébou, se rendirent sur les lieux avec. les forces qu'ils purent réunir, savoir : 6 spahis, 40 laptots de Sénoudébou, 60 volontaires de Bakel, 60 volontaires de Sénoudébou et un obusier de montagne.
Arrivé à Sileng, M. le capitaine Cornu eut toutes les peines du monde à décider les Maures et les Malinké à retourner à Amadhié qu'ils croyaient ne pouvoir enlever.
Enfin, le lendemain 8 mars, ils y consentirent et à deux heures toute la colonne débouchait dans la plaine d' Amadhié.
Les cavaliers entourèrent la ville pour arrêter les fuyards au besoin, et la pièce fut mise en batterie pour tirer sur le tata. On allait faire feu, quand un cavalier sortit à toute bride des murailles ; c'était le fils d'Ély qui apportait la soumission de son père. Le capitaine Cornu lui dit qu'il ne voulait avoir affaire qu'à Ely lui-même ; aussitôt celui-ci arriva, salua le commandant de Bakel, puis fit sa soumission à Boubakar-Saada en le priant avec beaucoup de noblesse, de ne pas se laisser enivrer par le succès et de ne pas abuser de la victoire. On désarma les défenseurs qui avaient environ 200 fusils, on renvoya chez eux les gens libres des villages qui s'étaient réunis à la voix d'Ély, et on prit les captifs, au nombre de 260, les chevaux et les bestiaux pour les partager entre Boubakar-Saada et ses auxiliaires.

Le tata d'Amadhié avait 500 mètres de dévelopement, 3 mètres de hauteur, et 1 mètre d'épaisseur à sa base : les créneaux, très évasés en dedans, étaient imperceptibles au dehors.

Boubakar, profitant du prestige que lui donnait son succès contre Ély, partit aussitôt avec ses alliés pour soumettre le Ferlo; il prit et brûla Ndioum et deux autres villages, tua 150 hommes aux révoltés, dont 25 chefs ou fils de chefs et prit 140 captifs et 650 bœufs; il eut 28 hommes tués ou blessés, parmi lesquels son homme de confiance Bô. Les gens du Ferlo parurent enfin se soumettre en masse à Boubakar-Saada qui se trouvait ainsi maître incontesté de tout le Bondou,
Les Maures Douaïch retournèrent avec leur part de butin sur la rive droite sans commettre aucun désordre.

Dès le commencement de 1857, on avait su qu'Al Hadji , soit que ses affaires n'allassent pas à son gré dans le Kaarta, à la frontière duquel son lieutenant Abdollay-Haoussa venait d'être battu par une armée du Macina, soit qu'il crût le moment venu de nous attaquer en face, soit enfin qu’ il voulût faire reconnaître son autorité dans le Fouta et conquérir le Cayor, comme ses partisans l'avaient déjà annoncé, revenait de l'est, vers les points du haut Sénégal occupés par nos établissements, après avoir, depuis plusieurs mois, envoyé chercher des renforts dans le Fouta, le Bondou et le Gadiaga; il resta quelque temps dans le Tomoro (Khasso).

En mars, le chef Khassonké, Kartoum-Sambala, frère du roi de Médine, passa avec ses partisans sur la rivé droite et prit aussi parti pour Al Hadji .

Avril 1857. Le chef de Khoulou (rive droite), Mali-Mahmoudou, resté fidèle à notre cause, vit son village enlevé et détruit et lui-même fut tué au commencement d'avril.

Quelques jours après, le 14 avril 1857, Niamodi chef du Logo, ayant été trahi par une grande partie de ses sujets, Al Hadji s'empara de son pays et notamment de Sabauciré. Niamodi se réfugia à Médine avec ceux de ses gens qui lui étaient restés fidèles.
Sémounou, chef du Natiaga, par suite aussi de sa défection, fut obligé de se sauver dans le Bambouk.
Tout le Khasso se trouva donc au pouvoir d'Al Hadji , sauf Médine, où s'étaient réfugiés ceux qui lui restaient hostiles. Le prophète se décida alors à attaquer ce point.

Le 19 avril 1857, une femme déserta de Kounda et vint avertir le commandant Paul Holl à Médine, qu'Al Hadji établi à Sabouciré, avait fait des échelles en grand nombre et allait attaquer la ville et le poste.

Le 20 avril 1857, à cinq heures et demie du matin, l’ armée ennemie arriva en trois corps : un suivait le bord du fleuve pour tourner le tata de Sambala, le second se dirigeait sur l’ extrémité du tata, près de sa jonction avec le fort, le troisième cheminait dans le ravin de Mokho-Fakha-Kholé, pour attaquer le front.
Les assaillants des deux premiers corps arrivèrent sur le fort et sur le tata, malgré les affreux ravages que la mitraille faisait dans leur colonne compacte qui s'avançait dans un sombre silence, resserrant les rangs à chaque décharge, et ils tentèrent l'assaut. Le troisième ne put parvenir jusqu'à la muraille, à cause de la vivacité du feu des défenseurs et surtout de la disposition des lieux.
Les hommes qui le composaient s'embusquèrent à une centaine de mètres de distance et tiraillèrent pendant toute l'attaque. Les assaillants des deux premiers corps s'efforcent d'escalader la muraille au moyen de leurs échelles en bambou et étant même parvenus, un instant, à y planter leur drapeau, restèrent très longtemps au pied de l'enceinte, y cherchant des abris, dans leur ignorance des effets du flanquement et perdant beaucoup de monde par la fusillade et par la mitraille ; ils finirent pourtant par reculer, laissant le terrain couvert de cadavres. Il y en avait 67 au pied de la courtine 2-3, qui n'a pas 20 mètres de longueur.
En tout le long du fort et du tata de Sambala, jusqu'à une distance de 200 mètres, on en compta plus de trois cents. Combien de mourants et de blessés durent-ils emporter.

Malgré ces pertes, les assiégeants restèrent encore en vue du fort jusqu'à dix heures et demie, essuyant le feu des canons et des obusiers. A onze heures, ils s'étaient éloignés jusqu'au Félou et les assiégés purent sortir à portée de canon, trouvant partout des morts, des mourants et de nombreuses traces de sang.

Des déserteurs de l'ennemi assurèrent, quelques jours après, que la perte d'Al-Hadjî, dans cette journée, montait à 600 hommes.
Amadou-Amat, assassin du traitant Malivoire, fut tué sur le haut d'une échelle, Oumar-Sané, almany du Bondou, nommé par Al Hadji , périt aussi dans cet assaut, ainsi que beaucoup d'autres chefs; de notre côté, ayant combattu derrière des murailles contre un ennemi sans artillerie, nous n'eûmes que 6 hommes tués et 13 blessés.
La population du village se mit aussitôt à terminer et à renforcer son tala. Les 4 pièces du fort étaient hors d'état de servir; on répara de suite un des 4 affûts.

Du 20 au 25 avril 1857, on fut tranquille ; à partir du 25, les Toucouleur reparurent en petit nombre et tiraillèrent dans les environs.

Le 11 mai 1857, à la suite d'un grand sermon fait un vendredi à son armée, Al Hadji obtint d'elle un nouvel effort; il voulut attaquer du côté du fleuve et pendant la nuit. Tierno-Guibi commandait l'armée.
A une heure et demie du matin, l'îlot qui est en face de Médine, à 15O mètres environ, fut enlevé par surprise; les 30 défenseurs qui l'occupaient se sauvèrent à la nage, après avoir jeté leurs fusils.
Le fort canonna jusqu'à neuf heures du matin les 200 Toucouleur qui occupaient l'île; mais, ceux-ci avaient soin de se mettre sur le versant opposé où ils se trouvaient à l’ abri. Pendant ce temps, toute l’ armée ennemie, embusquée autour de la ville, tiraillait sur elle.
A neuf heures, pour débusquer les Toucouleur de l'île, le sergent d'infanterie de marine Desplat, avec 3 laptots et 8 hommes du village, monta sur un canot muni de bastingages en peaux de bœuf ; nous eûmes 8 hommes tués ou blessés pour la seule mise à l'eau du canot. L'embarcation tourna l'île ; ceux qui la montaient fusillèrent les Toucouleur du côté du large en même temps que l'artillerie du fort les atteignait chaque fois qu'ils se montraient du côté de la terre.
Alors ils se jetèrent tous à l'eau sous les feux croisés du canot, du village et du fort et perdirent environ 100 hommes tués.
A dix heures, voyant qu'il fallait renoncer à ses projets, l'ennemi avait disparu de toutes parts. Pendant les trois jours suivants, ce point du fleuve fut rempli de caïmans qui dévoraient les cadavres ennemis.
L'armée d'Al Hadji était très courroucée contre lui, en voyant ses impostures continuelles et ses promesses de miracles toujours sans effet; elle ne voulait plus même retourner à Sabouciré. Al Hadji fut obligé de venir la chercher lui-même.
Il fut convenu qu'on n'attaquerait plus de vive force, mais qu'on bloquerait étroitement la ville pour l’ affamer. Il y avait à Médine 6,000 âmes au moins et peu de vivres.

Du 11 mai au 4 juin 1857, les Toucouleur vinrent construire des embuscades tout autour de la place; de sorte que les malheureux habitants ne pouvaient plus sortir de la muraille. Les gens de Médine, entassés sans abri dans un espace dix fois trop petit, souffraient déjà beaucoup de la famine. Les munitions de guerre, réduites à rien ne permettaient plus de refouler l’ennemi au loin.

Dans les premiers jours de juin 1857, Al Hadji réunit ses gens et dans un discours très pathétique, se mit à pleurer la perte de ses chefs favoris; il supplia ses fidèles de tenter un dernier effort pour les venger et voulut leur distribuer des pioches pour faire brèche au tata de Sambala. Il leur dit que les défenseurs n'avaient plus de poudre, qu'on n'attaquerait pas le poste, mais seulement le tata, et enfin, comme toujours, leur promit le paradis.
Malgré toutes ses exhortations personne ne voulut prendre ses pioches ; mais le lendemain, un renfort lui étant venu de Nioro, composé d'hommes décidés et qui n'avaient pas été témoins des désastres précédents, ceux-ci prirent les pioches et entraînèrent toute l'armée qui se rendit à Médine, le 4 juin 1857, et y arriva à quatre heures du matin.
Il se ruèrent sur le tata dans une obscurité complète et commencèrent à faire brèche. Les gens de Sambala qui étaient sur leurs gardes et faisaient un feu très nourri, bouchaient les trous faits dans le mur avec les corps mêmes des assaillants ; aidés par l’ artillerie du fort, ils tuèrent 86 hommes restés au pied du mur et d'autres plus loin qu'on ne put aller compter. Avant le jour, les Toucouleur étaient en pleine déroute.
Malgré ce nouvel échec, les ennemis resserrèrent de jour en jour les embuscades, au point d'atteindre les défenseurs, même dans l’ intérieur du village.

Sur ces entrefaites, M. Girardot, commandant de Sénoudébou et M. Luzet, chirurgien de 2ème classe, essayèrent d'aller porter des secours a Médine.
Le 5 juin 1857, ils arrivaient à Makhana, mais leurs volontaires les ayant abandonnés, ils ne purent dépasser Diakhandapé, où était l'aviso le Guet-Ndar. On essaya d'envoyer des hommes isolés porter des munitions de guerre à Médine, mais quelques paquets de cartouches purent à peine y arriver.

Pendant les six semaines suivantes, la position de Médine devenait de jour en jour plus désespérée ; on ne recevait aucune nouvelle du dehors et on ne pouvait en donner aucune. On eut 10 tués et 50 blessés dans les petites escarmouches qu'on était obligé d'engager pour chasser les assaillants qui s'approchaient trop. On tuait aussi du monde à l'ennemi, mais les renforts lui arrivaient librement de tous les cotés.

Le 18 juillet 1857, les gens du village n’avaient plus de poudre, chacun des hommes de la garnison du fort n'avait plus qu'un ou deux coups de fusil à tirer, et chacune des quatre pièces avait encore deux gargousses. Les embuscades des assiégeants s'approchaient jusqu'à moins de 50 mètres de l'enceinte et jusqu'à moins de 25 mètres du tata de Sambala.
< Heureusement l'eau avait monté dans le fleuve, et les secours arrivèrent ce jour-là même, 18 juillet 1857, comme on le verra un peu plus loin.

Pendant que M. Paul Holle se couvrait ainsi de gloire, le commandant de Bakel ayant appris, le 1er mai, qu'une colonne de Toucouleur du Fouta, de 400 hommes environ, dont 100 cavaliers, avec des femmes, des troupeaux, des captifs et une caravane, se trouvait à Dembankané pour se rendre à rappel d'Al Hadji et comprenant qu’ il était important d'empêcher tout renfort d'arriver à l'armée qui assiégeait Médine, envoya à leur rencontre à Bordé, 40 hommes du poste et 260 volontaires commandés par les traitants Lorêt, Seydoudiop et Sidi-Fara-Biram. Le chirurgien du poste, M. Luzet, les accompagnait.
La rencontre eut lieu à huit heures du matin ; les Toucouleur , avantageusement placés sur un plateau assez escarpé, repoussèrent une première attaque, mais nos gens, ralliés par leurs chefs, enlevèrent la position dans un second assaut. Les Toucouleur furent mis en déroute laissant sur le terrain trente morts, des femmes, des enfants, des captifs, huit chevaux et tous leurs bagages. Ils furent poursuivis vivement pendant une heure.

Le 12 juillet 1857, 300 hommes, en partie armés, qui avaient été en Gambie acheter de la poudre, passaient près de Makhana pour rallier aussi l’ armée d’Al Hadji ; les laptots du Galibi et les gens de Makhana les assaillirent, leur enlevèrent la plus grande partie de leurs bagages et rapportèrent environ pour 5.000 francs de marchandises et, entre autres, 65 kilogrammes de poudre ; le laptot Lamine se distingua particulièrement. De leur côté les Maures faisaient, pendant ce temps, une guerre d'extermination aux Guidimakha tous ralliés à Al Hadji .

Cependant, inquiet sur le sort de Médine, dont il n'avait plus de nouvelles directes depuis le 17 mai 1857 et de nouvelles même indirectes depuis le commencement de juin, le gouverneur Louis Faidherbe avait pressé le départ du premier bateau.
Le Basilic partit le 2 juillet 1857 de Saint-Louis, le gouverneur Louis Faidherbe le suivit, le 5 juillet, sur le Podor, avec 80 hommes de troupe ; tous les autres bateaux étaient en réparation.

Le 13 juillet 1857, le Podor arriva à Bakel et on nous y apprit les nouvelles les plus graves. On faisait monter, à Bakel, l' armée d'Al Hadji à 15.000 hommes.
Le Basilic n'avait pu arriver à Médine, trouvant trop peu d'eau aux petites cataractes : après avoir ravitaillé le Guet-Ndar, il était revenu à Bakel pour s'alléger un peu, sans avoir pu se procurer, quoique de si près, aucune nouvelle de la ville assiégée.
Le Guet-Ndar était de nouveau échoué sur les roches des petites cataractes, mais cette fois, complètement crevé et déjà presque submergé. Son équipage était journellement attaqué. Enfin, au même moment, une nouvelle colonne de Toucouleur traversait le Bondou pour aller renforcer Al- Hadji.
Dans des circonstances aussi critiques, il fallait tout risquer et passer à tout prix ; on envoya immédiatement le Basilic chercher à Matam, dont on construisait la tour, un renfort d'ouvriers noirs du génie et une quinzaine de soldais blancs, et, sans les attendre, le gouverneur Louis Faidherbe partit sur le Podor pour Médine, après s'être renforcé d'une centaine de laptots ou volontaires de Bakel; mais, le Podor après avoir talonné plusieurs fois à Diakhandapé et à Khay, fut obligé de mouiller vis-à-vis de Soutoukhollé, au milieu des petites cataractes, à trois lieues de Médine et à côté du Guet-Ndar; au delà, il n'avait plus son tirant d'eau.
Le commandant du Guet-Ndar M. des Essarts, enseigne de vaisseau, fut apporté par un de ses canots à bord du Podor. Il était sans connaissance depuis dix heures par suite d'un accès pernicieux et mourut dans la nuit même.

