Expéditions de Nguik, Niomré, Sine, Saloum.
1856-1861

Vers 1852, quand on décida qu' on entreprendrait, au Sénégal, de refouler les Maures sur la rive droite du fleuve pour commencer à délivrer le Soudan occidental de leurs ravages, beaucoup de personnes, peu au fait des affaires du pays, s'imaginèrent que, loin d'avoir la guerre avec les noirs, nous les aurions pour alliés. Leur première déception fut de voir le Oualo se mettre avec les Trarza contre nous; on expliqua cette anomalie en disant avec raison que nous avions abandonné plusieurs fois ce pays, après avoir annoncé que nous voulions le protéger contre ses oppresseurs, et qu'il n'avait plus de confiance en nous. Puis la guerre d'Al-Hadji vint soulever contre nous tous les noirs musulmans, et même, un peu malgré eux, il est vrai les noirs non musulmans du haut pays. Cela s'expliqua tout naturellement par le fanatisme qui aveugle les hommes au point de leur faire méconnaître leurs intérêts les plus évidents. Mais, outre tout cela, nous eûmes encore dans certaines circonstances, à faire la guerre aux noirs non musulmans, Ouolof et Serère du bas du fleuve et Djola de la basse Casamance.

Pour tous ces derniers, la cause de nos démêlés fut tout simplement l’ état de barbarie dans lequel ils vivent et qui les pousse trop souvent, en même temps que leur intempérance, à des violences et à des exactions envers les étrangers qui commercent avec eux.

Ces gens-là ne sont pas, en général, très redoutables : les Tiédo du Cayor, du Djolof, du Baol, de Sine et de Saloum ont le physique, le caractère, les vices, le costume et la manière de combattre des Tiédo du Oualo. Les chefs et leurs affidés combattent sur de petits chevaux qui ont à peine la force de les porter, mais qui sont cependant quelquefois pleins d'ardeur. La foule combat à pied ; leurs armes sont de grands et lourds fusils chargés d'un grand nombre de balles, des lances et des poignards. Capables par moments d'un courage brutal, ils se démoralisent assez facilement. Les populations ouolof musulmanes, comme celles de Ndiambour y quoiqu' ayant un caractère différent parce qu'elles ne sont pas abruties par l’ eau-de-vie, font la guerre à peu près de la même façon que les Tiédo.

Expédition de Nguik.

Décembre 1856. Pendant notre guerre avec le Oualo et les Trarza, Ély, fils de Mohammed-El-Habid et prétendant, malgré les traités, au trône de Oualo, ayant été chassé par nous de ce pays, se réfugia à Nguik , dans le Ndiambour.
Jusque-là il n'y avait rien à dire ; mais se servant de cette province du Cayor, comme d'un refuge assuré contre nous, il se mit à faire de temps à autre des incursions dans son ancien pays pour se procurer de quoi vivre avec sa suite ; d'un autre côté , sa présence empêchait une partie des habitants du Oualo de rentrer pour se soumettre à nous comme ils le désiraient. Ne pouvant laisser durer cet état de choses, le gouverneur réunit 600 hommes de troupes et 1200 volontaires qui bivouaquèrent, le 16 décembre 1856, à Bouëtville.
Partie le 17 décembre 1856, à 3 heures du matin, la colonne arriva vers 8 heures, à la tour de Dialakar et, le même soir, elle put bivouaquer à une lieue et demie de là, au village de Nguey-Guélakh.
Le 18 décembre 1856, on se mit en marche à une heure du matin, en deux colonnes. Le gouverneur, avec les spahis et les volontaires à cheval, arriva à six heures moins un quart en vue de Nguik. Le village cerné, on apprit qu'Ély, averti par deux Maures qui avaient vu la colonne, lors de de son passage à Gandon, était parti depuis quelques heures seulement. L'escadron se mit à sa poursuite jusqu'à une lieue au delà d'Ouadan, tua et prit des Maures de la bande d'Ély, mais ne put atteindre celui-ci qui avait une avance trop considérable.

Pendant ce temps, à cause du retard des volontaires qui, en approchant de Nguik, au lieu de se hâter, se mirent tous, musulmans ou non, à faire le salam, le gouverneur se trouva avec 3 officiers et 3 ou 4 hommes d'escorte au milieu de la place du village, entouré de toute la population armée. Il fallait payer d'audace ; un moment de faiblesse serait devenu fatal. Le gouverneur somma les guerriers de Nguik de déposer leurs armes; déjà plusieurs d'entre eux mettaient en joue. L'ordre réitéré avec menaces et le pistolet au poing, intimida ces gens, ils mirent leurs armes par terre.

Un instant après paraissaient, comme premier renfort, 10 hommes d'infanterie montés sur des mulets, puis enfin, arrivèrent ensuite les volontaires, qu'on pourrait accuser de lâcheté sinon de de trahison dans cette affaire, où Fara-Penda lui-même, se conduisit très mal.
Pour punir le village de Nguik qui servait de refuge à nos ennemis depuis un an, et où étaient apportés tous les produits des vols commis sur nous, on le livra au pillage et on le brûla. On laissa libre toute la population, sauf le sérigne qu'on fit prisonnier.
Dans cette journée, l'ennemi eut une douzaine d'hommes tués; de notre côté, nous fîmes une perte fâcheuse dans la personne du brave capitaine de rivière Baédi qui eut le front traversé par une balle en fer.
Le vendredi 19, on séjourna à Nguik. Les volontaires allèrent brûler le village maure de Ouadan, où étaient établis les Dakhalifa et un autre village des gens d'Ély, à Baralé.
Le 20 décembre 1856, à 3 heures du matin, la colonne quitta Nguik pour revenir sur ses pas et arriva à Mpal, à 7 heures. Les volontaires du Oualo furent renvoyés dans leurs villages.
Une croyance répandue dans le pays faisant de Mpal un lieu inviolable où une armée ne saurait pénétrer, sans qu'elle en soit repoussée par des prodiges effrayants, la colonne traversa, musique en tête, les rues du village avant d'aller bivouaquer aux puits.
Dans l’ après-midi, l’ escadron quitta la colonne pour aller faire une tournée à Ross et dans le Tianialdé.

Le 21 décembre 1856, on se rendit de Mpal à Dialakhar, de 4 heures à 8 heures du matin, et on revînt ensuite à Saint-Louis en passant par Gandiole. L'état sanitaire était excellent; l'infanterie avait fait, le 18, une marche forcée de 7 à 8 lieues, sans laisser un traînard. On n'avait souffert que de la mauvaise qualité de l’ eau de quelques puits.
A la suite de cette expédition, presque tous les chefs des villages du Ndiambour vinrent assurer le gouverneur qu'ils se conformeraient à l’ avenir à tous les ordres qu'il leur donnerait.

Expédition de Niomré.

Mars 1858. Cependant, malgré l'exemple de Nguik, certains villages de la province persistèrent longtemps, non seulement à accorder un asile aux insoumis du Oualo , mais même à leur permettre quelques hostilités contre nous ou contre nos amis.
Ainsi, à la fin de 1857, la présence de Sidia, à Niomré , retenait encore hors du Oualo, sous la pression d'un meneur nommé Yougo-Fali, un grand nombre d'insoumis ; ils étaient répandus dans les villages de Mbirama, de Coki et de Niomré. Le sous-lieutenant de spahis indigène Alioun, ayant été envoyé en décembre 1857, avec une escorte de 20 spahis, pour s'expliquer là-dessus, de la part du gouverneur, avec Sérigne-Niomré et le prier de laisser Sidia retourner auprès de son père Béquio, à Ngay, la population très nombreuse de ce village, malgré toute la convenance que cet officier mettait dans sa mission, s'ameuta, prit les armes, insulta nos hommes et les mit en joue; plusieurs coups furent tirés, mais heureusement ratèrent, ce qui arrive souvent aux fusils des noirs quand ils ne sont pas préparés à combattre; M. Alioun dut monter à cheval et retourner vivement sur ses pas, pour éviter de grands malheurs.

