LES CAMPAGNES DE PÉNÉTRATION VERS LE NIGER.

Au point où nous en sommes arrivés dans ce récit chronologique, à une période de calme, presque d’atonie, va succéder une phase des plus actives, des plus importantes dans l’histoire de la colonie du Sénégal, des plus fécondes en résultats pour l'avenir de l’influence et du commerce de la France dans l'Afrique occidentale.

Le gouverneur Faidherbe, en créant le poste de Médine, en 1853, avait entendu poser an premier jalon sur la route de la partie navigable du Sénégal au Niger. Le voyage de Mage avait pour but d'étudier celle roule. Le gouverneur avait même indiqué à cet officier comme probablement à occuper les points de Bafoulabé, Kita, Bangassi et Bammakou.

Pendant les douze années qui suivirent le départ de ce gouverneur, ces projets restèrent dans l’oubli; ils ne furent repris qu'en 1877 par le gouverneur Briëre de l'Isle, avec l’assentiment du ministre de la marine, l'amiral Jauréguiberry.

Ce sont les campagnes qui amenèrent nos troupes jusque sur les bords du Niger que nous allons maintenant raconter.

Comme dans tout le cours de cet ouvrage nous laisserons de côté ce qui a trait à la politique, aux explorations géographiques, topographiques, etc., nous bornant exclusivement au récit des opérations militaires. Les faits du reste sont encore assez récents pour que les causes qui les ont amenés soient présentes à toutes les mémoires; et les discussions au Parlement, dans la presse, les ouvrages nombreux, qui ont été publiés sur le projet du chemin de fer du Sénégal au Niger et sur la politique à suivre dans le Soudan ont rendu la question familière à tous.

1. Voir entre autres :
Exploration du Haut-Niger, par le commandant Galliéni. Hachette, éditeur;
Le Soudan français, par le général Faidherbe. — Danel, édit.,à Lille;
La France dans l' Afrique occidentale, publication du Ministère de la marine. Challamel, éditeur;
Les Français au Niger, par le capitaine Piétri. Hachette 1885.

Avant d'aborder le récit des campagnes de pénétration, nous dirons quelques mots de la prise de Sabouciré,qui en forme en quelque sorte le prologue, et de la mission Galliéni.

Prise de Saboucïré.

Le village fortifié de Sabouciré, situé à 16 kilomètres en amont de Médine, avait, en 1878, une population de plusieurs milliers d'habitants, pour la plupart Khassonké et Toucouleurs. Ils étaient en hostilités ouvertes avec le roi du Khasso, notre vieil allié Sambala, un des défenseurs de Médine, et leur chef Niamody, réclamait l'appui du Sultan de Ségou, Ahmadou, avec lequel il entretenait des relations suivies.

Il eut été dangereux pour nos établissements du Haut-fleuve et contraire à nos projets de pénétration vers le Niger, de laisser les Toucouleurs s'installer en force dans cette localité.

Aussi le gouverneur Brière de l’Isle, après avoir épuisé auprès de Niamody tous les moyens de conciliation pour ramener à cesser ses hostilités contre notre allié Sambala, confia au lieutenant-colonel Reybaud, de l'infanterie de marine, la direction d'une expédition dont le but était de mettre fin à cet état de choses.

La colonne expéditionnaire; forte de 535 hommes, 80 chevaux, 4 pièces d'artillerie, s'embarqua à Saint-Louis ;le 10 septembre 1878; le 22 septembre elle était devant Sabouciré. Après que la brèche été ouverte à coups de canon dans le tata, les troupes se lancèrent à l'assaut et un combat corps à corps s'engagea avec les défenseurs, dont la résistance fut opiniâtre. Cinq heures durant les Toucouleurs luttèrent pied à pied avec nos soldats ; enfin ils durent céder.
Niamody avait été tué presque au début de l'action; 150 des siens furent trouvés morts dans le village ; un grand nombre d'autres périrent en voulant traverser le fleuve à la nage.
Nos pertes avaient été relativement considérables ; nous eûmes treize hommes tués, dont deux officiers; le capitaine Dubois et le lieutenant Béjoutet, et 51 blessés.