Voici par suite de quels événements le Guet-Ndar se trouvait échoué aux petites cataractes : ce petit aviso, à son dernier voyage de Médine de 1856, avait été mis sur une roche pointue par son pilote à Diakhandapé. M. des Essarts resta à son bord avec son équipage composé d'un mécanicien et d'un chauffeur blancs et de 23 laptots. Seulement, il se mit à construire sur la rive un petit fortin en terre glaise qu'il occupa en même temps que son bâtiment.
Pendant sept mois, avec une poignée d'hommes, il maintient les villages voisins dans notre partie même pendant le siège de Médine.
Enfin, vers le milieu de juin, il eut l’ inexprimable joie de voir un bateau réparé, à flot et marchant. Comme depuis quelque temps il connaissait la position désespérée de Médine par des lettres de M. Paul Holl, il n'hésita pas à tenter de remonter jusque là pour ravitailler la garnison. Mais à peine avait-il fait cinq lieues, qu'arrivé aux petites cataractes, vis-à-vis de SoutoukhoUé, il ne put, au milieu d'une fusillade des deux rives, franchir un courant de foudre, vint en travers et fut jeté violemment sur des roches qui pénétrèrent dans sa coque. Il fit des efforts inouïs pour se tirer de là; ce fut en vain.
Capitaine et équipage montrèrent dans une aussi triste position, une énergie admirable. Ils étaient fusillés du matin au soir, mais leurs bastingages en tôle les garantissaient des balles.

Vers le 15 juillet 1857, M. des Essarts pour ménager sa poudre, ayant donné l'ordre à ses laptots de ne pas riposter aux coups de fusils, les ennemis crurent que le bâtiment était abandonné ou qu'il manquait de poudre; ils voulurent en tenter l’assaut à la nage. Ils remplirent trois pirogues de leurs fusils et se mirent à la nage au nombre de 150. Pendant ce temps, 2 à 300 hommes sur chaque rive, faisaient un feu continuel.
M. des Essarts laissa les nageurs s'approcher à 25 mètres et alors il fit feu de toutes ses armes, fusils et pierriers à mitraille.
Les pirogues coulèrent, les Toucouleur furent atteints en grand nombre, ceux qui ne furent pas tués au premier moment, prirent pied sur le banc de roches, ayant la tête seule hors de l'eau, et, ne pouvant se remettre à la nage parce qu'ils étaient à bout de forces, ils furent tués en détail; enfin, 50 environ purent seulement regagner la rive. Une centaine d'hommes avaient été tués et emportés par le courant. Les jours suivants la cavalerie ennemie parcourait les rives du fleuve pour rechercher et retirer leurs cadavres.

Le 17 juillet 1857, le gouverneur Louis Faidherbe fit débarquer ses 80 hommes de troupe et ses 140 noirs sur la rive droite et il brûla le village abandonné de Soutoukhollé, village de Kartoum-Sambala, dans l'espoir que l'incendie serait vu de Médine et annoncerait notre approche aux assiégés.
Le même jour, vers le soir, le Basilic arriva de Matam, apportant 120 hommes de renfort, dont 20 blancs. Il mit son monde à terre, franchit le passage des petites cataractes entre deux pointes de roches, avec une vitesse de moins d'un mètre par minute en chauffant à toute vapeur, et surchargeant les soupapes de sûreté; il mouilla devant Kéniou, village dont il éloigna des groupes ennemis par ses obus; il y passa la nuit.
Ayant reconnu que le passage si difficile des Kippes était défendu par de nombreux contingents couvrant les rochers à pic, qui dominent le fleuve des deux côtés, le gouverneur Louis Faidherbe se décida à forcer le passage, en même temps par terre et par eau.
Attendre de nouveaux renforts, c'était s'exposer à laisser prendre Médine qui devait être à la dernière extrémité. Des personnes doutaient même qu'il fût encore en notre pouvoir.

Le 18 juillet 1857 à six heures, le Basilic s'embossa à portée d'obusier des Kippes et les canonna alternativement.
En même temps, le gouverneur Louis Faidherbe débarqua pour prendre le commandement des forces à terre ; 5OO hommes, dont 100 blancs et un obusier. Il porta la colonne au pied de la position à enlever, fit lancer deux obus et sonner la charge; soldats, laptots, volontaires et ouvriers, officiers en tête, escaladèrent les rochers avec beaucoup d'entrain ; l’ ennemi les abandonna sans résistance et on ne reçut des coups de fusils que des ennemis embusqués sur les rochers de la rive gauche. On prit position de manière à répondre à leur feu et à protéger le passage du Basilic ; l’ ordre fut alors donné à celui-ci de le franchir. Il le fit heureusement et mouilla à 500 mètres environ en amont des Kippes. M. Guay, volontaire, second à bord, reçut seul une balle morte à l’épaule.
La colonne descendit ensuite sur le bord du fleuve, vis-à-vis du Basilic, et, de là, on aperçut à travers une plaine de 3 à 4.000 mètres, le fort de Médine. Le pavillon français flottait sur un des blokhaus, mais aucun bruit, aucun mouvement ne prouvaient que le fort fût occupé. Dans la plaine se trouvaient des Toucouleur embusqués ou errant çà et là.
L'ordre fut donné de passer immédiatement le fleuve sur les embarcations du Basilic. Les Toucouleur défendirent le terrain ; les premiers débarqués les repoussèrent assez loin de la rive pour protéger le passage des autres et de l’artillerie.
Bientôt tout le monde se trouva réuni sur la rive gauche et on refoula les Toucouleur de toutes parts, en se rapprochant de Médine. Le fort ne donnait pas encore signe de vie et cela paraissait inexplicable quand on songeait que Médine contenait plus d'un millier de défenseurs armés de fusils.
Enfin, le gouverneur Louis Faidherbe, ne pouvant contenir son impatience, mit son infanterie en position sur un petit mamelon pour y attendre l’ artillerie qui achevait de passer et se lança avec ses irréguliers au pas de course, vers Médine, à travers les cases du village détruit de Komentara. Ce ne fut qu'au moment où il arrivait à 150 mètres du fort et traversait le dernier ravin, que l'on aperçut d'une part, les Toucouleur cachés dans une foule d'embuscades et bloquant le fort à le toucher et d'autre part, les défenseurs sortir de leurs murs en poussant des cris pour les chasser, de concert avec nous.
Les Toucouleur montrèrent jusqu'au dernier moment une audace incroyable; poursuivis, cernés, ils ne faisaient pas un pas plus vite que l'autre et se faisaient tuer plutôt que de fuir, tant était grande leur exaspération de voir leur échapper une proie qu'ils tenaient déjà si bien.
Les défenseurs, le commandant Paul Holl en tête , se jetèrent dans les bras de leurs libérateurs, avec une joie qu'il est inutile de décrire.
Mais quel spectacle navrant pour ces derniers ! Plus de 6,000 individus, en grande majorité femmes et enfants, entassés presque sans abri et au milieu des immondices dans un espace de moins de 5.000 mètres carrés...., le fort, qui a 30 mètres de côté, en contenait plus de 300. La faim se peignait sur tous les visages; depuis plus d'un mois, on ne se nourrissait que de quelques arachides et on n'avait pas de bois pour les faire cuire. Les maladies ravageaient cette multitude affamée, et pour achever le tableau, 3 à 400 cadavres ennemis dans un affreux état de putréfaction, au pied de l'enceinte, empestaient l'air environnant.

L'ennemi ayant été repoussé hors de vue de la place, toute la population sortit en toute hâte, n'ayant pas assez d'expressions ni de gestes, pour témoigner sa reconnaissance au gouverneur Louis Faidherbe, ainsi qu'à ses officiers et à ses troupes. Ceux qui ont assisté à un pareil spectacle ne l’ oublieront jamais.
Les femmes se précipitaient sur les moindres morceaux de bois, comme si c'eût été des objets précieux, pour allumer un peu de feu et faire bouillir des racines, d'autres cueillaient et mangeaient de l’ herbe crue.
On se mit aussitôt à nettoyer les environs pour faire disparaître les causes d'infection qui eussent pu devenir fatales, et à faire évacuer le fort pour y installer les troupes.
Les officiers qui prirent part à cette belle journée étaient MM. le chef de bataillon Sardou, commandant l’ artillerie, le capitaine du génie Fulcrand et le lieutenant du génie Fajon, commandant les ouvriers noirs, M. le lieutenant de vaisseau Brossard de Corbigny, commandant les compagnies de débarquement du Galibi, du Guet-Ndar et quelques hommes de la Couleuvrine, M. de Butler, enseigne de vaisseau, commandant la compagnie de débarquement du Podor, MM. Bellanger et Chauvault, lieutenant d'infanterie de marine et Guizeri, sous-lieutenants, Alioun-Sal, sous-lieutenant indigène de spahis, M. le docteur Luzet qui depuis six semaines, avait partagé les dangers et les efforts du commandant du Guet-Ndar pour secourir Médine, M. Blin, chirurgien du Podor et M. Descemet, sous-lieutenant d'état-major remplissant les fonctions d'officier d'ordonnance.
Tous avaient rivalisé de dévouement pour faire réussir une entreprise aussi difficile et aussi importante que la délivrance de Médine. Les contretemps arrivant les uns après les autres pendant quatre jours, n'avaient pu abattre les courages; les esprits s'étaient mis à la hauteur de l'entreprise dont il fallait atout prix venir à bout. M. Millet, enseigne de vaisseau, commandant le Basilic y avait de son côté concouru de toutes ses forces à l'œuvre commune. Il eut, le jour même, la satisfaction de mouiller devant le poste et d'y déposer ses approvisionnements.

Le 19 juillet 1857, la colonne, avec les gens de Médine, alla pousser une reconnaissance au delà des cataractes du Félou, sur la route de Sabouciré où se trouvait encore l' armée ennemie, et MM. Brossard de Corbigny et de Butler, avec leurs compagnies de débarquement, allèrent brûler le village ennemi de Kounda, abandonné à leur approche par les Toucouleur .
Pendant ce temps, on gravait une inscription sur les roches du Félou pour rappeler le souvenir de ces mémorables événements.

Le 20 juillet 1857, le gouverneur Louis Faidherbe, renvoyant les bateaux à Saint-Louis, pour lui amener des forces qui lui permissent d'aller à son tour assiéger Al Hadji dans Saboucîré, resta de sa personne à Médine pour soutenir le courage de ses défenseurs.

Le 23 juillet 1857, un brillant combat fut livré par la garnison aux gens d’ Al Hadji réunis à une armée de secours qui lui arrivait du Fouta.
Ces Toucouleur , venant du Fouta avec leurs familles et leurs troupeaux, avaient traversé le Bondou au commencement de juillet. Les gens de Bakel, ainsi que des Maures Douaïch allèrent les attaquer au passage, mais, moins nombreux qu'eux, il furent obligés de chercher un refuge dans le tata de Gabou après avoir perdu quelques hommes. Les Toucouleur les y poursuivirent et essayèrent de les y forcer, mais il furent repoussés à leur tour avec d'assez grandes pertes. Sur ces entrefaites, Boubakar-Saada arriva avec les gens de Sénoudébou, tomba sur les Toucouleur , leur tua une trentaine d'hommes, leur prit 19 chevaux et les mit en déroute. Le chef de l'émigration El-Féki fut tué dans le combat ainsi que d'autres guerriers marquants du Foula.

À la suite de cette défaite, une partie de la bande était retournée dans le Fouta avec les blessés, et l'autre beaucoup plus nombreuse avait continué sa route en passant par Boulébané, Cousam et Ndangan où elle avait passé le Falémé.
Elle était entrée le 20 juillet 1857, dans Farabana, qu'elle avait trouvé abandonné, et le 22, elle arrivait à Gondiourou, à deux lieues de Médine. Al Hadji , averti de sa venue, avait envoyé une partie de ses forces à sa rencontre le 22 au soir. Le lendemain matin, s'étant mis tous en marche, ils vinrent jusqu'au ravin qui est à 3/4 de lieue de Médine, sur la route de Gondiourou, pour se rendre à Sabouciré.
La nouvelle de leur approche était arrivée à Médine, comme nous l'avons dit ci-dessus, cinq jours après la délivrance de la ville, le 23 juillet 1857, le gouverneur Louis Faidherbe sortit à la tête des forces peu nombreuses qu'il avait gardées avec lui et dont 120 hommes, des meilleurs, avaient encore été distraits la veille pour aller chercher un troupeau de bœufs à Makhana.
La sortie ne se composait donc que de 50 soldais blancs, un obusier avec quelques canonniers, 25 laptots, 100 ouvriers noirs du génie et environ 150 Khassonké ou Bambara de Médine.
La rencontre eut lieu au ravin même et les Toucouleur défendirent vigoureusement la position. Mais ils ne purent résister à l'élan des nôtres entraînés par l'exemple de leurs chefs. Nous coupâmes eu deux la ligne de bataille de l'ennemi en la pénétrant ; M. Brossard de Corbigny avec ses laplots et M. Fajon avec ses ouvriers, en rejetèrent vivement une partie à gauche sur les contre-forts du mont Gondiourou, pendant que le gouverneur Louis Faidherbe, avec les cinquante soldats blancs, se heurtait au corps principal sur notre droite, et qu'un grand nombre rétrogradait déjà par le col où passe la route de Gondiourou.
Cependant l’ ennemi était excessivement nombreux et son feu très vif. Au moment du choc et en quelques minutes, nous eûmes de nombreux blessés. M. Descemet, sous-lieutenant d'état-major, fut atteint au ventre d'une balle mortelle qui avait, en passant, contusionné la main du gouverneur Louis Faidherbe; M. Guizeri, sous-lieutenant d'infanterie de marine, reçut une balle dans le ventre et M. Luzet, une contusion à la tête par une balle qui traversa son chachia. Trois sergents sur cinq furent atteints: Cruvelhier au bas ventre, Dasle en pleine poitrine, Desplats, le sergent du siège de Médine, à la cuisse. Deux soldats d'infanterie furent traversés de part en part et 6 autres blessés plus ou moins grièvement; 2 laptots, 10 ouvriers du génie et 12 Khassonké ou Bambara furent atteints. En tout, 39 hommes touchés, dont 7 moururent peu de temps après. Mais l'ennemi fit des pertes bien plus considérables par notre fusillade plus nourrie encore que la sienne à 30 pas de distance, et par la mitraille de notre obusier, très bien commandé par le sergent Soileau et dont deux coups surtout furent très heureux.
Profitant de notre avantage, nous coupâmes une partie du convoi ennemi et on s'en empara. Quant au reste, il s'enfonça dans les gorges de la montagne avec toute l’ émigration en désordre.
La colonne rentra lentement à Médine avec ses nombreux blessés et beaucoup de butin. L'ennemi laissait plus de 50 morts sur le champ de bataille au moment où nous en restâmes maîtres. Les blessés devaient être nombreux en proportion, et les jours suivants, on remarquait des nuées de vautours le long de la ligne de collines qu'il avait suivie pour retourner à Sabouciré.
Dans l'après-midi, une partie du convoi des Toucouleur (l'autre dégoûtée s'en retournait dans le Foula) voyant tout le monde rentré à Médine, revint s'engager dans une vallée du mont Gondiourou qui va à Sabouciré; on lui envoya quelques obus et quelques fusées de guerre qui la mirent de nouveau en déroute.
Les Toucouleur comprenaient que si le gouverneur Louis Faidherbe était resté à Médine en faisant descendre les bateaux, c'était pour envoyer chercher des forces qui lui permissent d'aller les assiéger dans Sabouciré. Ils ne se sentaient pas trop disposés à l'attendre. Al Hadji déclara que n'espérant pas pouvoir résister aux blancs, il allait se retirer à Dinguiray, son village du Fouta-Dialon, avec tous ses fidèles et tous ses biens.