C'est pour tirer vengeance de cet acte odieux de sauvagerie et après avoir laissé en vain aux coupables près de trois mois pour se repentir et s'excuser, qu'au commencement de mars 1858 une expédition fut dirigée , par le gouverneur en personne, contre Niomré,
Ce village de 5000 âmes était le plus beau et le plus considérable du pays. Ses habitants, Ouolof de race, sont des pasteurs et des cultivateurs musulmans ; ils jouissent d'une grande réputation de bravoure.
La colonne composée d'un millier d'hommes de troupes régulières, d'un millier de volontaires de Saint-Louis et de 500 volontaires de la banlieue de cette ville, se rendit, le 2 et le 3 mars 1858, à Dialakhar, l'infanterie par Gandiole où elle fut transportée par les bateaux à vapeur; la cavalerie, l'artillerie, le train et les volontaires par Bouëtville et le pont de Leybar. Ce grand déploiement de force avait eu lieu parce qu'on pouvait avoir affaire à tout le Ndiambour et peut-être même à tout le Cayor.

Pendant la journée du 3 mars 1858, des convois de vivres furent expédiés de Dialakhar, où ils avaient été réunis à l'avance, à Mpal, sous l'escorte des spahis et des compagnies de débarquement commandées par M. Escarfail, lieutenant de vaisseau. Les villages soumis, et principalement Gandiole, nous avaient fourni des chameaux autant que nous en désirions avec leurs conducteurs.

Le 4 mars 1858, à midi, toute la colonne était réunie à Mpal . Des avis réitérés nous apprirent que l'ennemi, au lieu de nous attendre simplement chez lui, était décidé à nous attaquer en route et à nous empêcher d'arriver à Niomré par une guerre de chicane de jour et de nuit; que, dans ce but, il s'était avancé jusqu'à Nguik, dont le chef refusait de se joindre à eux. On ajoutait que l’ennemi allait employer la force pour entrer dans ce village et pour en combler les puits. Il fallait donc se hâter d'aller occuper ce point capital de notre itinéraire, le seul entre Mpal et Niomré qui eut assez d'eau dans ses puits pour la colonne.

Le ciel ayant été couvert toute la matinée, on crut pouvoir partir à une heure de l’ après-midi; mais le ciel devint bientôt pur et un soleil d'une chaleur excessive et que la plus légère brise ne tempérait pas, accabla nos hommes d'infanterie dont une partie était arrivée de France depuis 6 jours seulement, et dont l'autre était affaiblie par 4 ou 5 ans de séjour au Sénégal.
A 2 kilomètres de Mpal, nous avions déjà laissé étendus sous les broussailles plus de 50 hommes. On renvoya les plus malades à Mpal, les officiers encouragèrent les autres; MM. le commandant Faron et le capitaine Roman principalement, à pied tous deux pour montrer l'exemple, firent des efforts incroyables pour entraîner les pauvres soldats dans cette terrible marche.

Cette expérience doit servir de leçon. Il ne faut que dans le cas de la nécessité la plus absolue tenter une marche au milieu de la journée au Sénégal , car c'est s'exposer à un désastre.
Enfin on arriva aux. puits de Nguik à la chute du jour. M. Faron, à l'arrière-garde, ramenait tous les traînards. 80 hommes environ d'infanterie blanche qu'on avait laissés derrière avaient rallié Mpal; 40 chevaux de volontaires furent renvoyés sur la route pour s'assurer que personne ne s’ y trouvait plus. Aucun ennemi ne s'était montré.
L obscurité, la fatigue et la difficulté de diriger les volontaires ne permirent pas de mettre dans le bivouac autant d'ordre qu'on l'eût voulu.
A dix heures du soir, une fusillade assez vive fut dirigée sur le camp ; nous étions attaqués. On riposta vivement des avant-postes et les assaillants se retirèrent, mais, malheureusement et malgré les ordres donnés, les volontaires et quelques hommes du front de bandière, éveillés en sursaut du sommeil de plomb qui avait suivi les fatigues de la journée, tirèrent un peu dans toutes les directions et, sur les 2 hommes tués et 8 blessés que nous comptâmes, plusieurs avaient reçu des balles du camp même.
A minuit, une bande d'ennemis vint encore tirer quelques coups de fusil sur le camp, elle se retira immédiatement, et nous n'eûmes que 2 blessés. Cette nuit d'inquiétude, après une marche pénible, produisit un assez mauvais effet sur les esprits.
A la pointe du jour, le contingent du Oualo composé de 700 hommes, dont 150 cavaliers, et commandé par M. le lieutenant Flize, directeur des affaires indigènes , arriva de Mérinaghen à notre camp. Nous étions alors forts de 3,200 hommes, dont plus de 400 cavaliers.
Ayant appris que l'ennemi occupait 3 ou. 4 petits villages autour de Nguik, le gouverneur partit avec les tirailleurs sénégalais, les laptots, les spahis, un obusier et les volontaires de Saint-Louis, pour l’en chasser. L*infanterie blanche resta au camp avec le contingent du Oualo pour se reposer.
Nous brûlâmes successivement Ouadan, Nto-gueul et Keur-Seyni-Diop, sans voir l’ennemi qui s'était retiré à noire approche; il nous restait à détruire Mbirama, village hostile, en vue, à 2 kilomètres sur notre gauche. On y envoya l'escadron, sous les ordres du lieutenant Lafont et les volontaires à cheval, et, au bout d'un instant, voyant la fumée s'élever au-dessus du villa

Expédition du Sine et du Saloum 1861

La colonne expéditionnaire qui venait de soumettre les peuplades de la haute Casamance, après avoir pris un repos de six jours seulement à Gorée, repartit le 27 février 1861 sous les ordres du chef de bataillon Laprade, pour aller rappeler les rois de Sine et de Saloum à l'exécution des traités de 1859.

Depuis quelque temps, le premier de ces rois montrait les plus dures exigences envers nos traitants de Fatik, et arrêtait les troupeaux qu'ils voulaient diriger sur Dakar.

Le second avait interdit à ses sujets toutes relations commerciales avec nos nationaux, et nous signifiait qu'elles ne seraient reprises que lorsque nous aurions rasé la tour de garde de Kaolakh.

Afin d'arriver à un résultat décisif, le chef de bataillon Laprade s'appliqua à tromper l'opinion sur les projets qu'il voulait exécuter. Il annonça qu'il allait remonter la rivière de Sine, débarquer près de Fatik, et marcher sur Diakhas. Quant au Saloum, il laissa croire que nous n'agirions pas contre lui. Pour bien convaincre les habitants du Saloum à ce sujet, on envoya.le Grand-Bassam à Kaolakh le 26 février 1861, avec ordre do prendre des pilotes pour la rivière de Sine et de ramener la canonnière la, Bourrasque.

Le Dialmatch, l’ Africain, la citerne la Trombe et l’ Ecureutl, sur lesquels était entassée la colonne expéditionnaire, partirent de Gorée le 28 au soir et entrèrent le 1" mars à 10 heures du matin dans le Saloum, où ils trouvèrent le Grand-Bassam et la Bourrasque.

On fit route immédiatement pour l'entrée de la rivière de Sine, où furent laissés le Grand-Bassam, la Bourrasque, la Trombe et l’ Écureuil, puis on continua la route sur Kaolakh avec le Dialmatch portant l'infanterie et l’artillerie, et l’ Africain portant les tirailleurs algériens.

Le 2 mars 1861, à 6 heures du soir, on mouillait à 100 mètres du poste : l'ordre fut donné de faire coucher les troupes sur le pont des bâtiments. La plage était couverte de traitants et d'indigènes attirés par la présence de deux bateaux à vapeur. Le chef de bataillon Laprade descendit à terre où il fut suivi par une foule qu'il attira loin du rivage affectant de prendre des renseignements sur le chemin de Fatik à Diakhao. Il se rembarqua à 7 heures laissant tout le monde dans l'ignorance complète de ses projets.

La nuit même à 1 heure du malin, la colonne reçut l'ordre de débarquer, et le capitaine d'infanterie de marine Millet fut chargé d'enlever avec son bataillon et l'artillerie le village du grand Kaolakh résidence de l'alcaty. Le commandant se réservait le soin de surprendre avec les tirailleurs algériens et 50 laptots, Kaoun, la capitale du Saloum.

Le capitaine Millet remplit avec succès la mission gui lui avait été confiée. A 4 heures du matin il enveloppait les cases de l’ alcaty, enlevait quatre de ses femmes et dix de ses fils et presque tous ses captifs, en tout 150 prisonniers environ ; quelques-uns ne se rendirent pas sans se défendre.