Les guerriers du Khasso qui, sous le commandement du fils de Sambala, Demba, ancien élève de l'École des otages, nous avaient prêté leur concours, occupèrent Sabouciré, après que nos troupes en eurent détruit le tata et les cases fortifiées.
Cette opération, habilement et vigoureusement conduite par le lieutenant-colonel Reybaud, nous ouvrait la route du Niger.

La mission Galliéni.

L'année suivante, en 1879, fut construit le poste de Bafoulabé, au confluent du Bafing et du Bakhoy.
Il était d'une bonne politique, avant d'aller plus loin dans la direction de l'est, de chercher à éviter toute cause de conflit avec le roi de Ségou, possesseur de droit, sinon de fait, des territoires que devait traverser notre ligne de postes.

Le gouverneur du Sénégal envoya à cet effet à Ségou, M. Galliéni, capitaine d'infanterie de marine; MM. les lieutenants Vallière et Piétri, les docteurs Tautain et Bayol, raccompagnaient. Vingt tirailleurs et dix spahis formaient l'escorte armée; une centaine d'âniers conduisaient les 250 ânes ou mulets qui, chargés de vivres et de cadeaux, constituaient le convoi.

La mission quitta Médine le 20 mars 1880. Elle traversa sans incidents Bafoulabé, Badoumbé, Kita. Pendant le court séjour qu'il fit dans cette dernière localité, le capitaine Galliéni signa avec les chefs indigènes un traité qui assurait le protectorat de la France sur la petite confédération de Kita et y réparait notre future installation.

Quelques marches après Kita, la mission pénétra dans le Bélédougou. Cette région était habitée par les Bambara dits Béléri, ennemis déclarés des musulmans en général et des Toucouleurs d'Almadou en particulier. Aussi le chef de la mission avait-il fait défense expresse à ses hommes de parler de Ségou et du but du voyage.
Dans les premiers villages la réception, sans être cordiale, avait été pacifique. Cependant au village d'Ouoloni, le docteur Tautain, laissé seul avec quelques hommes, pendant un certain temps, à la garde d'une partie des bagages, n'avait dû qu a sa contenance énergique d'avoir pu en éviter le pillage. On sentait que les convoitises s'allumaient autour de ces richesses dont les Bambara s'exagéraient l'importance.
A Guinina ce fut plus que de la froideur qu'on rencontra chez le chef du village. Ses brutales réponses, son air de défi, les bruits qu'on entendait derrière le tata du village, les mouvements des guerriers, tout semblait présager une attaque imminente. Elle n'eut pas lieu, peut-être par suite des dispositions défensives prises ostensiblement par le capitaine Galliéni.
Cependant la mission, conduite par des guides que le chef de Guinina avait fini par accorder, atteignit Dio et établit son camp à 600 mètres au delà. Le chef du village envoya ses frères saluer Galliéni mais refusa de le recevoir dans son tata qui de l'extérieur paraissait abandonné. Des espions que le capitaine envoya pendant la nuit rôder autour de Dio lui rapportèrent que, loin d'être abandonné, ce village était rempli de guerriers qui concertaient bruyamment leur plan d'attaque contre la mission.

Le lendemain, 11 mai 1880, à une heure de l’après-midi, après une reconnaissance préalable de la rouie à suivre, la mission se remit en route. Le capitaine Galliéni, le docteur Bayol, dix spahis et dix tirailleurs ouvraient la marche ; puis le convoi suivait, s'allongeant en une file indienne de plus de 500 mètres de longueur, formée d'animaux fatigués, blessés, et s'arrêtant à chaque pas ; le docteur Tautain, dix tirailleurs et quelques laptots armés de fusils, formaient l’arrière-garde.