Les renforts demandés à Saint-Louis furent amenés à Bakel, le 11 août 1857, sur le Podor, le Rubis et le Serpent et le Grand-Bassam par M. le commandant supérieur de la marine Duroc. Ils consistaient en 200 hommes d'infanterie européenne, 100 hommes d'infanterie indigène, 70 hommes, d'artillerie, avec 40 mulets et 3 obusiers et 100 volontaires de Saint-Louis.

A l'arrivée de ces forces, Al Hadji venait de quitter Sabouciré après en avoir détruit le tata. Il s'éloignait de Médine pour éviter notre rencontre, en remontant le Sénégal sur la rive gauche.
Il n'y avait dès lors plus d'espoir de se mesurer avec lui; on se décida à aller enlever de suite Somsom-Tata dans le Bondou, la ville la plus forte de tous le haut pays, devant laquelle le commandant de Sénoudébou et l' almamy Boubakar se trouvaient depuis douze jours , sans pouvoir la prendre , quoiqu' ayant déjà lancé sur elle une centaine d'obus.
La forteresse de Somsom, placée sur le marigot de Balonkholé et au pied d'une chaîne de collines rocheuses, à moitié chemin entre Bakel et Sénoudébou, avait environ 300 mètres de tour. Le mur avait 5 mètres de hauteur et 1m 20 d'épaisseur en bas.
Il était construit en pierres, terre glaise et paille hachée ; 18 tours à étage , faisant office de bastions, garnissaient l'enceinte. Dans certains endroits, il y avait double ou triple enceinte. Dans l'intérieur se trouvait un réduit dont l'enceinte était garnie de 4 autres tours. Ce fort fut construit il y a environ 40 ans, par l'almamy Toumané, et il était tout à fait imprenable pour les indigènes. Les obusiers de montagne ne pouvaient y faire brèche, sa prise nécessitait l’ emploi d'une artillerie plus puissante ou de la mine.
Il y avait un an qu'Al Hadji avait mis aux fers et enfermé dans Somsom un prince de la famille des Sissibé, nommé Ala-Khassoum, parce qu'il le soupçonnait d'être du parti de notre almamy Boubakar.
L'investissement par Boubakar avait eu lieu le 31 juillet 1857; il avait surpris dehors une partie du troupeau et enlevé quelques greniers de mil, mais la population s'était renfermée dans le fort et Malikle chef, à la sommation de Boubakar, d'avoir à lui rendre le prince prisonnier, avait déclaré qu' Ala-Khassoum lui ayant été confié par Al Hadji , il se ferait tuer lui et les siens plutôt que de le rendre à un autre.

Le 1er août 1857 les assiégeants, après avoir envoyé quelques obus contre l'enceinte, s'étaient précipités sur les portes , mais ils avaient été repoussés après avoir eu 11 hommes tués ou blessés. L'affût de l'obusier était brisé, on bloqua la place.

Le 3 août 1857, ayant reçu un autre affût de Sénoudébou, on parvint à faire un petit trou à l'enceinte et on essaya de l'agrandir à la pioche, sous le feu des créneaux, et de pénétrer par là. Quatre hommes parvinrent à entrer, à leur tête le gourmet des laptots de Sénoudébou Massamba-Guèye ; mais celui-ci ayant été tué et les autres blessés, on battit en retraite avec une perte de 8 hommes. A ce moment, Malik croyant que le tata allait être pris, s'empressa de tuer Ala-Khassoum, quoiqu'il fût son oncle.

Du 3 au 12 août 1857 inclus, on se contenta de continuer à bloquer la place, échangeant quelques coups de fusil avec les tours et lançant quelques obus dansl'intérieur. Les assiégés se moquaient de Boubakar et lui disaient que jamais il n'entrerait dans Somsom-Tata. Il eut été du plus mauvais effet dans le pays de ne pas le prendre, après s'y être servi de l'artillerie. Aussi le gouverneur Louis Faidherbe était-il décidé à le prendre à tout prix.

Le 13 août 1857 , la colonne débarqua à Iaféré ; on voulut se mettre en route à deux heures du matin, mais on se jeta dans un marais impraticable et il fallut attendre le jour, à la pluie et au milieu d'une nuée de moustiques.
A six heures on se remit en marche; à sept heures on trouva un terrain détrempé par la pluie où les mulets s'abattirent. Il fallut les décharger et même, haut le pied, ils passèrent avec la plus grande difficulté.
Traversant ensuite un pays magnifique, on arriva à six heures du soir à Somsom, et la vue de cette forteresse indigène ne rassura pas beaucoup les esprits. On campa à portée de fusil du fort, derrière un pli de terrain. On recommanda au commandant de Sénoudébou et à Boubakar, de mettre tout leur monde à garder les deux portes pendant la nuit. Le lendemain on devait canonner le fort avec 2 obusiers placés sur une hauteur qui le domine à environ 400 mètres et d'où l'on voit dans l’ intérieur; le soir, on devait occuper de vive force une petite mosquée extérieure placée à 15 mètres de distance d'un des angles de l’ enceinte, pratiquer pendant la nuit une mine sous cet angle de l’ enceinte, le faire sauter et le 15, à la pointe du jour, enlever Somsom d'assaut par la brèche.
Mais Malik et ses gens, effrayés par l'arrivée des troupes comprirent qu'ils étaient perdus, et, vers minuit, dans une obscurité complète, ils sortirent avec tout leur monde. Ceux qui gardaient les portes les fusillèrent et coururent dessus. Une vingtaine de fuyards furent tués, 400 restèrent prisonniers entre nos mains, presque tous femmes et enfants, ainsi que les troupeaux.
Malik, avec le quart de son monde, parvint à se sauver. Aussitôt après on entra dans le tata, qu'on livra au pillage, où l’ on trouva quelques blessés abandonnés.

Le lendemain matin, au moyen de deux mines on fit sauter les principales tours ; on fit une autre grande brèche à la pioche et on brûla toutes les cases. La prise de Somsom nous avait coûté en tout, 27 hommes tués ou blessés ; la perte des assiégés, en tués ou blessés, n'avait pas été au delà de 40 à 5O personnes, malgré la grande consommation d'obus faite avant l'arrivée des troupes.

Le 15 août 1857, dans la journée, la colonne reprit le chemin du fleuve. On bivouaqua la nuit au village de Marsa, et, le 16 au matin, on arriva à Iaféré; tout le monde s'y embarqua pour Médine où l'on arriva le 17 au soir, sans accidents.
Le Rubis resta mouillé en dessous des petites cataractes, tous les autres bâtiments mouillèrent devant Médine; nous y apprîmes qu'Al Hadji se dirigeait vers le Fouta-Dialon; il était déjà à six jours de marche de distance.

Pour tirer parti des forces qu'il avait sous la main et pour débarrasser Médine d'un voisinage gênant, le gouverneur Louis Faidherbe résolut d'attaquer Kartoum-Sambala qui était établi à Kana-Makhounou, avec les Khassonké du parti d'Al Hadji , à six lieues du fleuve, vers la frontière du Kaarta.
Le 17 août 1857, les troupes furent mises à terre sur la rive droite, au nombre de 900 hommes. Pendant la nuit, on passa les volontaires de Médine et les contigents alliés des Bambara du Kaarta et des Mandingues du Bambouk, au nombre de 1.500 hommes environ. Nous essuyâmes une forte tornade pendant la nuit.

Le 18 août 1857, à cinq heures et demie du matin, on partit par la route des cataractes et de Fatola; mais arrêtée par un marigot, la colonne fit un changement de direction à gauche pour marcher directement sur Kana-Makhounou. Entre le fleuve et Kana-Makhounou, on voyage dans une forêt qui ne finit qu'au village même ; celui-ci est sur la rive droite d'une des branches du marigot qui vient se réunir au fleuve par Khoulou, vis-à-vis de Kéniou.
Après avoir fait la grande halte, à moitié chemin, sur le bord d'une mare, on se remit en marche, à midi, en deux colonnes. Une colonne légère composée de tous les volontaires et alliés, des soldats noirs, des laptots et d'un obusier, commandée par M. le capitaine de frégate Duroc, et une colonne de réserve composée de l’ infanterie européenne, de l’ arlillerie et du convoi aux ordres du commandant d'artillerie Sardou.
A peine en marche, nous reçûmes une énorme averse qui eut bientôt converti toute la forêt en un vrai lac. Les volontaires avaient sur nous un immense avantage, ils se mettaient complètement nus, et renfermaient leurs vêtements dans leurs peaux de bouc, ils les en tiraient secs après la pluie.
Le terrain, qui est de terre très grasse, se détrempa, se défonça par le passage de la première colonne, de sorte qu'il devenait impossible à la seconde d'aller plus loin, les mulets ne pouvant plus faire un pas sans tomber. M. le commandant Sardou choisit une position et bivouaqua.
Le gouverneur Louis Faidherbe poursuivit sa route avec M. le commandant Duroc et sa colonne, et, à deux heures et demie, nous arrivâmes au bord du marigot, à portée de fusil du village. Quelques hommes qui étaient aux champs nous aperçurent et donnèrent l'alarme. Aussitôt 3 obus furent lancés sur le tata et tout le monde se jeta à l'eau pour envahir le village. C'était un spectacle excessivement curieux que de voir près de 2.000 hommes passant, serrés les uns contre les autres, le torrent grossi par les pluies et écumant au milieu des roches.
Le bruit du canon ayant ôté à l'ennemi toute envie de résister, quoiqu'il y eût 2 tatas assez vastes et assez bien construits, ce ne fut bientôt qu'une poursuite générale et dans toutes les directions, chacun ramenant des prisonniers, des bœufs, des charges de butin.
M. Duroc, avec ses compagnies de débarquement commandées par MM. Lebrun, Pottier et Gaillard, poursuivit vivement les fuyards, On enleva beaucoup de bijoux, d'effets et d'ustensiles de ménage, des provisions en grande quantité, 800 femmes ou enfants, 500 vaches, un grand nombre d'ânes, de chèvres, de moutons et quelques chevaux. On tua quelques hommes à l'ennemi et, de notre côté, nous eûmes 2 hommes tués et 3 blessés. On mit le feu au village, on démolit les deux tatas et l’ on revint passer la nuit sur la rive gauche du marigot.

Le 19 août 1857, à cinq heures du matin, la colonne d'avant-garde, après avoir passé une nuit très pénible dans son bivouac boueux, sans tentes et sans ses bagages, reprit le chemin de Médine.
Ce ne fut qu'avec des peines inouïes qu'elle put faire passer son obusier dans le terrain détrempé de la forêt, où les chevaux et les mulets s'enfonçaient jusqu'au poitrail et tombaient à chaque pas.
Après quatre heures d'efforts surhumains, elle parvint à atteindre la colonne de réserve et se reposa quelques heures, puis tout le monde se remit en marche pour Médine, et, après avoir encore passé quelques mauvais pas, ils y arrivèrent vers quatre heures du soir.

Le lendemain, toutes les troupes s'embarquèrent sur le Podor, le Rubis et les deux écuries, pour retourner à Saint-Louis, où elles arrivèrent le 27 août 1857.
En somme, nous avions débarrassé le Bondou et le Khasso des bandes d' Al Hadji , nos postes étaient dégagés, respiraient à l' aise, et le prophète était en pleine retraite, à la grande mortification de ceux qui lui croyaient un pouvoir surnaturel. La colonne ramenait beaucoup de malades. Nous n'avions eu que quelques morts à déplorer, outre celle du si regrettable Roger Descemet, entre autres celle de M. Bellanger, lieutenant d'infanterie de marine.

Le 28 août 1857, M. le lieutenant de vaisseau Brossard de Corbigny ayant réuni les forces de Boubakar-Saada du Bondou et de Bougoul de Farabana, les dirigea contre Ndangan et Sansandig, villages hostiles de la Falémé, qui avaient fait traverser les renforts du Fouta pendant le siège de Médine ; à cet effet, il remonta la Falémé sur le Grand-Bassam, capitaine Marteville. Vingt-cinq prisonniers furent, faits à Ndangan et le village pillé, brûlé et rasé ; la population se réfugia à Djenné. Les gens de Sansandig qui venaient à leur secours au nombre de 300 fusils, tombèrent dans la colonne de nos alliés et furent battus et dispersés en laissant 38 morts sur le champ de bataille et des blessés. Deux heures après, nos alliés arrivaient en même temps que le Grand-Bassam devant Sansandig.
Des obus mirent le feu au village et les défenseurs démoralisés abandonnèrent le tata. il les poursuivit, fit 464 prisonniers; prit 250 bœufs et beaucoup de chèvres; de plus nos alliés firent d’ amples provisions de maïs.
Ils n’eurent que quelques hommes blessés et 3 chevaux tués. Parmi les morts de l’ ennemi étaient le chef de Samba-Yaya, 4 fils des chefs de Sansandig et le fils du chef de Djenné.

Profitant de l'humiliation d'Al Hadji et de sa retraite dans le Bambouk après le siège de Médine, Sémounou réoccupa le Natiaga à la fin d'août.

En septembre 1857,Niamodi, réoccupa le Logo, et le Bondou se soumit tout entier à Boubakar-Saada; mais en même temps les Toucouleur , revenant du Kaarta vers le Fouta, renforçaient les villages ennemis de Guémou et de Komendao et interceptaient ainsi la route des caravanes maures.

Le 12 septembre 1857, le troupeau de Bakel fut enlevé par une de leurs bandes qui retournait dans le Fouta. Le maréchal des logis Larousse avec le brigadier Abdallah, cinq spahis et Malamine, fils de l’ interprète du poste, les atteignirent à quatre lieues de Bakel, tuèrent cinq des voleurs et en ramenèrent deux qui furent fusillés.