Afin d'éviter les méprises toujours à craindre dans un combat de nuit, ordre avait été donné de ne pas tirer un seul coup de fusil et de n'agir qu'à la baïonnette. Cet ordre fut rigoureusement exécuté; dans la lutte qui s'engagea, le capitaine Millet, terrassé par un indigène, allait être frappé d'un coup de lance lorsqu'il fut sauvé par la baïonnette du soldat Mas (28ème compagnie). L'un des fils de l'alcaty, celui-là même qui avait frappé violemment un de nos traitants pour lui arracher quelques bouteilles d'eau-de-vie, fut mortellement atteint ; trois autres tiédo eurent le même sort.

De son côté, le commandant de la colonne s'était rendu avec les tirailleurs algériens à un kilomètre de Kaoun, décidé à attendre le jour pour envelopper ce village, lorsque les flammes du grand Kaolakh lui annoncèrent que le capitaine Millet avait déjà exécuté son opération.

Cet incendie pouvant donner l'éveil, il se décida à agir immédiatement, et s'avança avec les chefs de corps et les capitaines de compagnie jusqu'aux tapades du village.

Après une reconnaissance exacte de l'habitation de la famille royale et après que chacun connut bien le rôle qu'il avait à remplir, la colonne avança sur le village, enleva sans résistance, avec un ordre parfait, les 150 personnes qui se trouvaient dans les cases du roi. Parmi les prisonniers étaient la sœur du roi, ses deux neveux, héritiers présomptifs, une princesse de la famille Guélouar et les principaux captifs du roi et de Linguère .

Nos soldats prirent un large butin, et à 7 heures du matin les deux colonnes, précédées de 300 prisonniers et de 20 chevaux, arrivèrent à l’ escale de Kaolakh, au grand étonnement de nos traitants, qui n'avaient remarqué aucun de nos mouvements.

A midi, le Grand-Bassam, la Trombe et l’Écureuil arrivaient aussi à Kaolakh, et la Bourrasque mouillait à Lindiane pour protéger cette escale.

Tous les prisonniers furent embarqués sur le Grand-Bassam pour être transportés à Gorée.

Le chef de bataillon Laprade, certain désormais d'obtenir du roi du Saloum toutes les satisfactions qu'il voudrait exiger, l'informa qu^avant de poursuivre ses opérations contre lui, il attendrait sa réponse afin de savoir s'il voulait continuer la guerre ou traiter avec lui. En attendant, il s'occupa d'amener le roi de Sine à composition.

Le 3 mars 1861, la colonne se mit en marche pour Diakhao, chaque homme portant avec lui pour cinq jours de vivres. Elle arriva le même jour à Diokoul, et le 4, à 8 heures du matin, après avoir traversé une épaisse forêt de quatre lieues de largeur, nous établissions notre bivouac à portée de canon de Marouk, premier village du pays de Sine.

Là, nous apprîmes que le roi et les principaux chefs du pays, informés que nous allions leur faire la guerre, étaient disposés, plutôt que de se défendre, à se soumettre à toutes nos conditions, et que déjà ils avaient autorisé nos traitants à traverser le pays pour conduire leurs troupeaux à Dakar.

Le marabout du roi vint au camp à 10 heures du matin, venant de Fatik où Ton croyait encore que nous devions débarquer, pour nous confirmer les nouvelles que nous avions déjà reçues. Il fut chargé de dire à son maître que le lendemain, au point du jour, nous arriverions devant sa capitale où on lui ferait connaître les conditions de la paix.

Le 8 mars 1861, à 7 heures du matin, nous arrivâmes devant Diakhao ; le roi nous offrit six bœufs pour la colonne et demanda au commandant une entrevue qui lui fut accordée. Le palabre fut de courte durée ; après avoir exposé au roi de Sine tous les griefs que nous avions à lui reprocher, le chef de bataillon Laprade lui déclara que la paix n'était possible qu'aux conditions suivantes :
1° Reconnaissance du traité de 1859, en insistant principalement sur la cession de Joal et sur la construction d'une tour de garde à Fatik.
2° Contribution de guerre de 200 bœufs (représentant 10,000 fr. environ) livrables à Joal.
Pour garantir l'exécution de cette dernière condition, il fut exigé que l’ un des principaux chefs du pays nous serait immédiatement livré.

Le roi de Sine, après avoir cherché à justifier ses actes, prit l’ avis des chef qui l’ entouraient, accepta toutes nos conditions, nous livra le fils de son oncle, et promit solennellement de faire tous ses efforts pour assurer l'exécution des traités.

Le même soir la colonne partait de Diakhao, et le lendemain, à 7 heures du soir, elle arrivait à Gandiaye où l’on avait donné rendez-vous à la flottille.

Nous trouvâmes sur ce point des envoyés porteurs d'une lettre du roi du Saloum, dans laquelle il rejetait sur l’ alcaty tous les griefs que nous avions à lui reprocher; il promettait aussi de donner à Kaolakh toutes les satisfactions que nous exigerions. Le 7 mars 1861, au matin, l' Africain prenant la Trombe en remorque se rendit directement à Gorée avec le bataillon de tirailleurs algériens et les quelques chevaux des officiers. Le commandant de la colonne remonta lui-même à Kaolakh avec l'infanterie et l'artillerie réparties sur le Dialmath et le Grand-Bassam qui étaient de retour de Gorée. Là, il fit savoir au roi qu'il ne lui accorderait la paix qu'aux conditions suivantes :
1° Ouverture immédiate de la traite ;
2° Reconnaissance du traité de 1859 ;
3° Cession en toute propriété à la France du terrain qui environne la tour de Kaolakh dans un rayon de 600 mètres ;
4° Contribution de guerre de 500 bœufs (23,000 fr. environ) livrables à Dakar.

Nous nous engagions de notre côté à rendre tous les prisonniers lorsque les conditions énoncées ci-dessus seraient exécutées.

Le traité fut rapporté le lendemain avec la signature du roi, par l’ interprète qu'on lui avait envoyé, accompagné du premier ministre de Samba-Laobé. (Voir les traités, à la fin du volume.)

Le même jour, à 1 heure de l'après-midi, nous quittions le mouillage de Kaolakh pour nous rendre à Gorée où nous arrivâmes le 8 mars 1861, à 10 heures du matin. Notre marche à travers les pays de Sine et de Saloum s'était faite par une chaleur accablante et un vent étouffant.

Nos soldats espéraient trouver dans quelque brillant fait d'armes une compensation aux souffrances qu'ils enduraient patiemment. Leur désir de combattre était surtout grand lorsque nous arrivâmes près de Marouck, au cœur du pays de Sine, au milieu des villages ennemis. Mais la résignation avec laquelle le roi Bouka-Kilas se soumit à toutes nos conditions arrêta l’ entraînement de nos troupes.

Partis de Diakhao le 5, à 3 heures de l’ après-midi, nous étions rendus à Gandiaye le lendemain à 7 heures du soir, ayant fait quinze lieues en vingt-huit heures sans laisser un seul homme en arrière.

Cette même colonne de Gorée avait en deux mois et demi participé aux marches pénibles de l’ expédition du Cayor; elle avait concouru à la construction du poste de Mboro, construit en quarante-huit heures le poste de Mbidjem, transportant tous les matériaux nécessaires, à travers des sables mouvants, jusqu'à une lieue et demie du point de débarquement. Par de brillants combats elle avait soumis à notre autorité toutes les peuplades de la haute Casamance sur une étendue de cent lieues carrées ; enfin, elle venait de dicter la paix aux rois de Sine et de Saloum, au sein même de leur capitale.

Traité avec le Sine et Saloum du 8 mars 1861.

Au nom de Sa Majesté.Napoléon III, Empereur des Français,
Entre M. PINET-LAPRADE, chef de bataillon du génie, officier de la Légion d'honneur, commandant particulier de Corée et dépendances, agissant en vertu des pouvoirs qui lui ont été délégués par M. le gouverneur du Sénégal et dépendances et sauf son approbation, et entre SAMBA-LAOBÉ, roi du Saloum,

Ont été arrêtées les conditions suivantes :
Article 1er — La traite sera ouverte immédiatement.