On avait déjà parcouru près d'un kilomètre et les derniers hommes allaient franchir le ruisseau de Dio, lorsque tout à coup la fusillade éclate sur toute la longueur de la colonne. Les Bambara, au nombre de plus de deux mille, dissimulés derrière les arbres, derrière les moindres accidents de terrain, ou sortant en foule du village de Dio, exécutent contre nos hommes un feu nourri, puis se précipitent en avant ; les âniers non armés fuient, les animaux sont pris ou tués, en quelques minutes le convoi est détruit et la colonne coupée en deux tronçons trop éloignés pour se prêter un mutuel secours.

Le capitaine Galliéni et ses vingt braves soldats résistent, non sans pertes, au premier choc. Entourés d'ennemis de tous les côtés, ils ouvrent contre leurs assaillants un feu meurtrier qui élargit le cercle qui les enserre. Les spahis chargent les ennemis, et gagnent, avec les tirailleurs à leur suite, les ruines d'un tata qui se trouvaient à proximité du sentier. Derrière cet obstacle, leurs armes perfectionnées, leur discipline et leur courage leur permettent de lutter avec avantage contre un ennemi si supérieur en nombre. Après une demi-heure de combat, les abords des ruines sont assez déblayés pour que le capitaine Galliéni puisse tenter une sortie et chercher à rejoindre l’arrière-garde.
A ce moment le docteur Tautain, en croupe sur le cheval de l’interprète Alassane, débouchait en face des ruines du tata, suivi par quelques tirailleurs.
Attaqué de tous côtés, il avait réussi à se faire jour à travers les ennemis, mais presque tous ses hommes avaient été tués ou mis hors de combat.
Ayant rassemblé ses hommes et mis ses blessés sur les quelques mulets qu'on avait pu rattraper, le capitaine Galliéni fit reprendre la marche vers l’est.
Les Béleri n'abandonnèrent la poursuite qu'à la tombée de la nuit. Pendant cette terrible journée la mission avait eu 15 hommes tués, 16 blessés et 7 disparus. Le lendemain, après des alertes continuelles et un orage terrible, la petite troupe, harassée de fatigue, entrait dans la vallée du Niger et s'arrêtait devant Bammakou, où elle était reçue par les lieutenants Vallière et Piétri, qui, chargés de reconnaissances spéciales en avant de la colonne, étaient arrivés en cet endroit depuis plusieurs jours.
L'accueil des habitants de Bammakou, sans être ouvertement hostile, fut cependant assez malveillant pour que le capitaine Galliéni ne voulût pas prolonger son séjour près de ce village. Quoique dénué de ressources et ne possédant plus aucun des cadeaux qu'il devait offrir à Ahmadou, il résolut d'accomplir sa mission jusqu'au bout. Il remonta le cours du Niger et alla le traverser au gué de Nafadié, localité située à quelques lieues en amont de Bammakou.

Avant de franchir le fleuve, le capitaine Galliéni s'était débarrassé du personnel désormais inutile et qui ne pouvait plus qu'encombrer sa marche. Une soixantaine d'âniers, conduits par le docteur Bayol, reprirent à travers le Manding, la route tranquille et sûre de Kita et du Sénégal.
Rassuré ainsi sur le sort de ceux dont il se séparait, le capitaine Galliéni avec les lieutenants Piétri et Valliëre et le docteur Tautain, suivi des tirailleurs, des spahis, des laptots et de tous les blessés (une cinquantaine d'hommes environ) se dirigea, parla rive droite du Niger, vers Ségou.
Il ne put atteindre cette ville ; par ordre d'Ahmadou, il dut s'arrêter à Nango, à 40 kilomètres en deçà de Ségou.

Pendant dix mois la mission attendit dans ce village et la signature du traité et la permission de partir qu'Ahmadou remettait toujours au lendemain.
Enfin la nouvelle de la marche d'une colonne commandée par le colonel Borgnis-Desbordes qui venait de s'emparer de Goubanko, près de Kita, éveillant les craintes des Toucouleurs, Ahmadou fit hâter les préparatifs de départ delà mission.
Le 21 mars 1881, elle quittait Nango, remontait la vallée du Niger et regagnait Kita par Nafadié, Niagassola et Mourgoula.