Les affaires d'Al Hadji ne donnant plus d'inquiétude dans le haut du fleuve, on dut s'occuper de punir le Damga, qui, non content d'envoyer tous ses guerriers partout où Al Hadji cherchait à nous nuire, avait encore osé attaquer des embarcations de commerce dans le fleuve.
M. Escarfail, lieutenant de vaisseau, capitaine du Podor fut chargé de cette opération en se rendant à Bakel.
À Nguiguilon, il chassa les habitants du village au nombre de 250 fusils, avec 35 hommes de son équipage, renforcés par 40 ouvriers noirs du génie commandés par M. Guiol, conducteur des travaux; il brûla le village et n'eut qu'un blessé. A Sadel, le village ne fut pas défendu, il fut brûlé par le capitaine de rivière Numa avec 20 hommes ; Numa reçut une balle morte.
À Ondourou, le lieutenant du Podor Arnaud, brûla le village en n'ayant qu'un homme blessé. Koundel, Bemké, Ngaoudiou, Bédemké Beldialo et Garly éprouvèrent le même sort.
À Tchiempen, les Toucouleur très nombreux se défendirent vigoureusement contre le capitaine du Podor et tout son monde ; le village fut enlevé et brûlé, l’ennemi fit des pertes notables, nous eûmes deux laptots grièvement blessés.
300 Toucouleur suivirent le bâtiment à partir de Garly, ils furent décimés par la mitraille. Delol, Tiali, Ndiangan, Kanel-Sambasiré , Tinali, Barmatch, Orndoldé et Bapalel furent brûlés sans résistance.
À Gouriki, le village fut défendu et brûlé après une lutte de dix minutes pendant laquelle nous eûmes deux hommes tués. On canonna Garanguel, dont on ne put s'approcher à cause des bas-fonds; les obus firent des ravages dans les groupes : Séré, Badala, Badiki, Barkédji et Gourmel furent canonnés ou brûlés, les habitants de ces trois derniers villages suivirent le Podor et se firent mitrailler.
À Ouaouandé, le village fut défendu pied à pied, mais brûlé; nous eûmes deux hommes tués.
À Guellé, l’ ennemi étant trop fort pour que l’ on pût débarquer, le bâtiment fut seulement accosté et le nommé Ousmam, infirmier, sauta à terre et brûla un quartier du village. 3 à 400 hommes suivirent le bâtiment pendant deux niilles, malgré la mitraille et les obus. On brûla Bitel, Lobali, Adabéré, Verma et Dembacané, le dernier village du fouta, sans trouver de résistance. Cette sévère leçon consterna les Toucouleur ,

Octobre 1857, pour assurer à l'avenir la navigation de cette partie du fleuve contre les violences des Toucouleur , on construisit la tour de Matam. Les populations voisines tentèrent de s'y opposer par des attaques réitérées.

Dans la nuit du 6 au 7 octobre 1857, malgré la canonnière la Stridente capitaine Ronin, mouillée à portée de pistolet, et le tata provisoire où couchaient les ouvriers à terre, les Toucouleur s'emparèrent de la tour commencée qui avait à peu près 2 mètres de haut; ils y restèrent toute la nuit, malgré le feu violent d'artillerie dirigé contre eux et ne furent délogés que le matin par les ouvriers. Ils eurent plus de 50 hommes tués, dont 10 furent laissés par eux dans la tour même. Nous eûmes un homme tué et 3 blessés.
Le même jour, près de là, à Civé, où l'on extrayait les pierres, les travailleurs furent cernés et séparés du fleuve ; le capitaine du Serpent l'enseigne Bouillon, les dégagea avec sa compagnie de débarquement et repoussa vigoureusement l'ennemi. Le caporal du génie Toureille se fit remarquer par son intrépidité. Le gourmet Oursek fut tué et cinq ouvriers du génie blessés.

A la suite de ces deux affaires et grâce à une compagnie de tirailleurs sénégalais envoyée sous les ordres de M. le lieutenant Lemaire pour protéger le travail, il ne fut plus inquiété jusqu'à son achèvement.

Pendant ce temps, dans les environs de Bakel, les caravanes maures passaient en se battant avec les gens de Guémou, et les Bambara réfugiés chez nous faisaient des razzias sur les Toucouleur qui revenaient de l’armée d'Al Hadji .
Une bande de ceux-ci enleva un chaland de traitant dans la Falémé, un homme fut tué et une femme prise ainsi que les marchandises.

En novembre 1857. Les gens des environs de Matam, ne pouvant encore prendre leur parti au sujet de la tour, vinrent en assez grand nombre faire une dernière tentative et enlever le troupeau du poste pour attirer la garnison au dehors. Ils furent facilement repoussés et le troupeau leur fut repris immédiatement.

La Bourrasque, capitaine Ravel, fut mise en station pour l' année, à Matam, pour protéger au besoin ce nouveau poste.

Vers cette époque, une colonne de cavalerie des Ouled-Sidi-Mahmoud, eut une affaire sérieuse avec le village de Guémou. Ils dirent avoir tué une trentaine d'hommes et enlevé 60 prisonniers et 200 bœufs. Les Guidimakha se trouvaient ainsi traqués de tous côtés, car Tierno-Guibi et Kartoum-Sambala attaquaient ceux de leurs villages qui n'étaient pas assez partisans d’ Al Hadji .

Dans le Bondou dépeuplé, Ndioum (Ferlo) s'était rétabli sous les ordres d'un Toucouleur partisan d'Al Hadji , Mamadi-Dialo ; Boubakar-Saada alla le bloquer, mais il fut incapable de le prendre, malgré toute l'importance qu'il attachait à cette opération. Voyant cela le commandant de Bakel, capitaine Cornu, résolut de l’y aider.
Il partit avec deux obusiers de montagne et une vingtaine de soldats et laptots et se réunit à une armée de 2.000 hommes, Bondouké et Malinké, que Boubakar avait rassemblés.
Arrivés à Ndioum, ils brûlèrent le village au moyen des obus; mais les habitants défendant malgré cela leur enceinte avec beaucoup de vigueur, l'armée du Bondou se débanda après quelques assauts infructueux. M. Cornu et Boubakar, se trouvant réduits à quelques hommes, durent battre en retraite devant une sortie des assiégés, abandonnant les deux obusiers dont les affûts étaient cassés et qui sont tombés entre les mains d'Al Hadji .
À la suite de cette affaire, les gens de Ndioum abandonnèrent leur village et ce petit échec de nos armes, ou plutôt de notre allié, n'eut aucune influence fâcheuse sur l'heureuse situation où étaient alors nos affaires du haut pays. Mais, malheureusement, tout allait bien tôt changer de face.

À la fin de 1857, comme nous venons de le voir, les états du haut fleuve se reconstituaient grâce à l’ absence d'Al Hadji , retiré au fond du Bambouk et réduit, en apparence du moins, à un état d'impuissance complète à la suite de son affront de Médine ; le Damga avait été sévèrement rappelé à l’ ordre et châtié par nous; le fort de Matam était construit et les Maures du haut pays, même les Ouled-Sidi-Mahmoud, tribu très fanatique, attaquaient vigoureusement les Guidi-Makha qui cherhaient à mettre des entraves au commerce de Bakel. Enfin, tout était en voie de pacification. Cette heureuse situation ne devait pas durer longtemps.

Convention passée à Bakel le 1er novembre 1857, entre la France et le Roi des Douaïch

Convention passée à Bakel le 1er novembre 1857, entre la France et le Roi des Douaïch. - Sources : Recueil des Traités de la France (Jules de Clerq) Tome 7 page 341 – Gallica-BNF.


Sources: Annales sénégalaise de 1854 à 1885, publié avec l' autorisation de Ministre de la Marine en 1885, par Maisonneuve frères et Ch. Lecclerc, éditeurs à Paris 25, quai Voltaire. -Source Gallica - Bnf.

Le 1er novembre 1857, à Bakel, Louis Léon César Faidherbe, Gouverneur du Sénégal, considérant qu’il est juste que les Cheikh des nations Maure Douaïch, Brakna, Trarza tirent un revenu du commerce de la gomme, produit de leurs forêts; récolté et apporté à nos comptoir par leurs sujets, passe une convention avec Bakar chef des Douaïch, il consent qu’ils fissent percevoir à leur profit dans nos postes du fleuve, un droit d’environ 3 % sur la valeur des gommes apportées de la rive droite, ce qui ferait en traduisant en guinée, suivant l’usage :
à Saint-Louis, Dagana et Podor, 1 pièce de guinée pour 500 kg de gomme
à Matam 1 pièce de guinée pour 700 kg de gomme
à Bakel, 1, pièce de guinée pour 800 kg de gomme
à Médine, 1 pièce de guinée pour 900 kg de gomme
À cet effet le chefs des trois nation Maure : le Cheiks des Douaïch à Bakel et Matam, le Cheikh des Brakna à Podor, le Cheikh des Traraz à Dagana et Saint-Louis auraient des représentants dans les comptoirs à hauteur de leurs territoires respectifs…

Convention passée à Bakel le 1er novembre 1857, entre la France et le Roi des Douaïch

Convention passée à Bakel le 1er novembre 1857, entre la France et le Roi des Douaïch. - Sources : Recueil des Traités de la France (Jules de Clerq) Tome 7 page 341 – Gallica-BNF.


Dès le mois de mars 1858, on fit courir le bruit qu'Al-Hadji faisait des préparatifs pour sortir de sa retraite du Bambouk et se rapprocher de la Falémé. Ses émissaires parcouraient déjà le Bondou pour le soulever contre Boubakar-Saada et l’ almamy du Fouta Mahmadou se mettait, chose incroyable, à construire par son ordre un barrage sur le Sénégal, à Garly, pour nous interdire la navigation du haut du fleuve.

Pour punir quelques agressions, M. Girardot, commandant du poste de Médine et Sambala réunirent leurs forces, et enlevèrent Koniakari dans le Diombokho, pendant que les guerriers du village étaient en expédition contre les Maures qui leur avaient enlevé leurs troupeaux. Le chef, Tierno-Guibi, un des principaux lieutenants d'Al-Hadji, parvint à peine à se sauver; on fit un butin considérable en mil et en bestiaux.

Malheureusement, quelques semaines après, Tierno-Guibi, ayant rassemblé toutes ses forces, vînt enlever à son tour et détruire, tout en essuyant des pertes considérables, le village de Tamboucané, avant qu'il ne pût être secouru de Médine, Presqu'au même moment, Al-Hadji entrait de sa personne dans le Bondou.
Bougoul de Farabana et ses Malinké s'étaient déjà réfugiés sous les canons de Sénoudébou, ainsi que Boubakar-Saada avec ses partisans peu nombreux, car presque tout le Bondou l’ avait encore une fois abandonné.

Le 20 mars 1858, l’ armée ennemie était à Gondiourou, près de Sambacolo, à cinq lieues de Sénoudébou, et nos postes faisaient en toute hâte leurs préparatifs de défense.

Pendant le mois d'avril, les partisans d'Al-Hadji relevèrent partout la tète et reprirent l'offensive sur tous les points.
Une avant-garde de 20 de ses cavaliers traversa même le Fouta et arriva jusqu'à Aloar , près de Podor, pour disposer les esprits en sa faveur dans le Toro.
Le 15 avril 1858, Al-Hadji était à Boulébané, capitale du Bondou, où il resta un mois. II fit tous ses efforts pour décider son armée à attaquer Sénoudébou, mais ce fut en vain ; quelques cavaliers osèrent seuls s'en approcher et furent vivement poursuivis par Boubakar-Saada.

Mai 1858, Le prophète fit brûler tous les villages du Bondou, il en fit enlever toutes les populations qui ne s'étaient pas réfugiées à Sénoudébou ou à Bakel, pour les envoyer sur la rive droite du Sénégal et peupler ses États du Kaarta.

Le 13 mai 1858, il quitta Boulébané avec une armée de 2000 hommes et une multitude de femmes et d'enfants; il passa la journée à Bordé, près de Bakel et voulut en vain envoyer ses cavaliers contre cette ville ; malheureusement le poste n'avait pas de forces suffisantes pour aller l'attaquer lui-même.

A la fin de mai 1858, Al-Hadji pénétra enfin dans le Fouta et s'établit à Kanel, d'où il voulut forcer tous les habitants du pays à émigrer dans le Kaarta comme ceux du Bondou; mais les Bosseyabé, les Irlabé et les Laonkobé (Fouta central) se montrèrent très peu disposés à lui obéir; le Toro commença à commettre des désordres autour de Podor à l'exemple du prophète qui se mit à piller et même- à massacrer les Maures qui lui tombèrent sous la main, sur la rive gauche et même sur la rive droite.

Lors du passage d' Al-Hadji près de Bakel, le village de Diaguila lui-même, qui nous était toujours resté fidèle en apparence, alla s'établir à Samba-Kandié pour arrêter les caravanes; quelques hommes du poste et 800 volontaires de Bakel allèrent détruire ce village; puis, quelques temps après, on fit subir le même sort au village de Kounguel, où ces mêmes gens hostiles de Diaguila s'étaient réfugiés. Le spahis Mamadou se distingua par sa bravoure et fut blessé dans cette affaire.

Juin 1858. Profitant de l’ éloignement de leur nouveau maître, les Khassonké et les Diavara du Kaarta se révoltèrent contre lui , et Sémounou , chef de Natiaga, n'osant pas encore se maintenir dans son pays, alla du moins s'établir à Ndangan, port de Kéniéba, avec notre autorisation et en vue de notre prochaine arrivée dans ce pays.

Juillet 1858. En effet, l’ occupation de Kéniéba (Bambouk),pour l'exploitation des mines d'or, avait été décidée par le Gouvernement; et, en conséquence, après avoir eu soin de faire transporter d'avance à Podor une quantité considérable de charbon et de matériel, le gouverneur partit dès le 4 juillet 1858 de Saint-Louis avec M. le commandant supérieur de la marine Robin et les avisos le Basilic, le Serpent, le Grand'Bassam, le Crocodile, le Griffon et la canonnière la Stridente, et le Rubis accompagnait cette flottille jusqu'à Mafou. On remorquait en outre, les écuries le Basilic et le Serpent, le brick le Mont-d’Or et sept chalands.

Les circonstances avaient bien changé depuis qu'on avait décidé l'occupation de Kéniéba. Cette résolution avait été prise lorsqu'on croyait Al-Hadji anéanti au fond du Bambouk, et il était alors redevenu plus puissant que jamais et se trouvait établi dans le haut Fouta; c'était une raison de plus, du reste, pour remonter avec des forces et voir si l'on ne pourrait pas se mesurer avec lui.

Sauf le Grand-Bassam et le Mont-d'Or qui, par leur tirant d'eau relativement considérable, furent arrêtés presqu' au début du voyage, tous les autres bâtiments arrivèrent successivement à partir du 13 juillet 1858, à Garly, après de nombreux échouages;mais là, l'eau manqua tout à fait par suite d'une baisse de quelques jours et il fallut attendre. On acquérait la triste certitude que la crue du fleuve était décidément en retard sur les autres années, car l'année précédente, par exemple, le gouverneur arrivait à Médine avec le Basilic le 18 juillet 1858, et pénétrait dans le Falémé jusqu'auprès de Sansandig, le 4 août 1858, avec le même aviso.

L'eau ne tarda pas cependant à remonter un peu, et, le 19 juillet 1858, on put se remettre on route, le personnel étant déjà fatigué par de très fortes chaleurs, par les retards et les échouages qui donnaient beaucoup de travail et de tracas à tout le monde.

Comme on le sait, un barrage avait été construit à Garly par les Toucouleurs du Fouta, d'après les ordres d'Al-Hadji et sous la direction de l'almamy.
Il se composait de massifs de 10 mètres de largeur sur 35 mètres de longueur dans le sens du courant, séparés les uns des autres par des intervalles d'un à deux mètres, sans doute, pour laisser passage à l'eau; 1500 hommes y avaient travaillé du 25 février au 25 avril 1858, et ils avaient accumulé au moins 20.000 mètres cubes de bois, de pierres, de terre et de broussailles. Ce travail était fait pour nous interdire le passage. Mais la première crue des eaux avait bouleversé cette construction peu solide, et, quand on arriva, il y avait un petit chenal déjà praticable pour nos petits bateaux. Les crues subséquentes enlevèrent jusqu'aux dernières traces de ce travail.

Al-Hadji était resté jusqu'alors en observation sur le bord du fleuve à Orndoldé, à une douzaine de lieues plus haut et nous ignorions ses intentions.
Mais en arrivant à Garly, nous apprîmes que, nous laissant passer tranquillement pour le haut pays, il venait de descendre en faisant un détour et de s'établir au centre du Fouta à Oréfoudé, très grand village où se fait l'élection des almamys.