Art. 2. — Le roi Samba-Laobé s'engage à assurer l’ exécution rigoureuse du traité de 1859.
En outre, il cède en toute propriété à la France le terrain qui environne la tour de Kaolakh, dans un rayon de 600 mètres.

Art. 3. — Le roi du Saloum s'engage à livrer à Dakar 500 boeufs an gouvernement français, à titre de contribution de guerre.

Art. 4 — Le commandant de Gorée promet de rendre tous les prisonniers de guerre au roi du Saloum, dès que les conditions énoncées ci-dessus auront été exécutées.

Le présent traité, fait en triple expédition (français et arabe), a été conclu et signé à Kaolakh, le 8 mars 1861, par les parties contractantes.

Signature arabe du DJARAFF.
Idem de BITÉOU.
Idem de SAMBA-LAOBÉ.
Signé : PINET-LAPRADE.
ge, on crut que l'affaire était terminée et que l'ennemi renonçait à se montrer. L'ordre fut envoyé à l'escadron de rallier et la petite colonne se mit en route pour rentrer au bivouac de Nguik avant la forte chaleur.
Au bout d'une demi-heure, ne voyant pas revenir l'escadron, le gouverneur eut des inquiétudes sur son compte et rebroussa subitement chemin au galop donnant l'ordre à tout le monde de le suivre au pas de course autant que possible. Il arrivait à temps : à 2 kilomètres de Mbirama, on trouva les spahis en pleine retraite, et poursuivis vivement par des forces considérables.
Voici ce qui était arrivé : l'escadron, après être entré dans le village, ne voyant personne, avait voulu faire boire et manger les chevaux avant d'achever de brûler les cases, et l'ennemi qui l'avait aperçu, ainsi isolé de la colonne, l'avait surpris, les chevaux débridés, avait tué 3 spahis et 5 volontaires , tué ou blessé 6 chevaux de l'escadron et enlevé les chevaux des volontaires.
Ralliant aussitôt les spahis et sachant qu'il pouvait compter sur l’ appui des renforts qui le suivaient de près, le gouverneur reprit immédiatement l’offensive en dirigeant lui-même une charge à fond sur les Ndiambour qui montrèrent un acharnement et un courage remarquables. 21 des leurs furent tués sur place et le reste battit en retraite sous le feu des tirailleurs et des laptots qui arrivaient successivement pendant la charge et en tuèrent encore plusieurs. L'artillerie que M. le commandant Sarclou avait vivement ramenée au feu, acheva de les faire disparaître au loin. Nous eûmes dans la charge, 2 hommes blessés, 1 cheval tué et 3 autres blessés. Le fils du chef de Niomré se trouva parmi les morts de l'ennemi, ainsi que plusieurs autres gens marquants.
M. le lieutenant d'état-major Vincent, aide de camp du gouverneur, chargeant au premier rang, fut renversé d'un coup de crosse de fusil, mais il put se remettre aussitôt en selle. Le maréchal des logis Fauque, le brigadier Fanjon et le spahis noir Lamine s'étaient admirablement conduits pendant la retraite désordonnée de l’ escadron.
L'ennemi éloigné, nous reprîmes, à midi, le chemin de Nguik avec .toute notre colonne légère et l'ennemi ne nous suivit pas, il n'osa pas même venir enterrer ses morts après notre départ.
Cette petite affaire ranima tout le monde, mais un inconvénient bien grave se présenta pendant la journée, l'eau des puits de Nguik ne suffisait pas à notre nombreuse colonne.

Le lendemain 6 mars 1858, le gouverneur, un peu incertain du parti à prendre, fit une reconnaissance avec l’ infanterie blanche et le train sur le lieu du combat de la veille, pour y chercher du fourrage, et en même temps, offrir aux Ndiambour une occasion de faire connaissance avec nos carabines ; mais en fait d'ennemis, nous ne trouvâmes que les tués de la veille et nous apprîmes que l’ armée de Niomré occupait Ndia, village situé entre nous et Niomré et qu'elle manifestait l’intention de s'y défendre pour retarder notre marche sur son propre village.
Ayant trouvé à Mbirama un puits très abondant, on se décida à pousser quand même jusqu'à Niomré, ce qu'on avait cru un moment impossible à cause du manque d'eau. Dans l'après-midi les troupes régulières furent envoyées à Mbirama pour y bivouaquer la nuit, et les goums restèrent à Nguik; de cette manière l'eau nous était assurée en quantité suffisante.
Une petite redoute enterre fut rapidement construite au milieu du village de Nguik pour y laisser nos blessés, nos malades et nos bagages, sous les ordres du capitaine Blondeau, avec 200 volontaires et 1 obusier; cette occupation devait, en outre, empêcher de rien tenter derrière nous contre les puits de ce village.

Dans la nuit du 6 au 7 mars 1858, à trois heures du matin, les goums nous ayant rejoints à Mbirama, nous nous mimes en marche pour Niomré. L'ennemi évacua Ndia à notre approche, les habitants de ce village ne lui étant pas très favorables. Nous dépassâmes Ndia et à la pointe du jour, nous aperçûmes Niomré au fond de la plaine.

Les gens de Niomré avaient pris position à portée de canon devant nous, au petit village de Mpaka, à une lieue en avant de Niomré; leur plan qui nous était connu par le rapport de nos espions, consistait, comme toujours, à nous attaquer à la fois de tous les côtés et surtout par derrière, mais ils furent poussés si vivement qu'ils ne purent le mettre en entier à exécution. La plaine autour de Niomré est coupée dans tous les sens par des haies qui séparent les champs de mil; mais les plantes qui les forment sont une espèce d'euphorbiacées qui n'offrent pas de résistance, de sorte qu'on traverse ces haies avec la plus grande facilité.
Deux pelotons d'infanterie furent déployés en tirailleurs à l’ avant-garde, sous les ordres de M. le lieutenant Pipy et soutenus par un obusier marchant avec leur réserve commandée par M. le lieutenant Simon.
Les tirailleurs sénégalais furent déployés en flanqueurs à gauche, et les compagnies de débarquement à droite; l’ arrière-garde fut confiée au commandement de M. le capitaine Millet, avec un obusier, et les volontaires se développèrent sur notre flanc droit. Nous marchâmes vivement sur le village, repoussant les tirailleurs ennemis, de haie en haie et éloignant leurs cavaliers de nos flancs par un feu très nourri.
Nous arrivâmes ainsi, et sans temps d'arrêt, au village même d'où nous eûmes encore quelques groupes d'ennemis à déloger et que nous traversâmes dans son immense longueur, de plus de 2000 mètres, en y mettant le feu. Tout était fini, l'ennemi avait disparu.
Grâce à la vivacité de noire attaque et à la rapidité de notre marche en avant, nos pertes furent très peu considérables. Avec le peu de moyens de transport pour les blessés, dont on dispose, en général, au Sénégal, on est obligé de brusquer ainsi les affaires pour qu'elles durent moins longtemps, et on ne peut généralement pas se permettre d'agir plus méthodiquement et de combiner des mouvements qui pourraient nous faire obtenir des résultats plus complets, mais augmenteraient aussi le nombre de nos blessés et seraient un grand embarras pour nous.

M. le lieutenant Pipy, excellent officier, ayant déjà rendu de bons services au Sénégal, fut tué presque à bout portant d'une balle dans le ventre. Un spahis fut tué d'une balle en pleine poitrine, et une quinzaine d'hommes furent blessés presque tous légèrement.
L'ennemi perdit 50 hommes tués et, dans cette affaire de tirailleurs, il dut avoir beaucoup de blessés par des armes à grande portée.

Nous bivouaquâmes aux puits de Niomré après avoir fait un butin assez considérable et vers le soir, les volontaires allèrent brûler le village de Tanim, résidence de Mokhlar-Binta, seul cause de toute cette affaire, car c'était lui qui avait conseillé au Sérigne Niomré de nous braver jusqu'au bout.
A la nuit, nous avions une soixantaine de prisonniers entre les mains. Nous apprîmes que tous les villages à six lieues à la ronde, y compris le grand village de Coki, étaient en fuite, et, dès le le jour même, des envoyés et des demandes de paix arrivèrent de la part des chefs de tous ces villages.
Le but de l'expédition étant rempli et toute résistance brisée, nous revînmes, le 8 mars 1856, de Niomré à Nguik et le 9, renvoyant la colonne à Saint-Louis, par Mpal et Dialakhar, le gouverneur alla avec les tirailleurs sénégalais, les compagnies de débarquement et le goum du Oualo, faire une tournée par Mérinaghen et Nder jusqu'à Richard-Toll.