Le texte arabe du traité que rapportait Galliéni, et qui fut traduit à Saint-Louis, était tout différent du texte français. Il ne fut pas accepté par le gouverneur Canard qui remit à un envoyé de Ségou, venu ultérieurement à Saint-Louis, une nouvelle rédaction au sujet de laquelle Ahmadou ne répondit pas.

Première campagne (1880-1881).

Au mois d'octobre 1880, le lieutenant-colonel Borgnis-Desbordes, de l’artillerie de marine, était nommé commandant supérieur du Haut-Sénégal.
Il avait pour mission, dans la campagne qui allait s'ouvrir, d'assurer l'occupation du pays entre Médine et Kita en y créant des postes fortifiés dont il était libre de choisir les emplacements, de faire procéder aux études en vue de l'établissement d'un chemin de fer de Médine au Niger. Cette deuxième partie du programme ministériel était spécialement réservée à la mission topographique, placée sous la direction du commandant Derrien.

Par suite du vote tardif des crédits nécessaires à l'expédition et d'une baisse rapide des eaux du Sénégal, et malgré la vigoureuse impulsion donnée à tous les services de la colonie par le gouverneur, colonel Brière de l'Isle, les troupes et le matériel ne furent complètement rendus à Médine que le 2 janvier 1881.

Le 9 janvier la colonne expéditionnaire se mettait en route ; elle comptait 424 combattants dont 156 Européens, commandés par 18 officiers, 4 canons, 355 non combattants, ouvriers indigènes, muletiers et âniers. Le convoi en chevaux, ânes et mulets comprenait 452 animaux.
Après avoir, en passant, brûlé le village de Foukhara dont les habitants avaient fait preuve d'hostilité envers le personnel de la mission topographique, la colonne atteignit Bafoulabé le 17 janvier 1881. Elle y laissa ses malades, continua sa route et arriva à Kita le 7 février 1881, ayant parcouru depuis Médine 340 kilomètres.

Le village de Goubanko, situé à 17 kilomètres au sud-est de Kita, était habité par un ramassis de brigands dont l’unique moyen d'existence était le pillage des villages voisins et des caravanes. De plus ils étaient soupçonnés, et à juste titre, d'avoir pris part à l’attaque de la mission Galliéni, à Dio. Il n'était pas possible de laisser subsister cette menaçante agglomération à proximité de notre nouvel établissement de Kita. Les tentatives de pourparlers avec le chef de Goubanko ayant été dédaigneusement repoussées, le lieutenant-colonl Borgnis-Desbordes se décida à employer la force.