Cette manœuvre de notre ennemi nous étonna beaucoup; on avait toujours cru qu'il n'oserait pas s'aventurer dans le Fouta, au milieu de ces Toucouleurs si ombrageux, si jaloux de leur liberté et de leur indépendance; n'osant espérer qu'il nous attendrait pour nous combattre, on pensait que, comme les autres années, il se sauverait devant nous, vers l'est.

Le gouverneur renvoya immédiatement à Saint-Louis M. le commandant Faron et une compagnie d’ infanterie blanche qu'il avait emmenée, ne gardant avec lui que l'artillerie et deux compagnies de tirailleurs sénégalais. Le 20 juillet 1858 on arriva à Bakel.

Après avoir envoyé de Bakel à Sénoudébou l’ artillerie , le train et les deux compagnies de tirailleurs par terre, sous les ordres de M. de Pineau, le gouverneur se rendit en embarcation à Sénoudébou.
Il y trouva la petite colonne de M. de Pineau, qui avait eu de grandes difficultés à vaincre dans son voyage des pluies abondantes, des chemins défoncés, des ravins escarpés à passer et une déroute générale occasionnée par des abeilles, accident très fréquent dans le Bondou et dans le Bambouk. M. de Pineau avait laissé en route une mule avec les reins cassés, deux, autres étaient très malades et un ouvrier noir du génie s'était cassé un bras au passage d'un ravin.

Nous traversâmes la Falémé à Sénoudébou ; un cheval à la nage fut entraîné par un crocodile. Ces animaux sont très dangereux dans la Falémé où ils atteignent des dimensions formidables.
On renvoya encore la compagnie de M. de Pineau à Saint-Louis et, n'en gardant qu'une seule, on partit le 28 juillet 1858, au matin, de Sénoudébou pour Kéniéba, directement par terre. Nous traversâmes un très beau pays; la pluie et l' état du chemin nous génèrent un peu, mais en deux petites marches (5 lieues 1/2 le premier jour, 4 lieues 1/2 le second), nous arrivâmes à Kéniéba. but de nos efforts, de nos espérances et de nos préoccupations depuis plusieurs années. Mais que de peines pour y arriver. Il y avait 23 jours que nous étions partis de Saint-Louis, et nous avions tout laissé derrière nous, matériel et approvisionnements, et nous n'avions de vivres que pour 4 jours.

Les hommes se construisirent des abris en paille contre la pluie qui tombait à verse, en attendant le matériel de campement.
La prise de possession avait donc ou lieu sans hostilités. Peu à peu les matériaux et les approvisionnements arrivèrent et les travaux furent menés avec la plus grande activité par M. le capitaine du génie Maritz.

Août 1858. Pendant son séjour à Kéniéba, le gouverneur passa deux traités de paix : l'un avec Bougoul, chef de Farabana, pour le Bambouk et l'autre avec Boubakar-Saada, almamy du Bondou; il retourna ensuite à Saint-Louis pour observer les mouvements d'Al-Hadji.

Dans le mois de septembre 1858, Al-Hadji, mal vu dans le Fouta central, descendit dans le Toro qui lui était tout dévoué et chercha en vain à soulever le Oualo et le Cayor, où on avait déjà surpris plusieurs de ses émissaires dont on avait fait prompte et sévère justice. Il écrivit au Bourba-Djolof (roi du Djolof) pour l’ entraîner dans sa cause, mais celui-ci déchira sa lettre sans même vouloir la lire.

En octobre 1858, le gouverneur par intérim, M. Robin, établit deux camps composés chacun d'une compagnie de tirailleurs sénégalais et de 25 soldats européens, avec de l'artillerie, l’un à Mérinaghen, sous les ordres du capitaine de Pineau, l’ autre à Dialakhar, sous ceux du capitaine Blondeau.
L'établissement de ces deux camps d'observation avait pour but d'entretenir les pays voisins et surtout le Ndiambour dans leurs bonnes dispositions.
De nouveaux envoyés du prophète furent chassés du Djolof et même pillés et le Bour-ba-Djolof les eût volontiers mis à mort. D'autres furent moins mal reçus dans le Ndiambour, sans avoir obtenu cependant ce qu'ils demandaient. Nos troupes, en parcourant les villages de ces deux pays, y recevaient chaque jour un excellent accueil.

Un autre camp fut également établi à Faneye, dans le Dimar, sous les ordres du capitaine de spahis Baussin, pour ôter aux gens d'Al-Hadji toute envie de pénétrer dans cette province. Une chose singulière, c'est que l’ almamy du Fouta lui-même, écrivit au gouverneur pour lui demander son appui contre Al-Hadji, toujours établi avec quelques centaines d'hommes seulement à Oréfondé.

Pendant ce temps, le haut du fleuve tentait de se soustraire à l’ obéissance du prophète. Les malheureuses populations qu'il avait violemment déplacées cherchaient à retourner dans leur pays.
Le Bondou, le Damga, le Kaméra et le Guoy commençaient à se repeupler ; mais une disette affreuse régnait dans tous ces pays, suite inévitable de la guerre et des déplacements qui n'avaient pas permis de cultiver les terres.

En novembre 1858, une bande de Toucouleurs commandée par Ardo-Guédé et par le fils de Boubakar Aly-Doundou, entra dans le Djolof pour y exercer des pillages; elle fut repoussée avec perte par les gens du pays qui, se sentant appuyés par la présence de nos deux petits camps, agirent avec une grande vigueur. Ardo-Guédé fut grièvement blessé; le fils de Boubakar Aly-Doundou et plusieurs des siens furent tués; le reste fut mis en déroute ou fait prisonnier.

Ainsi la guerre sainte ne gagnait pas dans l'ouest ; malheureusement dans le haut du fleuve, l'alliance des Ouled-Sidi-Mahmoud avec Al-Hadji, portait un terrible préjudice à notre commerce de Bakel et pour bien longtemps.
Al-Hadji était toujours à Oréfondé, où sa position paraissait devenir de plus en plus difficile. Des habitants de quatre ou cinq villages du Toro se réunirent à ses guerriers et allèrent attaquer sur la rive droite, à une vingtaine de lieues au-dessus de Podor, une caravane de Maures du haut pays (Torkos et Tadjakant), qui étaient venus vendre leurs produits à notre comptoir. Ces malheureux marabouts qui n avaient pas d'armes, eurent 6 hommes tués et perdirent 5OO pièces de guinée et 70 bœufs.

Décembre 1858, Al-Hadji quitta Oréfondé sans avoir pu réussir à faire émigrer la population du Fouta. Il n'eut pas plus de succès dans la demande qu 'il adressa ensuite aux chefs du pays, de mettre à sa disposition une armée de 15.000 hommes pour marcher à la conquête du Cayor.
Il se rendît à Boumba, où il reçut un très mauvais accueil de la part de l’ ex-almamy Mohamadou qui, non seulement ne voulut pas aller au-devant. de lui, mais refusa de lui donner l’ hospitalité dans une de ses cases.

Janvier 1859. Profitant de l’absence d' Al-Hadji, les gens du Tomoro, province extrême de Khasso, à l’est, s'étaient révoltés contre lui. Ils appelèrent Sambala de Médine à leur aide et ce dernier fut suivi par Boubakar, notre almamy du Bondou, à qui il venait de marier sa fille.

Arrivés dans le Tomoro avec leurs gens, ces deux chefs furent d'abord assez mal accueillis, et ce ne fut que grâce à l’ opiniâtreté du vieux Sambala qu'on finit par s'entendre. En sa qualité de petit-fils d'Aoua-Demba, qui avait été roi de tout le Khasso, il fut reconnu comme commandant de l'armée alliée.

Tierno-Guiby et ses Toucouleurs accoururent, sans se faire attendre, pour combattre les confédérés. Ceux-ci s'étaient séparés en deux camps, car Sambala et Boubakar craignaient d'être trahis par les Tomoro et se tenaient sur leurs gardes.
Tierno-Guiby aperçut donc, d'une part, les fantassins du Tomoro couverts de pagnes teints en jaune, à la manière du Khasso, et de l’ autre part, les deux rois, avec leurs cavaliers et leur suite, richement vêtus des étoffes brillantes qu'ils achètent à nos comptoirs. Il laissa un des quatre corps de son armée pour surveiller les Tomoro et, avec les trois autres, il s'élança contre l' armée des deux rois en s'écriant : « Voilà les toubab (les blancs), les infidèles ; voilà ceux qu'il faut exterminer d'abord. »
L'espoir du butin et le fanatisme enflammant ses hommes, Sambala et Boubakar, quoiqu' ayant combattu avec beaucoup de courage, furent obligés débattre en retraite. Arrivés à Tountaré tous leurs fantassins, pour qui la retraite devenait de plus en plus dangereuse , se réfugièrent sur des hauteurs d'un accès difficile, et les cavaliers qui ne purent faire comme eux, prirent dès lors franchement la fuite, Sambala et Boubakar en tête, et distancèrent ceux qui les poursuivaient.
Alors Tierno-Guiby fit cerner la montagne par ses gens, et il s'établit de sa personne dans le village, pour faire faire une distribution de poudre et de balles.
Mais, pendant que tout cela se passait, les gens du Tomoro, qui avaient défait le corps qui leur était opposé, avaient suivi Tierno-Guibi poursuivant Sambala. et, au moment où on s'y attendait le moins, ils envahissaient le village de Tountaré.
Tierno-Guibi eut la cuisse cassée par une balle en mettant le pied à l’ étrier, et, en un instant, il fut massacré avec les principaux chefs de son armée .
En même temps les fantassins de Sambala descendaient de leurs rochers, tombaient sur les Toucouleurs et pendant plusieurs jours de poursuite acharnée on en détruisit un grand nombre.
Les deux rois continuant leur course n'apprirent que le surlendemain qu'ils étaient vainqueurs et osèrent à peine revenir à Tountaré visiter le champ de bataille et les cadavres de leurs ennemis tués. Du reste, quelque temps après, Alfa-Oumar, venu de Nioro avec une armée, les força à retourner chacun dans son pays.

Le gouverneur revenu de France le 12 février 1859, se rendit avec les bateaux le Basilic et le Griffon à Mafou, pour reconnaître la position d'Al-Hadji qui se trouvait depuis quelque temps à Ndioum (Toro) ; celui-ci s'empressa de quitter ce village après l'avoir détruit et commença sa retraite définitive vers l'est, emmenant avec lui une partie de la population du Toro.
Il était impossible de le poursuivre à cause des basses eaux qui ne permettaient pas aux bateaux de passer Mafou, et du manque de moyens de transport pour une colonne opérant par terre.
Les gens d'Edy, seuls dans la province, se mirent sur une défensive sérieuse et refusèrent de suivre le prophète.
Le Fouta central, à son passage, prit vis-à-vis de lui la même attitude sous l' almamy Moustapha-Tiemo-Fondou; des Bosseyabè firent même une razzia sur ses gens à Mbagam.

Pendant ce temps, le commandant de Bakel attaquait, en face de Lanel, le dernier village qui n'eût pas fait sa soumission chez les Guidimakha, et forçait ses défenseurs à l'abandonner. M. Rey, lieutenant d'infanterie de marine, avait été légèrement blessé dans cette affaire.

Avril 1859. La marche d'Al-Hadji dans le Fouta s'effectua très lentement; parti de Ndioum, dans le courant de février, il n'arriva à hauteur de Matam que le 9 avril 1859. Il ne voulut pas passer devant ce poste commandé par M. Paul Holl, son adversaire de Médine en 1857, sans essayer de se mesurer encore avec lui et chercher à enlever les quelques populations du Damga qui s'étaient réfugiées sous la protection de nos canons.

Après avoir ravagé tout le pays aux environs du fort, il se décida à l'attaquer le 13 avril 1859, à quatre heures et demie du matin, son armée, partagée en deux colonnes, commença son mouvement vers la tour. Une des colonnes se dirigea sur le village de Matam, l'autre sur celui des réfugiés. La tour et le Galibi ouvrirent leur feu sur les assaillants et les colonnes ennemies furent repoussées. Elles laissèrent 24 hommes sur le terrain, parmi lesquels un chef Poul du Toro et un parent d'Al-Hadji.
Les pertes, de notre côté, furent de 5 hommes tués dans le village. La tour, le Galibiei les établissements des traitants n'éprouvèrent aucune perte.

Le même jour, à huit heures du soir, le village fut de nouveau attaqué; un quart d'heure après, l'ennemi était encore obligé de se retirer; enfin, le 16 avril, Al-Hadji se décida à vider les lieux.
Les canons et les carabines de la tour et du Galibi, jetèrent la confusion dans sa colonne qui se débanda, ce qui permit aux gens du village de faire de nombreux prisonniers sur son arrière-garde. Ainsi se termina cette seconde tentative du prophète pour s'emparer d'un de nos postes.

Al-Hadji continua sa marche vers l'est, détruisant tout sur son passage et emmenant avec lui les populations. Dans les premiers jours de mai, il arriva près de Bakel. Aussitôt qu'on su son approche, presque tous les villages du Guoy vinrent se réfugier sous la protection du brick le Pilote stationné à Arondou.

Le prophète ne jugea pas prudent, bien qu'il fût suivi de 10 à 12.000 personnes, d'attaquer Bakel.
Le 9 mai 1859, il passa à une assez grande distance du poste. M. Cornu envoya dans la plaine, à sa rencontre, un obusier sous les ordres du lieutenant Rey, soutenu par quelques soldats et par les volontaires de Bakel. Quelques coups bien pointés mirent le désordre dans la longue colonne du prophète et permirent aux volontaires de tomber sur sa gauche et de lui faire un mal considérable.

Pendant que le gros des forces ennemies passait ainsi derrière le fort de Bakel, une colonne d'environ 3.000 Toucouleurs, détachée de l’ armée principale, tombait sur le village d' Arondou protégé par le Pilote, l'ennemi pénétra trois fois dans le village et trois fois les feux du Pilote et du village l’ en chassèrent.
L'attaque commencée à six heures du matin dura jusqu'à trois heures du soir, avec le plus grand acharnement: 220 Toucouleurs restèrent sur le terrain. Le village perdit 11 hommes et eut 28 blessés; le Pilote un seul blessé, mort le surlendemain. Le caporal d'infanterie de marine Gourou, commandant le Pilote, fut admirable de courage et de sang-froid dans cette affaire.

Une huitaine de jours avant l'attaque d'Arondou, la même armée de Toucouleurs avait enlevé par surprise les villages de Makhana et de Dramané.
Les Bakiri, ayant à leur tète Silman, aujourd'hui chef de Makhana, s'étaient défendus vaillamment; mais accablés par le nombre, ils avaient dû chercher leur salut dans la fuite et vinrent se réfugier à Bakel, où ils restèrent jusqu'au commencement de 1860.

A la suite de ce passage d'Al-Hadji, la disette fit des ravages épouvantables dans tous les pays par où il avait passé ; les sentiers étaient couverts de gens morts de faim : comme toujours les femmes et les enfants étaient en majorité parmi les victimes.

Se préoccupant très peu des calamités qu'il traînait à sa suite et ne pouvant plus rester dans un pays complètement ruiné et dévasté, le prophète mit le Diombokho sous les ordres de Tierno-Moussa, laissa une solide garnison à Guémou, et se dirigea ensuite vers Nioro, d'où il ne tarda pas à partir pour le Ségou qu'il se décidait à attaquer.