A la suite de cette expédition, nous eûmes quelques hommes fatigués, mais pas de malades, le pays où nous avions opéré étant excessivement sain.

Le 5 mars 1859, une partie des gens de Niomré avait cherché à faire une diversion en allant faire une razzia dans le cercle de Dagana. Ils avaient surpris un troupeau du chef Poul Salif et deux bergers, mais le troupeau leur fut repris et ils retournèrent les mains vides après avoir fait inutilement quarante lieues.

Expédition de Sine.

Mai 1859. Gorée et la côte jusqu'à Sierra-Léone furent réunis, au commencement de 1859, au gouvernement du Sénégal, et le gouverneur eut à s'entendre immédiatement avec le commandant particulier, M. le chef de bataillon du génie Laprade, au sujet de ces dépendances. On s'occupa d'abord des environs de Gorée.

Les pays qui sont compris entre la presqu'île du Cap Vert et la Gambie sont sous la domination des rois du Cayor, du Baol, de Sine et de Saloum.

En 1679, M. Ducasse, plus tard lieutenant-général des armées navales, imposait aux noirs du Cayor, du Baol et de Sine des traités qui cédaient à la France une bande de terrain de six lieues de profondeur, depuis la presqu’ Île du cap Vert jusqu'à la rivière de Saloum. Mais nos droits sur cette côte, même immédiatement après leur établissement par les traités Ducasse, n'avaient jamais été suivis d'un commencement d^occupation sérieuse.
On n'aurait certes pas pensé à les faire valoir si le commerce eût trouvé, sur cette côte, toute la sécurité désirable; mais les réclamations pour vols, pillages, mauvais traitements, nous arrivaient journellement de la part de nos traitants contre les populations de ces pays.

Le 7 décembre 1858, le nommé Macéne Potch, parent du roi du Cayor, avait tenté d'assassiner, pour une cause futile, à Rufisque, un commerçant français, M. Albert et son ouvrier Tamba, en leur tirant un coup de fusil chargé de trois balles, dans l’ intérieur de leur case. L'ouvrier seul mourut de sa blessure; M. Albert fit plusieurs mois d'hôpital. Enfin deux missionnaires établis à Joal avaient eu à subir toutes sortes d'outrages de la part des tiédo du roi de Sine. Dans deux circonstances, ils avaient été blessés, légèrement il est vrai, de coups de poignard ou de couteau.

A la presqu'île du cap Vert, il y a quelques années à peine, les gens d'Yof pillaient encore des navires naufragés sur leurs côtes, et, en 1859, les chefs de la presqu'île faisaient encore payer à leur profit des droits de transit aux produits sortant du Cayor pour venir à nos maisons de commerce.

Cet état de choses qui ne faisait qu'empirer de jour en jour, fit penser que des explications appuyées de la présence de quelques forces,étaient nécessaires et sans aucun retard. En conséquence, le gouverneur partit de Saint-Louis dans les premiers jours de mai 1859, avec l’ Anacréon capitaine Pi, le Podor, capitaine Caillet, 200 tirailleurs sénégalais commandés par M. le capitaine de Hneau et quelques canonniers commandés par le capitaine Vincent.

On prit, en passant à Gorée, M. le commandant Laprade, 160 hommes d'infanterie de marine, capitaine Arnier, quelques hommes d'artillerie avec M. le capitaine Viot et 100 volontaires. On débarqua à Dakar le 6.
Le lendemain 7 mai 1859, pendant que M. Laprade conduisait, en suivant la plage, l'infanterie, l'artillerie et les bagages à Tiaroy, frontière du Cayor, le gouverneur parcourait la presqu'île dans toute son étendue avec les tirailleurs et les compagnies de débarquement, forçant chaque village à nous fournir un contingent de volontaires. Le 7, au soir, il rejoignait la colonne à Tiaroy, avec 225 volontaires. C'était le nombre que nous avions désigné. La colonne montait alors à 800 hommes environ.

M. Brossard de Corbigny, lieutenant de vaisseau était chargé des affaires indigènes et de faire la carte du pays à parcourir. M. Clary, sous-lieutenant de chasseurs d'Afrique, officier d'ordonnance du gouverneur, remplissait les fonctions de chef d'état-major de la colonne. M. Bel, chirugien de 1ère classe de la marine était chef d'ambulance.

Franchissant la frontière du Cayor, nous arrivâmes à Rufisque, le 8, à 8 heures !/2 du matin. C'est un village de 3 à 4,000 milles âmes. On établit le camp dans la plaine derrière le village. On commença par arrêter Aly-Gùeye, ancien maître du port, nommé par Damel, à qui on avait toutes sortes de violences à reprocher et Laty-Ndiaye, tiédo de sa suite, fortement soupçonné de complicité dans l'assassinat de M. Albert et de son menuisier.

Le 9 mai 1859, M. Brossard alla, avec un peloton de laptots, faire une reconnaissance dans les villages de Kounoum, aux environs de Rufisque. Les habitants de Rufisque demandèrent à fournir des volontaires pour montrer qu'ils ne faisaient plus avec nous. On n'en accepta que 25, parce que l'effectif de la colonne était déjà trop nombreux.

Partie le 10, à 4 heures 1/2 de Rufisque, la colonne passa par Bargny, très grand village composé de plusieurs groupes; à 6 heures 1/2, à Bargny-Sep, qui est du Baol, puis à Yen. On s'arrêta à Kel, près Mangol.
Mercredi, partis de Kel, à 4 heures du matin, nous fîmes la grand'halte à la rivière Somone et nous arrivâmes le soir à Sali (Portudal). L'artillerie s'y embarqua sur le Podor parce que le chemin au delà présentait quelques difficultés.

Jeudi 12 mai 1859, départ à 4 heures 1/2 ; à 8 heures 1/2, à Nianing. A Mbour, on s'empara du chef Lat-Kaéré, contre lequel il y avait plusieurs plaintes.
Le 15 mai 1859, l'infanterie blanche fut embarquée parce que nous devions faire une marche longue et pénible. Nous passâmes la Fasna et à 9 heures nous étions à Joal, village de 2000 âmes, où les missionnaires et les traitants nous faisaient de vive voix leurs réclamations et où les habitants du village, soi-disant Portugais et chrétiens, venaient nous saluer, en nous assurant de leurs bonnes dispositions.

Les fonctionnaires et tiédo du roi de Sine, coupables des violences dénoncées, entre autres le grand Fitor, s'étaient sauvés dans l'intérieur à notre approche. Nous nous consultâmes pour savoir comment nous obtiendrions réparation et il était décidé que nous allions nous embarquer sur nos bâtiments pour aller, par la rivière Saloum, nous aboucher dans l’ intérieur avec les rois du pays, lorsqu'un événement produit par le hasard, précipita les choses et nous entraîna, pour ainsi dire malgré nous, dans une série de circonstances dont on pouvait espérer tirer les plus grands avantages pour notre domination dans ces pays.

Le Boumi, second chef de Sine, ignorant notre présence à Joal, y arrivait le soir même avec une escorte de cavalerie ; ces cavaliers ayant été aperçus dans l’obscurité, il en résulta une alerte et on envoya deux fortes patrouilles pour faire une reconnaissance autour du village. Un instant après, le gouverneur apprenait officiellement par le chef de Joal, l'arrivée du Boumi, et avant qu'il eût pu en avertir les patrouilles, une de celles-ci, composée de laptots, entourait ce chef et son escorte, et comme ils opposaient de la résistance, on se précipitait sur eux et il en résultait une bagarre à la suite de laquelle le Boumi, tout meurtri, se sauvait en traversant la rivière où il faillit se noyer et laissant entre nos mains 2 de ses hommes et 12 chevaux.