Attaque et prise de Goubanko,

Le 12 février, avec 300 hommes et 4 canons, il arrivait devant le village et commençait immédiatement l'attaque.
L'enceinte de Goubanko était constituée par une muraille en argile ferrugineuse ayant la forme générale d'un vaste rectangle avec des retours formant flanquement, des portes fortifiées avec corridors à retour, des créneaux et plateformes pour le tir. Deux portes traverses, également en argile, partageaient le village en trois parties inégales dont chacune formait à vrai dire, une véritable forteresse, la prise de l'une d'elles n'entraînant pas la prise des deux autres. Enfin un fossé extérieur, dont les bords étaient presque partout à pic, entourait toute l'enceinte extérieure.
Le village fut attaqué à l’ angle nord-est, à 7 heures du matin. A 10 heures les obus mettaient le feu à une partie du village, mais le mur, dentelé par les trous d'obus, restait debout. Les projectiles allaient manquer : il ne restait plus que onze obus.
Le capitaine Du Demaine, qui dirigeait le feu delà batterie avec autant de sang-froid que de précision, informait le colonel de cette situation et lui offrait de tenter de faire brèche à la pioche. Le colonel refusa d'employer ce moyen héroïque auquel il aurait été toujours temps de recourir lorsqu'il n'y en aurait plus eu d'autres, et ordonna de continuer le tir. La muraille tomba enfin en comblant à peu près le fossé, et une brèche praticable de il mètres de largeur était ouverte. Les tirailleurs commandés par M. le chef de bataillon Voyron, donnèrent l'assaut; la compagnie d'ouvriers d'artillerie, sous les ordres du capitaine Archinard, était en réserve et entra bientôt elle-même en action.
Après une lutte pied-à-pied qui ne dura pas moins de trois quarts d'heure, et dans laquelle M. le commandant Voyron, MM. les capitaines Monségur, Sujol et Archinard firent des prodiges de courage , deux des tata tombèrent en notre pouvoir. Une partie des défenseurs prirent la fuite et furent chargés par les spahis ; les autres , retirés dans le troisième tata, vendirent chèrement leur vie en combattant avec une bravoure remaquable.
C'est à cette dernière attaque que fut blessé mortellement M. Pol, capitaine d'artillerie de marine, tout jeune officier auquel des qualités éminentes réservaient un brillant avenir. En passant près du commandant supérieur, M. Pol, porté par des tirailleurs, retrouva assez de force pour lui dire : « Mon colonel, je meurs en soldat. Je n'ai qu'un regret: ce n'est pas ici, sous les coups des noirs, que j'aurais voulu tomber. »
La ville était enfin à nous, il y régna bientôt une confusion indescriptible. Les Malinké de Kita, qui nous avaient suivis, et que le capitaine Marchi n'avait pu, par son audacieux exemple, entraîner à l'attaque de la ville, s'y étaient précipités dès qu'ils avaient vu tout danger disparu.
Les troupes furent ralliées en dehors du village. Il était midi et demi. La colonne avait : 1 officier tué, 8 hommes tués et 24 blessés.
Un dixième de son effectif était donc tué ou hors de combat. L'ennemi avait perdu plus de 300 hommes. Le dernier coup de canon tiré sur Goubanko avait tué le chef même du village.
La colonne se reposa jusqu'à 4 heures et reprit ensuite la route de Kita où elle arriva 8 heures du soir.

l. La France dans l'Afrique occidentale publication du Ministère de la marine. Pages 144 et suivantes.

Après cette exécution nécessaire, les travaux du fort de Kita furent repris avec la plus grande activité.
Pendant qu'ils avaient lieu, le lieutenant colonel Borgnis-Desbordes envoya le capitaine Du Demaine en mission à Mourgoula. Cette place, élevée par les ordres d'El-Hadj-Oumar pour assurer le maintien de la puissance des Toucouleurs dans la vallée du Bakhoy, était commandée par l’almamy Abdallah et son ministre Suleyman. Ceux-ci, à la suite de la prise et de la destruction de Goubanko dont ils considéraient les habitants comme leurs sujets, pouvaient nous susciter des difficultés. Le moment n'était pas venu de rompre ouvertement en visière avec les Toucouleurs ; il était donc politique de chercher à les rassurer sur nos intentions; c'est ce dont fut chargé le capitaine Du Demaine qui reçut des Toucouleurs les meilleures assurances d'amitié. Cependant Abdallah et surtout Suleyman commencèrent dès ce moment une lutte sourde et déloyale contre nous, mais heureusement sans succès.

Le 7 mai la colonne repartit pour Médine, laissant le fort de Kita inachevé, mais néanmoins en état de résister à une attaque de la part des noirs ; 135 hommes y étaient laissés comme garnison avec 4 canons largement approvisionnés.

La prise de possession de Kita, c'est-à-dire d'un point situé à mi-distance entre Médine et le Niger, notre protectorat reconnu par toutes les peuplades entre Bafoulabé et Kita, la destruction de Goubanko, tels étaient les résultats très considérables de cette première campagne.

Deuxième campagne (1881-1882).

D'après les instructions que le ministre de la marine adressa à M. le colonel Borgnis-Desbordes, maintenu comme commandant supérieur du Haut-Sénégal, la deuxième campagne devait avoir pour objet d'aller jusqu'au Niger et de s'y établir.
Malheureusement une épidémie de fièvre jaune qui de Saint-Louis avait bientôt gagné Gorée et Dakar, obligea à restreindre le programme ministériel. Il fut décidé qu'on se bornerait à ravitailler les postes de Bafoulabé et de Kita, à terminer ce dernier et à en construire un ou deux intermédiaires sur la route qui les joignait.