Octobre 1859, On sait déjà que Guémou avait été construit quelques années auparavant, à une petite distance du fleuve, presque vis-à-vis de Bakel, pour intercepter le commerce de cet important comptoir et en même temps assurer les communications des partisans d'Al-Hadji entre le Kaarta et le Fouta.
Sur les sollicitations pressantes des négociants de la colonie, déclarant qu'ils seraient forcés d'abandonner le commerce du haut du fleuve, si l’ on ne détruisait pas Guémou, une flottille de 6 avisos, commandée par M. le capitaine de frégate Desmarais, y fut envoyée par le Gouverneur, le 17 et 18 octobre 1859, portant les troupes de la garnison.
Le 24 octobre 1859, au soir, la colonne était mise à terre à Diogountouro, à trois lieues de Guémou, sous les ordres de M. le chef de bataillon Faron, des tirailleurs sénégalais. M. le lieutenant d'état-major Vincent faisait les fonctions de chef d'état-major, M. le chirurgien de 2ème classe Mahé était chef d'ambulance. M. le capitaine d'infanterie de marine Flize, directeur des affaires indigènes, dirigeait les goums; le garde du génie Sart faisait le lever du terrain.

Les troupes consistaient en : 250 hommes du 4ème régiment d'infanterie de marine, commandés par M. le capitaine Millet; 256 hommes des compagnies de débarquement, presque tous matelots indigènes, commandés par M. le lieutenant de vaisseau Aube, capitaine de l' Étoile; 490 hommes du bataillon de tirailleurs sénégalais, commandés par le capitaine de Pineau ; 30 spahis à pied, sous les ordres du sous-lieutenant de Casal; 400 volontaires du haut pays, avec l' almamy du Bondou, Boubakar-Saada; 44 hommes d'artillerie de marine, avec 4 obusiers de montagne, sous les ordres du capitaine Vincent; 8 chevaux d'artillerie traînant les pièces et 8 mulets portant des cacolets; les caisses de munitions étaient portées à bras.
Les troupes emportèrent, en débarquant, 2 jours de vivres, 60 cartouches par homme et 50 coups par obusier.

Le village, de forme rectangulaire, ayant 800 mètres de longueur sur 200 de largeur, était entouré d'un mur en terre en crémaillère, de 3 mètres de hauteur sur 80 centimètres d'épaisseur à la base et de 60 au sommet, dans lequel étaient noyés des troncs d'arbres pour plus de solidité.

Des embuscades étaient creusées dans le sol avec un petit parapet extérieur, en avant des fronts d'attaque, à 20 ou 30 mètres de distance. Dans l'intérieur de l'enceinte, une foule de cases en terre, avec toits en paille, étaient réunies en groupes par famille et chaque groupe, entouré d'un mur en terre, était encore susceptible de défense après l’ enlèvement du mur extérieur.

Enfin, contre la longue face ouest devant laquelle on arrive, en venant de Diogountouro, et au milieu de sa longueur, se trouvait le réduit du village servant en même temps de mosquée et de logement au neveu d'Al-Hadji, Siré-Adama, gouverneur de la province. Ce réduit était très fortement organisé et se composait de trois enceintes concentriques ; la première en terre, comme celle dont nous avons déjà parlé ; la seconde , en troncs d'arbres avait 4 mètres de hauteur et 4 troncs d'épaisseur; la troisième enfin était encore en terre, très élevée, et renfermait, outre quelques cases ordinaires, la mosquée et une case carrée à terrasse, très solidement bâtie pour le chef.

Entre la première enceinte et la palissade en troncs d'arbres, devant la porte de celle-ci, se trouvait un redan en maçonnerie de 1m,20 d'épaisseur sur un 1m,80 de hauteur, et, à quelque distance de ce redan, pour le flanquer, 2 cases rondes aussi en maçonnerie très épaisse. Enfin, un puits était creusé dans le réduit pour assurer de l’ eau à ses défenseurs.

La population du village devait être de 4 à 5000 âmes; sa garnison avait été renforcée des contingents des villages voisins aussi créés par Al-Hadji.

L' arrivée d'une colonne française était connue. Siré-Adama et ses Toucouleurs avait empêché qu'on ne prît aucune disposition pour la fuite, même des femmes et des enfants. Ils étaient décidés à repousser l'attaque dont ils étaient menacés ou à périr. On trouva heureusement, en avant du village, des mares d'eau potable, et les assiégeants purent se désaltérer pendant l’ action.

La position ayant été examinée par le commandant en chef. M. le capitaine d'artillerie Vincent reçut l'ordre d'aller se mettre en batterie avec une section d'obusiers et des fusées à 5OO mètres, devant la face ouest qu'on avait devant soi.
Les premières fusées firent sortir quelques défenseurs placés dans les embuscades, en avant de la face attaquée. On les vit rentrer par des brèches existant à la face sud; on supposa qu'il devait également y en avoir à la face nord.
La deuxième section d'artillerie vint joindre son feu à la première, et 2 pelotons de 50 carabiniers du 4® de marine furent envoyés en tirailleurs vers les extrémités de la face d'attaque pour surveiller les faces nord et sud.

Le commandant Faron, décidé à faire enlever l’ enceinte sur ces deux dernières faces, par les passages qui avaient servi aux défenseurs pour rentrer dans le village, forma deux colonnes d'attaque.
Celle de gauche (face Nord), sous les ordres du lieutenant de vaisseau Aube, se composait de 2 pelotons d'infanterie et de 2 pelotons de laptots ;
celle de droite (face Sud), du peloton de spahis à pied et de 4 pelotons de tirailleurs sénégalais, le tout, sous les ordres du capitaine de Pineau. Les volontaires reçurent l'ordre de se rendre à l'extrême gauche et à l'extrême droite de la colonne. En même temps l'artillerie se rapprocha à 200 mètres et continua son tir d'une manière plus efficace.
On vit encore des défenseurs embusqués en dehors, rentrer en courant par les brèches déjà mentionnées.

Le tir de l'artillerie détermina même la fuite d'une partie des habitants, ou des défenseurs du village que l' on vit s'éloigner par derrière, dans la direction de quelques monticules boisés. Les carabiniers en tirailleurs et les volontaires reçurent, en conséquence, l' ordre de contourner tout à fait l’ enceinte pour tuer ou capturer tout ce qui tenterait de s'échapper.

Le moment d'agir était venu; deux pelotons de laptots allèrent renforcer la colonne de Pineau, pendant que la réserve composée de l’ artillerie et de 4 pelotons de tirailleurs sénégalais, s'organisait au fur et à mesure de l'arrivée des retardataires, sous la direction du chef d'état-major Vincent.
L'artillerie devait cesser son feu dès que les colonnes d'assaut seraient dans la place. Au signal du commandant en chef, celles-ci se mirent en marche avec l'ordre de se servir surtout de la baïonnette.

La colonne de droite, rendue la première devant son point d'attaque, fut reçue presque à bout portant par des décharges parties d'embuscades encore garnies, et en même temps une vive fusillade fut dirigée sur elle par les créneaux de l’enceinte et des tata intérieurs.
Plusieurs des nôtres furent atteints, entre autres M. de Casai, qui eut la cuisse traversée sans fracture, Soulé, sergent de tirailleurs indigènes, etc. Suivant leurs habitudes de combat, qu'ils n'avaient pu perdre encore après un an ou deux de service, les indigènes se couchèrent pour tirailler dans cette position, malgré les exhortations et l'exemple des officiers.

Cependant la colonne de gauche allait atteindre l'enceinte, il importait que celle de droite reprît son mouvement en avant.
M. Faron s'y porta au galop et en prit le commandement. A sa voix, tous se relevèrent, et spahis, tirailleurs et laptots se précipitèrent la baïonnette en avant par la brèche, derrière le commandant qui entra le premier à cheval dans le village et reçut une balle qui lui fit une légère blessure.

Les défenseurs furent partout refoulés et la colonne, en les poursuivant et en incendiant les cases, arriva, officiers en tête, à un mur, en apparence de même nature que les enceintes des groupes de cases.
Mais on s'aperçut immédiatement qu'on était devant un réduit et qu'on devait s'y attendre à une forte résistance et à de grandes difficultés. Déjà de nombreux blessés, parmi lesquels M. Deleutre, lieutenant de tirailleurs sénégalais, Bourrel, enseigne de vaisseau, Lambert, sous-lieutenant aux tirailleurs, Beccaria, sergent aux tirailleurs et d'autres étaient mis hors de combat.

Le commandant Faron, voyant sa tète de colonne trop compromise et comprenant qu'il fallait prendre des mesures sérieuses pour attaquer ces retranchements, donna l'ordre de se replier, et reçut deux nouvelles balles dont l' une lui traversa la joue.

En ce moment arrivait aussi la tête de colonne de gauche qui avait trouvé moins de résistance que l’ autre à l’ enceinte extérieure et qui avait repoussé tout ce qui tentait de s'opposer à sa marche dans le village.

A peine le commandant avait-il annoncé à M. Aube l’ existence du réduit, qu'il recevait une quatrième blessure; une balle lui traversait le haut de la poitrine et lui enlevait complètement l’ usage du bras droit; déjà affaibli par la perte de son sang, il glissa de cheval et laissa la direction de l’ attaque à M. Aube, le plus ancien capitaine présent sur les lieux, et se fit conduire à 400 mètres, en dehors du village, d'où il continua à envoyer ses instructions.

On fit venir la section d'artillerie de Cintré, qui battit en brèche le réduit à 25 mètres, ce jeune officier donnant l’exemple de l’ intrépidité à ses hommes.
Après une dépense assez considérable de munitions d'artillerie, la brèche n'était pas praticable. Il était déjà dix heures et demie, la chaleur excessive (45°) et les troupes très fatiguées; à l'exception du réduit, le village était en noire pouvoir et en partie incendié. On donna un moment de repos à la colonne.

Pendant ce temps, M. Aube, qui fit preuve d'aptitudes militaires et d'un courage très remarquables, gardait et étudiait la position à enlever, aidé par M. Vincent, lieutenant d'état-major.
M. Mage, enseigne de vaisseau, adjudant-major des compagnies de débarquement et très brillant officier, et M. Lecreurer, sous-lieutenant de tirailleurs, avaient rallié autour d'eux quelques hommes de divers corps ; à eux s'étaient bientôt joints les lieutenants Mouquin et Jacquet, à la tête de deux pelotons d'infanterie blanche et de tirailleurs, et tous ensemble bloquaient étroitement le réduit, afin que personne ne put s'en échapper.

M. le capitaine Flize fut chargé d'informer de la situation M. le commandant supérieur de la marine et de le prier d'envoyer un renfort de munitions de guerre ; en même temps, M. le lieutenant de tirailleurs Bénech reçut l'ordre d'aller enlever les blessés qui restaient à proximité du réduit, depuis la première attaque, et qui étaient assez mal abrités par des arbres contre les balles ; le spahis Gangel leur avait porté plusieurs fois à boire sous le feu de l'ennemi. Cette mission fut remplie, mais le brave lieutenant Bénech qui s'était fait une belle réputation au Sénégal, y fut tué d'un balle au front. Il est du reste à remarquer que presque tous nos morts furent frappés à la tête.

Vers midi, le commandant Faron donna à M. Aube l' ordre de faire une nouvelle tentative, avec la section du capitaine d'artillerie Vincent et un renfort de 5O hommes choisis, commandés par le capitaine Millet, officier plein de bravoure et de sang-froid; on battit en brèche en deux endroits; à une heure un quart, on tenta un assaut qui fut repoussé, la brèche n'étant pas suffisante.

On eut encore recours aux obusiers : un quart d'heure après, toutes les munitions d'artillerie étaient épuisées; un nouvel assaut fut donné; le sous-lieutenant Jacquet, suivi de deux ou trois hommes d'infanterie de marine, entra le premier dans le réduit; M. le lieutenant Mouquin, le capitaine Millet et l’ enseigne de vaisseau Mage y pénétrèrent presque en même temps avec des Européens et des indigènes pêle-mêle ; les 40 ou 50 défenseurs encore vivants furent aussitôt tués à la bayonnette ; ils eurent encore le temps de blesser quelques uns des nôtres, notamment le lieutenant Mouquin.

Siré-Adama et les chefs qui l’ entouraient périrent sans montrer le moindre signe de faiblesse.

De notre côté, s'étaient distingués à la prise du réduit, outre ceux que nous avons déjà cités, le sergent-major Cazeneuve de l’ infanterie de marine, le second maître de timonerie de première classe Pasco et le canonnier Carton.

Tout était fini, le succès avait récompensé tant de courage et pendant que les volontaires pillaient le village, les troupes allèrent se reposer en n'emportant que leurs morts.
Les pertes de notre côté, consistèrent, en comptant les volontaires, en 39 tués, dont 1 officier, et 97 blessés, dont 6 officiers.

Les blessés reçurent les soins les plus dévoués des chirurgiens attachés à l’ambulance, MM. Mahé, Delpeuch, Joubert, ainsi que de M. Loupy, chirurgien-major des tirailleurs sénégalais et de M. Moreau, aide-major des compagnies de débarquement.
Les pertes de l'ennemi s'élevèrent à 250 tués et 1500 prisonniers. Quant aux blessés qui purent s'échapper, on n'en connut pas le nombre.

Vers quatre heures, le commandant Faron fit former régulièrement le camp et on commença à diriger les convois de blessés vers Diogountouro.
Le garde du génie Sart, qui avait fait preuve d'une grande énergie en toutes circonstances, fut chargé de faire sauter les enceintes du réduit au moyen de la poudre trouvée dans le village ; les champs de mil presque mûrs, furent brûlés sur pied par les volontaires. Cette opération était malheureusement nécessaire, parce que, comme nous l’ avons dit, ces approvisionnements étaient destinés à Al-Hadji, dans le cas où il renverrait une armée vers nos établissements.

MM. Cornu et Flize dirigèrent une colonne de volontaires sur Komendao, dépendance de Guémou et ce village fut enlevé, pillé et brûlé, sous la direction du capitaine de rivière Detié-Massouda.

Le soir même, M. le commandant supérieur de la marine arriva avec tous les hommes qu'il s'était empressé de réunir à la réception du courrier qu'on lui avait envoyé dans la journée. Il amenait 70 hommes et des munitions; il ne put que s’ associer à la joie des vainqueurs, mêlée des regrets occasionnés par nos pertes.

Le lendemain matin, des convois successifs partirent pour Diogountouro ; on rendit les derniers devoirs aux morts, on compléta la destruction du village et, le soir, tout le monde était rendu à bord de la flottille.

Le 29 octobre 1859, c'est-à-dire douze jours seulement après son départ de Saint-Louis, la flottille et la colonne y étaient de retour.

La prise de Guémou nous avait donc coûté 436 tués ou blessés. Six ans uparavant, celle de Dialmatch, dans le Dimar, nous en avait coûté 150.
Ces deux opérations présentent des analogies et des différences bonnes à noter : d'un côté comme de l'autre, il s'agissait d'enlever un grand village fortifié et défendu par de nombreux combattants ; mais à Guémou, de notre côté comme du côté de l'ennemi, chefs et combattants étaient bien plus aguerris qu'à Dialmatch, grâce à six ans de luttes incessantes. Guémou était plus fortifié que Dialmatch et mieux défendu, mais les assiégeants étaient 1500 hommes bien portants.
A Dialmatch, où l’ on ne parvint qu'après une marche pleine de lenteurs, à la plus forte chaleur du jour, il n'y avait plus que 600 hommes en état de combattre lorsqu'on se trouva devant le village. Enfin, la prise de Guémou exigea six heures de lutte acharnée; Dialmatch fut heureusement enlevé dans une heure, car un effort plus long eut été impossible.