Le Boumi était un des chefs dont nous avions le plus à nous plaindre. Cependant, ne voulant pas passer pour lui avoir tendu un guet-apens , le gouverneur lui envoya, le lendemain matin, son domestique et un de ses chevaux pour lui dire de revenir sans crainte, et que nous lui rendrions ce qui lui appartenait en réglant toutes nos affaires présentes et passées.
En même temps qu'il offrait ces réparations, le gouverneur crut, pour qu'elles ne fussent pas attribuées à la crainte, devoir se porter en avant avec la colonne, et, au lieu de nous embarquer, prenant trois jours de biscuit sur nous et laissant tous nos bagages derrière, nous nous mimes en marche pour l’intérieur.

On laissa à Joal 130 hommes de garnison avec un obusier, sous les ordres de M. le capitaine d'artillerie Vincent, pour protéger la mission et nos traitants après notre départ, et le gouverneur écrivit au roi de Sine qu'il se rendait à Fatik, au cœur de son pays, où il serait le 18, et où il ferait avec lui la paix ou la guerre, suivant qu'il accorderait ou non les réparations et les garanties qu'on avait à lui demander.

Nous traversâmes pendant la nuit une très belle forêt et, après un repos de quelques heures en route, nous arrivâmes à la pointe du jour au village de Guilas, où nous faillîmes prendre le chef Tchilas qui se permettait de venir de temps à autre tourmenter nos gens à Joal. Trois de ses chevaux restèrent entre nos mains. Nous passâmes la journée aux puits abondants de ce village, ombragés par des arbres magnifiques, rassurant la population et payant exactement tout ce dont nous avions besoin pour la subsistance de la colonne.

Les volontaires furent envoyés à Faouoy, pour voir s'il ne s'y trouvait pas de tiédo. Le même soir, ayant appris que le comptoir de Silif qui était sur notre route, avait été pillé par le Boumi, nous nous y rendîmes et le trouvâmes désert. Le Podor, qui avait reçu l’ ordre de s'y rendre par le marigot pour nous ravitailler, n'y élait pas encore arrivé. Comme il n'y avait pas d'eau à Silif, nous fûmes obligés de continuer notre marche sur Faïl, où nous arrivâmes vers minuit.

Le 16 mai 1859, au matin, le gouverneur envoya quelques hommes vers Silif pour avoir des nouvelles du Podor. Ils ne l'y trouvèrent pas et aperçurent dés cavaliers en observation. On renvoya 23 laptots sous les ordres du capitaine de rivière Yousouf ; ils se trouvèrent, à une lieue du camp, en présence de 200 hommes, commandés par quelques cavaliers qui garnissaient la lisière d'un bois. Nos laptots prirent position et échangèrent des coups de fusil avec l'ennemi ; au bruit de cette fusillade, le gouverneur envoya le lieutenant Deleutre avec deux pelotons de tirailleurs ; cet officier lança ses hommes sur les ennemis qui disparurent.

Le soir, à 5 heures, au moment où nous partions pour Fatik, des cavaliers vinrent encore nous observer et furent chassés par quelques carabiniers du 4ème régiment d'infanterie de marine.

Par une marche de nuit, faite avec toutes les précautions voulues, puisqu'il devenait évident que le pays était en armes, nous arrivâmes à l'escale de Fatik, où les traitants n'avaient pas été inquiétés ; nous n'y trouvâmes pas l’Anacréon , sur lequel nous comptions pour avoir des vivres, il n'avait pas encore eu le temps d'y arriver.
M. Mage, enseigne de vaisseau, fut envoyé immédiatement avec 25 laptots pour descendre le marigot à la recherche de l’ Anacréon.
N'ayant pas d'eau à l'escale de Fatik, après nous être reposés la nuit, nous nous rendîmes le matin de très bonne heure au village de ce nom, à une lieue de là, où il y a des puits abondants. On y forma les faisceaux et on se reposa en mangeant quelques galettes de biscuit. C'était le jour et le lieu du rendez-vous donné pour la paix ou pour la guerre au roi de Sine, il n'y manqua pas.
A 9 heures, au moment où l’ on ne s'y attendait guère, les sentinelles avancées n'ayant pas donné l'alarme, l'armée de Sine déboucha du bois, la cavalerie en tête et nous eûmes un homme blessé aux faisceaux avant d'avoir eu le temps de prendre les armes.
Nous étions alors 600 hommes en tout, parmi lesquels 50 blancs seulement et 325 volontaires. Les compagnies de débarquement commandées par M. Pi et les volontaires de Dakar, se jetèrent dans le bois que nous avions devant notre droite et maintinrent vigoureusement pendant toute l'affaire l’ infanterie ennemie qu'ils avaient devant eux.
Les tirailleurs sénégalais et les volontaires de Gorée, ces derniers commandés par M. Dumont, se portèrent à la rencontre des cavaliers qui envahissaient déjà notre bivouac. Le peloton d'infanterie blanche, 35 hommes, resta en réserve par ordre du gouverneur, auprès de notre obusier.
La cavalerie de Sine, très renommée dans le pays, tint bon pendant un moment dans la position avancée qu'elle avait prise, malgré une fusillade excessivement vive de notre part et à 80 ou 100 pas de distance. Trois coups d'obusier, dont un à mitraille lui furent envoyés, mais l’ affût cassa et nous nous trouvâmes sans artillerie.
Enfin, au bout de vingt minutes, avançant en pivotant autour de notre droite, nous repoussâmes l’ ennemi qui pivotait en reculant, autour de sa gauche, jusqu'à des bois qui se trouvaient derrière lui. On ne laissa pas nos tirailleurs s'y engager à sa suite, de peur qu'ils ne tombassent sur des masses de fantassins embusqués. On fit sonner la retraité et reformer les pelotons.
Au bout de quelques moments, les ennemis ramenés par leurs chefs, et reprenant courage, revinrent franchement dans la plaine. Le gouverneur lança de nouveau nos tirailleurs qui les forcèrent, pour la seconde fois, à rentrer dans le bois. Quelques coups heureux de nos carabiniers commençaient à les étonner.
Nous nous reformâmes de nouveau en laissant encore le champ libre. La cavalerie de Sine en profita une troisième fois pour revenir à la charge et faire un dernier effort, les tirailleurs se jetèrent sur elle avec plus d'ardeur encore, et le gouverneur engagea complètement le peloton de carabiniers pour en finir. Cette fois l’ armée de Sine, commençant à compter ses pertes et ayant ses chefs tués ou blessés, tourna vivement le dos, prit définitivement la fuite et nous laissa maîtres du champ de bataille.

Les ennemis eurent , dans celle affaire, 150 hommes tués ou blessés ; ils accusèrent eux-mêmes environ 40 tués sur place, parmi lesquels 5 frères, beaux-frères et cousins germains du roi. C'étaient les nommés Oula-Sanou, Joro-Oual-Adam, roi de Palar, Boubakar-Ngoné, roi de Dioïn, etc. Une dizaine de chevaux tués restèrent sur le champ de bataille ; on en prit deux sans blessures.

De notre côté, nous n'eûmes que cinq blessures excessivement légères. Ce résultat singulier, après une fusillade de plus d'une heure, à très petite portée, était dû à ce que le tir de cavaliers armés de fusils de six pieds de long est naturellement très incertain, à la difficulté énorme qu'ils ont à recharger leurs armes et, enfin, à leur manière de les charger: ils y mettent jusqu'à 12 et 18 balles de traite, espèces de grosses chevrotines, suivant, comme ils le disent, le degré de colère qu'ils éprouvent. On conçoit que, s'il est très désagréable d'être atteint par un coup de fusil ainsi chargé à quelques pas, en revanche, on n'a rien à en craindre à 60 pas.

Le village de Fatik fut brûlé par nous pour faire savoir au loin notre victoire. A la vue des immenses colonnes do fumée produites par cet incendie, les habitants d'une partie des villages du royaume de Sine se sauvèrent de toutes parts et se réfugièrent dans les pays voisins. Le roi et les débris de son armée se retirèrent vers l'est.