La colonne expéditionnaire, un peu moins forte que celle de l'année précédente (349 combattants, 636 non combattants, 555 animaux de convoi) arriva à Kita le 9 janvier 1882. En route le colonel Borgnis-Desbordes punit, soit en leur infligeant des amendes, soit en les brûlant, les villages de Mahïna et de Kalé, dont les habitants s'étaient livrés au pillage des caravanes.
En quittant Badoumbé,au lieu de suivre pour se rendre à Kita la même roule que l'année précédente, il s'y était dirigé par le Gangaran. Il voulait, par cette marche, effrayer les Malinké de cet État qui se montraient hostiles envers un prince Bambara, Mary-Ciré, notre ami, réfugié chez eux; ouvrir une deuxième voie de communication entre Bafoulabé et Kita; enfin montrer aux populations hésitantes que, malgré les bruits qu'on faisait courir, tous les Français n'étaient pas morts de la fièvre jaune.
A Kita, les travaux du fort venaient à peine de commencer, lorsque des événements imprévus amenèrent le colonel Borgnis-Desbordes à pousser une pointe audacieuse bien au delà des limites qu'il s'était fixées au début de la campagne.

Un chef puissant, de race soninké, Samory, qui jusqu'alors était resté sur la rive droite du Niger, cherchait à étendre sa domination sur la rive gauche. Le Manding oriental de Kangaba venait de reconnaître son autorité ; Samory pesait en ce moment sur le Bouré pour le décider à se joindre à lui ; les habitants de Niagassola restaient fidèles à l'alliance qu'ils avaient conclue avec nous l'année précédente, mais effrayés par l'annonce de l'approche de Samory, ils avaient précipitamment quitté leurs villages et s'étaient réfugiés dans les montagnes. En somme, les peuplades voisines de notre poste avancé de Kita étaient en ce moment agitées , inquiètes et semblaient attendre avec impatience que nous les délivrions du danger qui semblait les menacer. Le colonel jugea qu'il était indispensable, pour maintenir ces populations dans notre alliance, de leur rendre la confiance en notre force ; pour cela il fallait agir rapidement et énergiquement.

Le commandant de Kita avait, pendant l'hivernage, envoyé à Samory le sous-lieutenant Alakamessa pour lui demander d'épargner aux habitants du grand marché du Ouassoulou, Keniéra, qu'il assiégeait alors, les horreurs de la famine. Samory avait maltraité, menacé de mort et finalement fait jeter en prison notre envoyé. Bien que celui-ci se fût heureusement échappé, c'était là, une injure qu'on ne pouvait laisser impunie. Enfin Kéniéra résistait toujours ; peut-être pourrait-on arriver à temps pour sauver cette ville et épargner à ses courageux défenseurs les tortures, la mort ou l'esclavage qui les attendaient.

Pour tous ces motifs le colonel se résolut à aller attaquer Samory sur la rive droite du Niger, dans ses camps d'investissement autour de Kéniéra.
Le 16 février 1882, il sortit de Kita à la tête d'une petite colonne très mobile comptant 220 combattants, et prit la route de Mourgoula.
L'almamy Abdallah et son ministre Suleyman essayèrent vainement de s'opposer à la marche de la colonne. Le colonel, par son habileté, sut éviter un conflit et continua sa route.
A Niagassola, l'accueil fait à la colonne et à son chef fut très sympathique ; à Nafadié, la réserve fut plus grande : l'influence de Samory s'y était déjà fait sentir.
La colonne passa le Niger dès son arrivée, le 25 février 1882; les hommes à pied traversèrent dans des pirogues préparées à l'avance; l’artillerie et la cavalerie passèrent par un gué excellent à fond de sable sur lequel il n'y avait pas plus d'un mètre d'eau.
Le colonel entra immédiatement en relation avec le roi du Kourbaridougou, Bala. La frayeur avait paralysé tous les habitants, et lorsqu'on n'a pas assisté soi-même à ces paniques, qui sont de tous les pays et de tous les temps, on ne peut s'en faire une idée. Le colonel décida cependant quatre à cinq cents guerriers du pays à partir avec lui. Vigoureux, grands, bien faits, tous armés de fusils, couverts de gris-gris, il semblait que la colonne dût trouver en eux des auxiliaires utiles.
Nous étions à quarante-six kilomètres de Kéniera et il fut impossible d'avoir le moindre renseignement sur la position de l'armée de Samory, sur la nature de ses retranchements, sur la résistance de Kéniéra. Un homme, cependant, annonçait que la ville, réduite par la famine, était au pouvoir de l'ennemi.