On se demandera peut-être pourquoi, au lieu de sacrifier dans une attaque de vive force , 150 hommes, on n'assiège pas ces villages au moyen de tranchées ou gabionnades, en y consacrant plusieurs jours si c'est nécessaire ; c'est que le climat ne permet généralement pas cette manière de faire. La maladie ravagerait la colonne exposée, sans repos, à l'action d'un soleil brûlant; les approvisionnements seraient très difficiles à assurer; enfin, le moindre retard enhardirait les défenseurs et leur attirerait peut-être des alliés qui, venant inquiéter les assiégeants par l'extérieur , couperaient les convois et augmenteraient les difficultés, de sorte qu'au lieu d'éviter des pertes considérables, on arriverait peut-être à un résultat tout opposé.

Novembre-décembre 1859, A la suite de la destruction de Guémou le 14 décembre, le commandant Cornu organisa à Makhana, une colonne de volontaires chargée d'aller détruire le village de Melga, dernier refuge des Toucouleurs d'Al-Hadji dans le Gangari (pays des Guidi-Makha).
Cette opération réussit d'une manière complète. Le village fut détruit et nos hommes ramenèrent 400 prisonniers et un assez riche butin.

Janvier- février-mars 1860. Pour assurer l'exécution du traité passé avec le Damga, M. Cornu, dans le courant de mars, parcourut toute cette province et une partie du Fouta, de Bakel à Saldé, avec une compagnie de tirailleurs sénégalais ; il fit reconnaître dans le Damga, l’ autorité du chef El-Fekî nommé par nous, et fut partout reçu avec respect et empressement.

Avril 1860. Pendant que le commandant de Bakel rétablissait ainsi notre influence dans les pays récemment dévastés par Al-Hadji, Sambala, ayant sous ses ordres des Guidi-Makha et les guerriers de Makhana, alla contrairement à nos avis, faire une expédition dans le Diombokho.
Après avoir d'abord obtenu quelques succès, ses gens furent surpris par des forces supérieures et essuyèrent une défaite complète.
Bakar, chef de Makhana et un assez grand nombre de nos alliés périrent dans cette malheureuse affaire, qui n'eut pas, du reste, d'autres conséquences.

Mai-juin 1860. On a vu qu'après être resté peu de temps à Nioro, Al-Hadji s'était dirigé vers le Ségou pour en faire la conquête; en mai et en juin, on eut plusieurs fois de ses nouvelles. Entremêlée de succès et de revers, cette grande entreprise parut lui coûter beaucoup de peines, exiger l'emploi de toutes ses forces et, par suite, le disposer à un rapprochement avec nous.

Août 1860. Pendant le mois d'août, des préliminaires de paix avaient eu lieu entre son parti et le commandant de Bakel, par l'intermédiaire de Tierno-Moussa, commandant au nom du prophète la province de Diombokho. Le gouverneur se rendit à Médine pour voir jusqu'à quel point ces démarches étaient sérieuses et quel parti on pouvait en tirer. Il trouva, en effet, des envoyés de Tierno-Moussa à Médine, et ils lui firent, au nom d'Al-Hadji, de nouvelles ouvertures d'arrangement auxquelles il fut répondu par les propositions suivantes :
La paix entre Al-Hadji et les Français sera conclue aux conditions ci-après... (Voir les traités à la fin du volume.)

Traité de paix avec Al-Hadji Omar
Août 1860

. 1° La frontière entre les États d'Al-Hadji et les pays sous la protection de la France est le Bafing, depuis Bafoulabé jusqu'à Médine. Nos pays sont : Natiaga, Logo, Médine, Niagala, Farabana, Tambaoura, Kamanan, Konkodougou, Dentilia, Diabéla, tout le cours de la Falémé, Guidimakha, KaméraGuoy, Bondou etc.
Les pays d’ Al-Hadji sont : Diombokho, Kaarta, la partie du Khasso sur la rive droite du Bafing, Bakhounou. Fouladougou, Bélédougon et tout ce qu'il pourra prendre de ce côté.

2° Al-Hadji ne bâtira pas de tata et n'établira pas de villages guerriers dans le pays de Rhoulou, ni de Kanamakhounou.

3° Al-Hadji rendra les marchandises qu'il a prises à Médine (impossible dans l'exécution).

4° Tout pillage, toute expédition de guerre cessera d'un côté comme de l'autre. Les sujets de l'un des pays n'iront pas en armes dans l'autre pays.

5° Le commerce se fera librement entre les deux pays. Nous vendrons à Al-Hadji tout ce qu'il nous demandera.

6° Chaque pays gardera ses sujets et ses captifs comme il l'entendra. On ne rendra ni sujets ni captifs qui se sauveraient d'un pays dans l'autre. Cette condition est nécessaire, parce que, sans cela, on aurait continuellement des difficultés au sujet des fugitifs.

Ayant reçu communication de ces propositions, Tierno-Moussa déclara, dans une lettre du 10 septembre 1860, se soumettre au nom d'Al-Hadji, à toutes les conditions qu'elles renfermaient. Le gouverneur lui ayant fait espérer qu'il enverrait un officier à Al-Hadji dans le Ségou, des ordres furent partout donnés par celui-ci, pour que notre ambassadeur fût bien reçu et ne manquât de rien; mais on ne jugea pas à propos de mettre de suite ce projet à exécution. Ce ne fut que plus tard que M. Mage fut envoyé à Ségou.

Guerre contre Maba

Comme El-Hadji-Omar et tous les prêcheurs de guerre sainte, Maba était originaire du Fouta. Comme eux encore, par des pratiques religieuses faites avec ostentation, par des prédications violentes il avait su réunir autour de lui une petite armée de fanatiques, avec laquelle, en 1861, il s'empara du Rip, province de Saloum, sur les rives de la Gambie.

Il s'était allié avec Macodou, ancien Damel du Cayor chassé par nous, qui cherchait à conquérir le Saloum sur son fils Samba-Laobé. .Celui-ci vint se réfugier auprès du poste de Kaolakh, défendu par douze soldats d'infanterie de marine commandés par le sergent Burg.

Maba et Macodou, avec des forces considérables, attaquèrent le poste le 3 octobre 1862. La petite garnison résista héroïquement pendant vingt-quatre heures à tous les assauts. L'ennemi repoussé fit des pertes considérables; il laissa plus de trois cents cadavres sur le terrain.
Macodou étant mort en 1863, Maba poursuivit seul la lutte contre le roi Samba-Laobé, qui mourut à son tour en 1864. Maba devint ainsi le véritable maître du Saloum et à la fin de 1864, il consentit à signer un traité dans lequel, reconnu comme almamy du Badibou et du Saloum par le gouvernement français et les rois du Cayor, du Baol, du Djolof et du Sine, il s'engagea à respecter les territoires de ses voisins et à accepter, ainsi que les autres parties contractantes, la médiation de la France pour les difficultés qui pourraient s'élever entre eux. (Voir les traités à la fin du volume.)

Malgré ces engagements qu'il n'avait pris, ainsi que les événements l'ont prouvé depuis, que pour gagner du temps, Maba, dont les projets sur le Cayor et sur le Djolof étaient déjà formés, ne tarda pas à en préparer l'exécution en détruisant le pays de Mbaké, province orientale du Baol qui se trouve sur la route entre le Rip et le Djolof. Les habitants furent dispersés ou emmenés dans le Rip et c'est ce qui permit plus tard à Maba de tomber à l’improviste et sans qu'on put en être averti, sur le Djolof.

A part ce pillage de Mbaké, dont Maba s'empressa de décliner la responsabilité, tout alla bien jusqu'à la fin du mois de juin 1865 ; à cette époque, cédant aux sollicitations de son entourage, principalement à celles de Lat-Dior, ex-Damel du Cayor, il envahit tout à coup le Djolof et le détruisit presque complètement; de là il menaçait le Cayor et surtout le Diambour, où ses bandes s'étaient déjà montrées, lorsqu'il fut arrêté dans ses projets par les mesures que prit immédiatement le gouverneur.

Dès que la nouvelle de son entrée dans le Djolof fut connue à Saint-Louis, une colonne légère, composée du bataillon de tirailleurs, de l'escadron de spahis, et de quatre pièces de montagne, sous les ordres du capitaine Flize, fut dirigée sur Coki, village frontière de nos possessions du Cayor du côté du Djolof. Le poste de Mérinaghen, qui était évacué depuis 11 mois environ, fut réoccupé, enfin une redoute en terre fut construite à Coki pour servir de réduit aux gens de ce village et leur permettre d'attendre des renforts s'ils étaient attaqués.
Ces différentes mesures eurent pour effet d'arrêter momentanément les tentatives de Maba sur le Cayor.
Mais il profita de son séjour dans ce pays pour chercher à nouer des intrigues avec le Fouta et les Maures Trarza , intrigues qui ne tendaient à rien moins qu'à entraîner dans un mouvement général d'hostilité contre nous le Fouta et les Maures Trarza. En présence d'un pareil danger il n'était plus possible de conserver de doute sur la nécessité d'agir vigoureusement contre Maba; mais nous étions alors en plein hivernage et l’on dut se borner à défendre les pays placés sous notre protection. Cela était d'autant plus important que ces pays, le Cayor surtout, grâce aux secours de la colonie, avaient donné un grand développement à leurs cultures et qu'ils promettaient de se relever, dès cette année, de l'état de misère où ils étaient tombés.

On prit en conséquence les dispositions suivantes:
A la réoccupation du poste de Mérinaghen qui avait déjà eu lieu, ainsi que nous venons de le dire, et à l'établissement d'une redoute en terre à Coki, on ajouta l'établissement d'un blockhaus et d'une enceinte palissadée au village de Niomré, situé dans la partie centrale la plus riche et la plus populeuse du Diambour. On fit occuper le poste de Nguiguis par une forte garnison. Grâce à ces précautions et à des sorties fréquentes de la garnisonde Saint-Louis, l'hivernage se passa sans que l'ennemi put rien effectuer de sérieux contre nos alliés, qui firent ainsi leur récolte sans encombre.

Maba, pendant ce temps, voyant qu'il n'y avait rien à faire contre le Cayor, était retourné dans le Rip, où il organisait une attaque plus sérieuse et mieux combinée contre le Cayor. Le moment était venu d'entrer sérieusement en campagne, aussi dès le 28 octobre 1865 les ordres étaient donnés et toutes les troupes se mettaient en marche pour leur concentration sur Dakar d'abord, puis sur Kaolakh, point qui avait été choisi par le gouverneur pour servir de base à nos opérations contre le Rip. La colonne était ainsi composée :
M. le colonel du génie Pinet-Laprade, gouverneur, commandant en chef.
MM. Brunetiëre, capitaine de spahis, chef d'état-major.
Brossard de Corbigny, enseigne de vaisseau, officier d'ordonnance.
Si el hadj Bou-el-Moghdad, interprète du gouverneur.

Affaires politiques et commandements des contingents indigènes :
MM. Flize, chef de bataillon, commandant de Gorée.
Reybaud, lieutenant à l’infanterie de marine.
Dagon de la Contrie, sous-lieutenant au bataillon de tirailleurs sénégalais.
Léon Diop, chef du cercle de Nder.
Tiécoro et Samba-Fall, interprètes.

État-major particulier de l’artillerie et du génie :
MM. JuUien, chef d'escadrons, commandant l'artillerie.
Revin, capitaine, commandant le génie.

Commissaire d'armée :
M. Dupuis, aide-commissaire.

Ambulance :
M. Cauvin, chirurgien de 1ère classe, chef.

Flottille :
Archimède, Espadon, Sphinx, Trombe.

MM. Vallon, capitaine de frégate, commandant.
Des Portes, enseigne de vaisseau , officier adjoint.

Compagnie indigène (T ouvriers du génie :
M. Poutot, capitaine.

Compagnie de débarquement :
M. Richard-Duplessis, lieutenant de vaisseau.

4ème de marine :
M. Ringot, chef de bataillon.

Bataillon de tirailleurs sénégalais :
M. D'Arbaud, lieutenant-colonel.

Une section de la compagnie disciplinaire :
M. de Villeneuve, lieutenant.

Batterie d^ artillerie :
M. Hédon, capitaine.

Une section de fuséens :
M. Hirtz, lieutenant en premier d'artillerie.

Escadrons de spahis sénégalais :
M. Canard, capitaine, commandant.

Pour tracer les itinéraires suivis par les divers détachements destinés à composer la colonne, itinéraires que nous allons donner ci-après, le gouverneur avait été guidé par des considérations politiques et militaires qu'il est utile de signaler.

Le prestige qu*exerçait Maba sur les populations ignorantes et superstitieuses que nous avions à protéger contre ses attaques, était considérable. Pour les entraîner à s'unir franchement à nous dans la lutte que nous soutenions contre l’ennemi commun, il fallait frapper leur imagination par la vue de nos colonnes traversant leur pays; ce n'est que par ce moyen qu'on pouvait obtenir de faire combattre à nos côtés les contingents de ces différents États qui se montèrent, arrivés à Kaolakh, à plus de 2000 cavaliers et 4000 fantassins. Il n'y avait pas lieu d'hésiter en présence d'un pareil résultat, à faire faire à nos troupes par terre 150 lieues qu'on eût pu autrement leur faire parcourir par mer avec moins de fatigues.

Voici l'itinéraire de la colonne du Rip : une partie du 4ème de marine, les tirailleurs, l'artillerie avec son matériel s'embarquent sur l’Archimède, le gouverneur et son état-major prennent passage à bord du Castor, qui porte également le reste du 4ème de marine et les compagnies de débarquement. Ces avisos arrivent le 29 octobre 1865 à Dakar, point où doivent se réunir les différentes troupes qui composeront la colonne expéditionnaire.

L'escadron de spahis, les mulets d'artillerie et le train partis par terre de Saint-Louis, le 23 octobre, arrivent à Dakar le 3 novembre 1865, après avoir suivi l’itinéraire de Gandiole, camp des Poteaux, Bétel, Mboro, Cayar et Niakourab.

M. le sous-lieutenant Lasmolles, commandant de Mérinaghen, chargé de réunir et de commander les contingents indigènes du fleuve , part de Mérinaghen le 29 octobre avec les volontaires du Oualo commandés par Samba-Dien, qui avait reçu l’ordre de s'y trouver le 27 au matin avec tous ses cavaliers et ses fantassins. Il se rend à Ngay où il trouve les contingents de Nder et de Ros, ayant à leur tête les chefs de canton, de Ngay à Mérina-Diop, de Mérina-Diop à Potou où rallièrent quelques volontaires du Diambour, de Potou à Lompoul, de Lompoul à Bétet où l’attendent les volontaires du Cayor avec leur chef. Il passa par Mboro, Saou, Mbidjem, rallie les contingents du Diander et va camper à Niakourab. Il arrive à Dakar avec environ 500 chevaux et un millier de fantassins.

Du 1er au 10 novembre 1865, organisation de la colonne et du convoi.
Les disciplinaires et la compagnie indigène du génie viennent prendre leur place au camp le 10 au soir et le 11 au matin la colonne se met en route pour aller coucher à Hann; le 12 à Mbao, le 13 à Deen-y-Dack, le 14 à Pout, où se trouvent réunis de nouveaux volontaires du Diander qui se mettent sous les ordres de M. Lasmlles, le 15 à Thiès. Un convoi de 200 chameaux chargés de vivres et parti de Saint-Louis le 4 novembre sous les ordres de M. le sous-lieutenant Bancal, attend la colonne depuis la veille. La colonne des volontaires est tellement considérable qu'elle met toute la journée à défiler; le 16 à Ngouyane, le 17 à Diarring, capitale du Baol (entrevue avec le roi de ce pays), le 18 à Ngoye (entrevue avec Penda-Tioro), le 19 à Dotau-Bouré, le 20 à Diakhao, capitale du Sine (entrevue avec le roi de ce pays), le 21 à Marout, le 22 à Diokoul, et le 23 à Kaolakh.