Nous étions vainqueurs, mais nous n'avions plus de vivres ; pas de nouvelles de nos bateaux et notre situation devenait très critique. Revenus le soir à l'escale pour y passer la nuit, nous réfléchissions tristement au parti à prendre et à la direction dans laquelle il fallait marcher pour tâcher de retrouver nos magasins flottants, lorsque nous entendîmes dans l'obscurité une marche sonnée par un clairon; nous courûmes au-devant de la troupe qui arrivait.
C'était M. Mage et ses laptots, avec 50 hommes d'infanterie de renfort qui nous arrivaient de l’Anacréon, mouillé dans le marigot, à une lieue de nous. Ce détachement escortait des embarcations chargées de vivres auxquels on fit honneur à l’ instant même.

Après avoir déménagé l'escale de Fatik, nous nous mimes en marche le 19 mai 1859, à 8 heures, pour aller en face de l’ Anacreon sur lequel on embarqua les chevaux de la colonne et les 20 chevaux pris à l'ennemi, car nous allions avoir à suivre une route impraticable pour les chevaux à cause des marécages. On passa la journée sans eau, l’ Anacréon n'en ayant presque pas. Une partie de la colonne fut 24 heures sans boire et les chevaux 2 et 3 jours, ce qui est très dur en plein soleil, au mois de mai, par 14° de latitude.

Le 20 mai 1859, à 1 heure du matin, la colonne à terre, sous les ordres du commandant Laprade, et l’ Anacréon, descendirent simultanément le marigot de Fatik, pour se rendre à son embouchure, dans la rivière de Saloum, vis-à-vis de Mbam. Les hommes eurent à passer un affreux marais de 500 mètres de large, où il y avait 2 pieds de vase molle couverte de 2 pieds d'eau. On le passa, non sans peine, mais sans accident, et on arriva au lieu nommé Kokhgnik-Mbam à 4 heures du matin. La colonne eut encore un moment de vive inquiétude , car elle n'y trouva ni le Podor, ni les citernes qui n'arrivèrent qu'à 7 ou 8 heures.

Le 21 mai 1859, au matin, par l'arrivée de l’ Aîiacréon nous étions tous réunis à Kokhgnik-Mbam bien portants, abrités par des gourbis en feuillage au milieu de mangliers couverts d'huîtres.

Le gouverneur fit un voyage sur le Podor à Kaolakh, pour s'aboucher avec le ministre de Saloum et, le 24, toute la flottille l’ Anacréon, le Podor, 2 citernes et 1 côtre, portant la colonne, se rendit par mer à Joal. Un blockhaus y avait déjà été apporté par la canonnière la Bourrasque. Le gouverneur donna des ordres pour sa construction immédiate, entre la mission et le terrain des traitants, nomma le chef du village et, laissant 100 hommes de garnison pendant la construction du blockhaus, des ouvriers en nombre suffisant, et la Bourrasque mouillée devant le village, la flottille se rendit à Sali (Portudal), où une colonne légère commandée par M. Laprade, fut débarquée pour revenir à Dakar, par terre, pendant que les bateaux se rendraient à Gorée où nous étions tous de retour le 27, au soir.

Expédition du Sine et du Saloum 1861

La colonne expéditionnaire qui venait de soumettre les peuplades de la haute Casamance, après avoir pris un repos de six jours seulement à Gorée, repartit le 27 février 1861 sous les ordres du chef de bataillon Laprade, pour aller rappeler les rois de Sine et de Saloum à l'exécution des traités de 1859.

Depuis quelque temps, le premier de ces rois montrait les plus dures exigences envers nos traitants de Fatik, et arrêtait les troupeaux qu'ils voulaient diriger sur Dakar.

Le second avait interdit à ses sujets toutes relations commerciales avec nos nationaux, et nous signifiait qu'elles ne seraient reprises que lorsque nous aurions rasé la tour de garde de Kaolakh.

Afin d'arriver à un résultat décisif, le chef de bataillon Laprade s'appliqua à tromper l'opinion sur les projets qu'il voulait exécuter. Il annonça qu'il allait remonter la rivière de Sine, débarquer près de Fatik, et marcher sur Diakhas. Quant au Saloum, il laissa croire que nous n'agirions pas contre lui. Pour bien convaincre les habitants du Saloum à ce sujet, on envoya.le Grand-Bassam à Kaolakh le 26 février 1861, avec ordre do prendre des pilotes pour la rivière de Sine et de ramener la canonnière la, Bourrasque.

Le Dialmatch, l’ Africain, la citerne la Trombe et l’ Ecureutl, sur lesquels était entassée la colonne expéditionnaire, partirent de Gorée le 28 au soir et entrèrent le 1" mars à 10 heures du matin dans le Saloum, où ils trouvèrent le Grand-Bassam et la Bourrasque.

On fit route immédiatement pour l'entrée de la rivière de Sine, où furent laissés le Grand-Bassam, la Bourrasque, la Trombe et l’ Écureuil, puis on continua la route sur Kaolakh avec le Dialmatch portant l'infanterie et l’artillerie, et l’ Africain portant les tirailleurs algériens.

Le 2 mars 1861, à 6 heures du soir, on mouillait à 100 mètres du poste : l'ordre fut donné de faire coucher les troupes sur le pont des bâtiments. La plage était couverte de traitants et d'indigènes attirés par la présence de deux bateaux à vapeur. Le chef de bataillon Laprade descendit à terre où il fut suivi par une foule qu'il attira loin du rivage affectant de prendre des renseignements sur le chemin de Fatik à Diakhao. Il se rembarqua à 7 heures laissant tout le monde dans l'ignorance complète de ses projets.

La nuit même à 1 heure du malin, la colonne reçut l'ordre de débarquer, et le capitaine d'infanterie de marine Millet fut chargé d'enlever avec son bataillon et l'artillerie le village du grand Kaolakh résidence de l'alcaty. Le commandant se réservait le soin de surprendre avec les tirailleurs algériens et 50 laptots, Kaoun, la capitale du Saloum.

Le capitaine Millet remplit avec succès la mission gui lui avait été confiée. A 4 heures du matin il enveloppait les cases de l’ alcaty, enlevait quatre de ses femmes et dix de ses fils et presque tous ses captifs, en tout 150 prisonniers environ ; quelques-uns ne se rendirent pas sans se défendre.

Afin d'éviter les méprises toujours à craindre dans un combat de nuit, ordre avait été donné de ne pas tirer un seul coup de fusil et de n'agir qu'à la baïonnette. Cet ordre fut rigoureusement exécuté; dans la lutte qui s'engagea, le capitaine Millet, terrassé par un indigène, allait être frappé d'un coup de lance lorsqu'il fut sauvé par la baïonnette du soldat Mas (28ème compagnie). L'un des fils de l'alcaty, celui-là même qui avait frappé violemment un de nos traitants pour lui arracher quelques bouteilles d'eau-de-vie, fut mortellement atteint ; trois autres tiédo eurent le même sort.

De son côté, le commandant de la colonne s'était rendu avec les tirailleurs algériens à un kilomètre de Kaoun, décidé à attendre le jour pour envelopper ce village, lorsque les flammes du grand Kaolakh lui annoncèrent que le capitaine Millet avait déjà exécuté son opération.

Cet incendie pouvant donner l'éveil, il se décida à agir immédiatement, et s'avança avec les chefs de corps et les capitaines de compagnie jusqu'aux tapades du village.

Après une reconnaissance exacte de l'habitation de la famille royale et après que chacun connut bien le rôle qu'il avait à remplir, la colonne avança sur le village, enleva sans résistance, avec un ordre parfait, les 150 personnes qui se trouvaient dans les cases du roi. Parmi les prisonniers étaient la sœur du roi, ses deux neveux, héritiers présomptifs, une princesse de la famille Guélouar et les principaux captifs du roi et de Linguère .

Nos soldats prirent un large butin, et à 7 heures du matin les deux colonnes, précédées de 300 prisonniers et de 20 chevaux, arrivèrent à l’ escale de Kaolakh, au grand étonnement de nos traitants, qui n'avaient remarqué aucun de nos mouvements.

A midi, le Grand-Bassam, la Trombe et l’Écureuil arrivaient aussi à Kaolakh, et la Bourrasque mouillait à Lindiane pour protéger cette escale.

Tous les prisonniers furent embarqués sur le Grand-Bassam pour être transportés à Gorée.

Le chef de bataillon Laprade, certain désormais d'obtenir du roi du Saloum toutes les satisfactions qu'il voudrait exiger, l'informa qu^avant de poursuivre ses opérations contre lui, il attendrait sa réponse afin de savoir s'il voulait continuer la guerre ou traiter avec lui. En attendant, il s'occupa d'amener le roi de Sine à composition.

Le 3 mars 1861, la colonne se mit en marche pour Diakhao, chaque homme portant avec lui pour cinq jours de vivres. Elle arriva le même jour à Diokoul, et le 4, à 8 heures du matin, après avoir traversé une épaisse forêt de quatre lieues de largeur, nous établissions notre bivouac à portée de canon de Marouk, premier village du pays de Sine.

Là, nous apprîmes que le roi et les principaux chefs du pays, informés que nous allions leur faire la guerre, étaient disposés, plutôt que de se défendre, à se soumettre à toutes nos conditions, et que déjà ils avaient autorisé nos traitants à traverser le pays pour conduire leurs troupeaux à Dakar.

Le marabout du roi vint au camp à 10 heures du matin, venant de Fatik où Ton croyait encore que nous devions débarquer, pour nous confirmer les nouvelles que nous avions déjà reçues. Il fut chargé de dire à son maître que le lendemain, au point du jour, nous arriverions devant sa capitale où on lui ferait connaître les conditions de la paix.

Le 8 mars 1861, à 7 heures du matin, nous arrivâmes devant Diakhao ; le roi nous offrit six bœufs pour la colonne et demanda au commandant une entrevue qui lui fut accordée. Le palabre fut de courte durée ; après avoir exposé au roi de Sine tous les griefs que nous avions à lui reprocher, le chef de bataillon Laprade lui déclara que la paix n'était possible qu'aux conditions suivantes :
1° Reconnaissance du traité de 1859, en insistant principalement sur la cession de Joal et sur la construction d'une tour de garde à Fatik.
2° Contribution de guerre de 200 bœufs (représentant 10,000 fr. environ) livrables à Joal.
Pour garantir l'exécution de cette dernière condition, il fut exigé que l’ un des principaux chefs du pays nous serait immédiatement livré.

Le roi de Sine, après avoir cherché à justifier ses actes, prit l’ avis des chef qui l’ entouraient, accepta toutes nos conditions, nous livra le fils de son oncle, et promit solennellement de faire tous ses efforts pour assurer l'exécution des traités.

Le même soir la colonne partait de Diakhao, et le lendemain, à 7 heures du soir, elle arrivait à Gandiaye où l’on avait donné rendez-vous à la flottille.

Nous trouvâmes sur ce point des envoyés porteurs d'une lettre du roi du Saloum, dans laquelle il rejetait sur l’ alcaty tous les griefs que nous avions à lui reprocher; il promettait aussi de donner à Kaolakh toutes les satisfactions que nous exigerions. Le 7 mars 1861, au matin, l' Africain prenant la Trombe en remorque se rendit directement à Gorée avec le bataillon de tirailleurs algériens et les quelques chevaux des officiers. Le commandant de la colonne remonta lui-même à Kaolakh avec l'infanterie et l'artillerie réparties sur le Dialmath et le Grand-Bassam qui étaient de retour de Gorée. Là, il fit savoir au roi qu'il ne lui accorderait la paix qu'aux conditions suivantes :
1° Ouverture immédiate de la traite ;
2° Reconnaissance du traité de 1859 ;
3° Cession en toute propriété à la France du terrain qui environne la tour de Kaolakh dans un rayon de 600 mètres ;
4° Contribution de guerre de 500 bœufs (23,000 fr. environ) livrables à Dakar.

Nous nous engagions de notre côté à rendre tous les prisonniers lorsque les conditions énoncées ci-dessus seraient exécutées.

Le traité fut rapporté le lendemain avec la signature du roi, par l’ interprète qu'on lui avait envoyé, accompagné du premier ministre de Samba-Laobé. (Voir les traités, à la fin du volume.)

Le même jour, à 1 heure de l'après-midi, nous quittions le mouillage de Kaolakh pour nous rendre à Gorée où nous arrivâmes le 8 mars 1861, à 10 heures du matin. Notre marche à travers les pays de Sine et de Saloum s'était faite par une chaleur accablante et un vent étouffant.

Nos soldats espéraient trouver dans quelque brillant fait d'armes une compensation aux souffrances qu'ils enduraient patiemment. Leur désir de combattre était surtout grand lorsque nous arrivâmes près de Marouck, au cœur du pays de Sine, au milieu des villages ennemis. Mais la résignation avec laquelle le roi Bouka-Kilas se soumit à toutes nos conditions arrêta l’ entraînement de nos troupes.

Partis de Diakhao le 5, à 3 heures de l’ après-midi, nous étions rendus à Gandiaye le lendemain à 7 heures du soir, ayant fait quinze lieues en vingt-huit heures sans laisser un seul homme en arrière.

Cette même colonne de Gorée avait en deux mois et demi participé aux marches pénibles de l’ expédition du Cayor; elle avait concouru à la construction du poste de Mboro, construit en quarante-huit heures le poste de Mbidjem, transportant tous les matériaux nécessaires, à travers des sables mouvants, jusqu'à une lieue et demie du point de débarquement. Par de brillants combats elle avait soumis à notre autorité toutes les peuplades de la haute Casamance sur une étendue de cent lieues carrées ; enfin, elle venait de dicter la paix aux rois de Sine et de Saloum, au sein même de leur capitale.

Traité avec le Sine et Saloum du 8 mars 1861.

Au nom de Sa Majesté.Napoléon III, Empereur des Français,
Entre M. PINET-LAPRADE, chef de bataillon du génie, officier de la Légion d'honneur, commandant particulier de Corée et dépendances, agissant en vertu des pouvoirs qui lui ont été délégués par M. le gouverneur du Sénégal et dépendances et sauf son approbation, et entre SAMBA-LAOBÉ, roi du Saloum,

Ont été arrêtées les conditions suivantes :
Article 1er — La traite sera ouverte immédiatement.

Art. 2. — Le roi Samba-Laobé s'engage à assurer l’ exécution rigoureuse du traité de 1859.
En outre, il cède en toute propriété à la France le terrain qui environne la tour de Kaolakh, dans un rayon de 600 mètres.

Art. 3. — Le roi du Saloum s'engage à livrer à Dakar 500 boeufs an gouvernement français, à titre de contribution de guerre.

Art. 4 — Le commandant de Gorée promet de rendre tous les prisonniers de guerre au roi du Saloum, dès que les conditions énoncées ci-dessus auront été exécutées.

Le présent traité, fait en triple expédition (français et arabe), a été conclu et signé à Kaolakh, le 8 mars 1861, par les parties contractantes.

Signature arabe du DJARAFF.
Idem de BITÉOU.
Idem de SAMBA-LAOBÉ.
Signé : PINET-LAPRADE.

Traités avec le Baol, le Sine et le Saloum

Traité de paix avec Samba-Laobé, roi du Saloum.

Les Français seuls pourront s'établir sur la rive droite de la rivière de Saloum.

Le gouvernement français choisira tel point qui lui conviendra pour bâtir un fort. (On a construit à Kaolakh)

Les commerçants français bâtiront des établissements en maçonnerie s'ils le jugent convenable et achèteront les terrains nécessaires aux particuliers qui en sont propriétaires ; ils ne seront justiciables que de l'autorité française.

Les produits sortant du Saloum payeront un droit de 3 p. 100 au profit du roi ; ce droit sera perçu par un agent du roi placé dans chaque comptoir et agréé par nous ; en dehors de ce droit, le roi ne percevra aucune coutume et il laissera passer librement sur son territoire les produits ou troupeaux se dirigeant vers nos comptoirs.

Le roi défendra aux princes, tiédo, etc., de s’ immiscer dans les affaires commerciales et de fréquenter les comptoirs.

Toutes les conventions antérieures à celle-ci sont annulées.

Des traités semblables ont été passés avec le roi de Sine (Boubakar-Kilas) et le roi de Baol (Tié-Yacine).

  • Expéditions de la Haute et Basse-Casamance 1860-1865

  • Expéditions du Cayor 1861-1883

  • Expéditions contre les Sérère 1862-1883

  • Expéditions contre le Fouta 1862-1881

  • Campagnes de pénétration vers le Niger 1880-1885