Dans les pays que traverse pour la première fois une colonne de blancs, suivie d'un nombre aussi considérable d'auxiliaires, la première impression que nous remarquons est une certaine crainte bien naturelle de la part de gens pour lesquels la présence d'une troupe armée est presque toujours le signal d'un pillage. Mais l’ordre qui règne dans notre colonne, la discipline de nos soldats qu'observent les volontaires eux-mêmes vigoureusement contenus, le respect de la propriété que nous observons scrupuleusement et la nouvelle qui se répand de proche en proche que nous marchons pour les protéger et les défendre, change bientôt cette crainte en un sentiment de reconnaissance et de sympathie dont nous avons la preuve en voyant accourir sous nos drapeaux pour marcher avec nous, tous les hommes armés des pays par lesquels nous passons.

La colonne se trouvait réunie à Kaolakh le 23 novembre 1865. Dès le 24 au matin on se mit en marche sur Maka, dont Maba avait fait sa ville forte dans le Saloum et qu'il avait annoncé devoir défendre vigoureusement, mais au dernier moment il changea d'avis et nous abandonna la place sans combat. Les fortifications, qui étaient très solidement établies, furent détuites et la colonne revint à Kaolakh, où elle passa la journée du 25 à prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer le succès des opérations qui allaient dès lors se poursuivre dans le Rip.

Le 28 novembre 1865, la colonne franchissait la rivière du Saloum au gué de Iguer, et le 29 elle campait à Tiket, à l’entrée du Rip. Il restait douze lieues à faire pour atteindre Nioro, capitale du Rip et trouver de l’eau, et sur ces douze lieues dix par un étroit sentier à travers une forêt très fourrée. La difficulté était grande, surtout sous le climat du Sénégal pour une colonne composée de 4000 fantassins et de 2000 cavaliers. Voici comment elle fut vaincue :
Le 29 novembre, à trois heures de l'après-midi, la colonne se mit en marche. Pendant la nuit, elle fit une halte de cinq heures près du petit village de Ngapakh et repartit au point du jour le 30 novembre.
Vers les huit heures du matin, l’avant-garde, composée de la compagnie indigène du génie, signala des vedettes qui se repliaient devant elle. Les guides commençaient à montrer de l’hésitation: tout annonçait que l'ennemi était proche.
A huit heures et demie, un coup de fusil tiré sur l'avant-garde fut le signal de la bataille.
Maba avait établi toutes ses forces dans la forêt même : les contingents les plus importants et les plus solides, perpendiculairement au sentier sur lequel défilait la colonne pour le lui barrer, les autres formaient une ligne oblique pour attaquer le flanc gauche et tenter un mouvement tournant.

Le gouverneur, de son côté, avait décidé de ne prendre ses dispositions de combat qu'au moment où l’on rencontrerait l'ennemi, vu la nature du terrain et l'épaisseur des bois qui n'auraient permis de marcher en bataille qu'avec des difficultés inouïes et une excessive lenteur. Or, il n’avait pas de temps à perdre pour arriver au point où l’on devait trouver l'eau.

A huit heures et demie, la compagnie indigène du génie, qui arrivait à hauteur des premières embuscades fut accueillie par une fusillade extrêmement vive. Ces braves soldats n'en furent point ébranlés. Le gouverneur, qui était en tête. de la colonne, lança aussitôt les laptots commandés par M. le lieutenant de vaisseau Duplessis, à l'appui de la compagnie du génie, et ordonna au commandant Ringot de déployer deux pelotons d'infanterie sur la gauche du sentier. Ces dispositions prises, il fit sonner la charge. Ce fut le signal d'un combat terrible dans lequel officiers et soldats déployèrent la plus brillante bravoure. L'ennemi défendait ses positions avec une ténacité sans exemple, mais il fut forcé de reculer devant nos baïonnettes.
L'escadron de spahis, à qui le chef de la colonne avait envoyé l'ordre de presser l'allure pour arriver à hauteur de la droite, prit une part importante à ce combat. Porté sur l'aile gauche de la partie déployée des troupes pour charger l’ennemi dès qu'on déboucherait de la forêt, il eut à s'ouvrir son chemin à coups de sabre et s'en acquitta à son honneur.

On peut se faire une idée de l’énergie de la lutte par les pertes que nous avons éprouvées. Le capitaine Croizier, commandant le premier peloton de l'infanterie de marine, fut blessé mortellement. Le chirurgien de 2ème classe Monstey Charbounié fut tué; le lieutenant de vaisseau Duplessis reçut quatre coups de feu presque à bout portant; le sergent-major de la compagnie du génie, trois ; le capitaine Canard, commandant l'escadron, eut le bras traversé. Un quart de l'effectif des compagnies de débarquement fut tué ou blessé. La compagnie du génie eut 6 hommes tués et 10 blessés.
Le gouverneur, lui-même, reçut un coup de feu à l'épaule gauche dès le commencement de l'action, ce qui ne l'empêcha pas, heureusement, de conserver le commandement. M. l'enseigne de vaisseau Des Portes, attaché à l'état-major, fut contusionné, et plusieurs hommes de l'escorte furent blessés ou eurent leurs chevaux tués. Mais ces pertes furent le prix de la plus éclatante victoire.
Les forces ennemies qui défendaient le sentier et la moitié de la ligne oblique qui opérait sur la gauche de la colonne furent écrasées, et leurs débris culbutés hors des bois, la baïonnette dans les reins.

Pendant que la tête de la colonne accomplissait si glorieusement sa tâche, la droite de l'ennemi qui était coupée du reste de ses forces se trouva accidentellement à hauteur du train d'artillerie; elle y jeta un moment de désordre, tua une dizaine de mulets dont elle enleva les charges ; mais elle fut bientôt assaillie et ramenée par les tirailleurs sénégalais qui formaient la gauche de la colonne. Le capitaine Bargone et le sous-lieutenant indigène Koly-Soriba furent blessés sur ce point.

A 9 heures, la colonne entière débouchait dans la petite éclaircie qui précède le village de Soukhoto où s'étaient réfugiés quelques ennemis. Mais ils furent promptement délogés par l'artillerie qui, au milieu de difficultés de toute nature, était parvenue à sortir du bois en même temps que la tête de colonne.

Il restait encore deux lieues à faire pour arriver à Nioro. Après un moment de repos, la colonne se remit en marche, mais on ne tarda pas à s'apercevoir que les guides suivaient une route incertaine. Pressés de s'expliquer, ils avouèrent que la peur les avait empêchés de marcher en droite ligne sur Nioro, et à 10 heures 1/2 on se retrouva au village de Soukhoto.

Cet incident n'inspira aucune crainte au commandant en chef, certain qu'il était d'arriver dans la journée à Nioro. Mais les soldats, qui ne pouvaient juger comme leur chef de la vraie situation, auraient pu concevoir quelques appréhensions. Ils conservèrent la plus grande confiance.

On distribua aux troupes européennes un millier de litres d'eau que le gouverneur avait eu la précaution de faire charger sur les chameaux, et le sous-lieutenant de spahis Lasmolles, à qui avait été confié le commandement des volontaires, reçut l’ordre de pousser une reconnaissance dans la direction connue de Nioro pour trouver les fontaines.
Cette opération fut appuyée par un peloton de tirailleurs, capitaine Maurial, et par les laptots, commandés par M. Véron, lieutenant de vaisseau, remplaçant M. Duplessis, blessé dans l’affaire de la matinée. Recevant l’avis de M. Lasmolles que les volontaires étaient en présence de l'ennemi et que l'escadron pourrait rendre de bons services, le gouverneur l'expédia aussitôt. Appuyés par ces forces, les 3000 volontaires, jaloux d'avoir leur part de gloire, chargèrent vivement l'ennemi qui avait perdu une grande partie de sa confiance, et le poursuivirent jusqu'au delà de Nioro où toute l’armée se trouva ralliée à 6 heures du soir.

C'est dans cette charge que M. le lieutenant Perraud, qui avait pris le commandement de l’escadron par suite de la blessure du capitaine Canard, fut atteint de deux coups de feu. Cet officier avait eu son cheval tué sous lui à l'affaire du matin.

L'ennemi était vaincu, dispersé, démoralisé. Les flammes des beaux villages de Diamagam, commandés par Lat-Dior, et de Nioro, capitale du Rip, éclairèrent la fin de cette belle journée et annoncèrent nos succès à toute la contrée. A partir de ce moment on ne rencontra plus de résistance, et pendant les journées des 1er et 2 décembre 1865, les volontaires purent à leur gré détruire toutes les richesses de ces brigands qui faisaient déjà trembler toute la Sénégambie. Plus de trente beaux villages regorgeant des récoltes de l’année furent livrés aux flammes. La vallée de Paouos et la forêt qui furent le théâtre du glorieux combat du 30 novembre, étaient jonchés des cadavres de l'armée de Maba. Nos volontaires firent plus de 1000 prisonniers.

Le 2 décembre 1865, au soir, la colonne reprit la route de Kaolakh où elle arriva le 6. Quant aux volontaires ils se dirigèrent sur le Signi, pour détruire cette petite province qui servait d'étape aux bandes de Maba quand elles traversaient le désert qui sépare le Saloum du Djolof. Le roi du Djolof, qui avait rejoint l'armée du gouverneur, alla reprendre possession de ses États.

L'expédition du Rip eut pour effet principal de rompre l'alliance déjà arrêtée entre Maba et les chefs maures et toucouleurs des bords du Sénégal, et d'intimider ces derniers à ce point qu'ils n'eurent plus d'autre préoccupation que d'éviter tout sujet de guerre avec nous.

D'un autre côté, les pertes sensibles éprouvées par Maba pendant cette expédition le mirent dans l'impossibilité de rien entreprendre de sérieux contre la colonie pendant les dix-huit mois qui suivirent ; la seule présence de nos troupes sur les frontières suffit pour faire rentrer ses bandes dans le Rip toutes les fois qu'elles ont tenté des incursions sur notre territoire.

Aussi dirigea-l-il pendant ce temps ses principaux efforts sur les provinces riveraines de la Gambie, et ce n’est qu’aux succès qu’il obtint de ce côté qu'on put attribuer le réveil de sa puissance, qu’il ne paraissait pas d’ ailleurs disposé à vouloir compromettre de nouveau en s’attaquant directement à nos possessions, mais qu'il eut voulu augmenter en ravageant les pays de nos alliés, comme il avait ravagé le Saloum, le Mbaké et le Djolof.

Mais le gouvernement de la colonie ne pouvait laisser s'accomplir cette œuvre de destruction. C'eut été méconnaître nos véritables intérêts, c'eût été commettre une action déloyale puisque nous eussions laissé sans appui des populations qui avaient mis en nous toute leur confiance et cimenté notre traité d'alliance avec elles en mêlant leur sang, à celui de nos soldais dans les plaines du Rip ; le drapeau français se fût replié devant les excès de la barbarie. Or, dans l'œuvre de civilisation entreprise au Sénégal depuis 1854, ce drapeau n'avait jamais reculé, et ce n'était qu'en le portant constamment d'une main ferme qu'on pouvait consolider les résultats obtenus et fonder une grande colonie.

Était-il permis de concevoir quelque doute à ce sujet quand on voyait les paisibles populations du Cayor, débarrassées des Tiédo, se relever, en une seule année, de l'état de misère où les avaient plongées la guerre, les épidémies, la famine, fournir des produits abondants h noire commerce et reconnaître les bienfaits de notre administration.

Au commencement de l’ année 1867, les partisans de Maba, qui occupait le delta compris entre les embouchures du Saloum et de la Gambie, se livraient à la piraterie, enlevaient les pirogues des traitants de Joal et pillaient les villages du bas Saloum placés sous notre protectorat. De plus le bruit courait que Maba se préparait à envahir le Sine et le Baol.

Le gouverneur Pinet-Laprade donna l’ordre au chef de bataillon Flize, commandant supérieur de Gorée, de se porter, avec toutes les troupes dont il pourrait disposer, dans ces parages. Le commandant Flize avec 270 hommes embarqués sur l’Espadon parcourut les rivières de Saloum et de Sine, brûla les villages de Foura, de Diogué, de Diouce, etc., dont les habitants s'étaient rendus coupables de méfaits à l’égard de nos protégés ; mais il ne put recueillir aucune nouvelle certaine sur la présence et les projets de Maba. Pour donner au roi de Sine un appui matériel et moral il laissa à Kaolakh, en poste d'observation, 160 hommes sous le commandement du capitaine Le Creurer. Avec le reste de ses troupes il rentra à Gorée.

Le 20 avril 1867 des bandes de Maba étant signalées aux environs du poste, le capitaine Le Creurer se porta en avant pour chercher à les joindre.
A midi, comme la petite colonne, harassée de fatigue, s'était arrêtée dans une clairière, près de l'ancien village de Tioffat, et creusait des puits pour avoir de l'eau, elle fut soudainement entourée par plus de 2000 hommes.
C'était l'armée toute entière de Maba, alors en marche sur le Sine, que ces 160 hommes allaient avoir à combattre. Pendant plus de deux heures, ils résistèrent en terrain découvert, à cette multitude d'ennemis.
Enfin les munitions étant épuisées, 60 hommes tués dont 4 officiers, le capitaine Le Creurer un des premiers, les survivants au nombre d'une centaine, dont trente blessés, résolurent de s'ouvrir un passage à la baïonnette et de rejoindre le poste de Kaolakh dont ils étaient éloignés de 10 kilomètres.
Poursuivis, harcelés par les fanatiques de Maba, que cette longue résistance avait exaspérés ils atteignirent cependant Kaolakh, à travers des difficultés inouïes et sans se laisser entamer une seule fois. L'ennemi ne cessa sa poursuite qu'à la portée des canons du poste. Il avait eu 200 hommes tués.

Ce beau fait d'armes retarda la marche de l'envahisseur et permit au roi de Sine de réunir des contingents assez nombreux pour que Maba n'osât l'attaquer. Ce dernier se retira dans le Rip.

Au mois de juillet 1867, Maba renouvela ses tentatives. Il pénétra dans le Sine à la tête de tous ses partisans. Mais le roi de Sine, prévenu, avait pu réunir des forces capables de lutter contre celles de son ennemi. Il avait reçu en outre du gouvernement de la colonie les secours en munitions qu'il lui avait demandés.

Un grand combat eut lieu, le, 18 juillet 1867, à Somb, village situé entre Diakkao et Marout. A l'issue de ce combat, qui dura de 5 heures du matin à 6 heures du soir, l'armée de Maba fut mise en pleine déroute. Lat-Dior, qui assistait à la bataille, avait fait défection vers le milieu de la journée et s'était enfui vers le Rip.

Maba, son fils, son neveu, ses principaux lieutenants furent tués. Ainsi fut close l’ère d'agitation dont les provinces du Sine et du Saloum avaient été le théâtre pendant six années.

Sources: Annales sénégalaise de 1854 à 1885, publié avec l' autorisation de Ministre de la Marine publié en 1885, par Maisonneuve frères et Ch. Lecclerc, éditeurs à Paris 25, quai Voltaire. -Source Gallica - Bnf.



  • Expéditions de Nguik, Niomré, Sine, Saloum 1856-1861

  • Expéditions de la Haute et Basse-Casamance 1860-1865

  • Expéditions du Cayor 1861-1883

  • Expéditions contre les Sérère 1862-1883

  • Expéditions contre le Fouta 1862-1881

  • Campagnes de pénétration vers le Niger 1880-1885