Le 26, la colonne arrive, à huit heures du matin, au marigot de Kadiala et fait halte.
Notre approche n'est annoncée par aucun indice et c'est par hasard que des cavaliers de Samory, en poursuivant des captifs qui fuyaient, tombent sur les grand'gardes. Le colonel fait alors commencer l'attaque sans perdre un instant, car l'ennemi était trop nombreux pour qu'il fût prudent de lui donner le temps de se reconnaître. Les cavaliers se retirent devant des feux de salve et la colonne marche en avant. Elle aperçoit bientôt les camps retranchés de Samory.

Ces camps retranchés, appelés « sagnés » dans le pays, sont formés par des palissades très bien faites. Dans l'intérieur se trouvent les cases des guerriers, les chevaux, les troupeaux, les provisions. Il y avait quatre camps retranchés semblables aux quatre sommets d'un vaste rectangle dont Kéniéra occupait le centre. Des postes intermédiaires complétaient le blocus, et Samory avait attendu tranquillement que la famine lui eût livré la ville.

Le sagné nord est incendié, et la colonne marche sur le sagné sud occupé par Samory lui-même. Ce chef, qui a annoncé à grand fracas qu'il ne reculerait pas devant les Français, de la largeur de son pied, et qui avait promis à ses femmes des blancs pour les distraire, fuit honteusement, et on voit bientôt une fourmilière d'hommes et de femmes, de fantassins et de cavaliers qui gravissent une colline voisine pour s'enfoncer dans les terres. Quelques obus hâtent leur fuite. A midi, la colonne occupe le sagné de Samory, s'y retranche et y prend un peu de repos dont elle a bien besoin, car elle marche et se bat depuis quatre heures du matin, et il fait une chaleur accablante.

En allant du sagné nord au sagné sud, on avait passé près de Kéniéra. La ville était déserte ; il y avait cinq jours qu'elle s'était rendue.
A une heure, le sagné Est est bombardé et brûlé. A trois heures et demie, la ville de Kéniéra est fouillée pour bien constater que les gens de Samory ne s'y sont pas cachés et le sagné ouest est occupé.
Des cadavres enchaînés, au nombre de plus de 200, y sont trouvés ; tous sont des hommes de Kéniéra qui ont été brûlés par leurs vainqueurs.

Ce sont ces exécutions barbares qui donnent à Samory cette puissance extraordinaire, résultant de la terreur folle qu'il inspire.

Le colonel avait pu constater qu'il se trouvait avec ses 200 combattants en face de plus de 4000 ennemis. Surpris, décontenancés par des feux à longue distance et quelques obus, ces derniers avaient fui, mais il ne fallait pas leur donner le temps de se reconnaître. Il fallait ou les poursuivre ou se retirer rapidement. Les poursuivre était impossible pour la petite troupe exténuée de fatigue, dont les approvisionnements en vivres et en munitions étaient bien minimes, et dont les chevaux, ayant les pieds usés par les terrains ferrugineux qu'on avait traversés, ne pouvaient plus marcher. Le colonel se décida alors à revenir sur le Niger.
A quatre heures du soir, le même jour, la colonne se mettait en marche ; elle arrive au marigot de Kadiala à six heures quarante, à la nuit tombante, et là elle est reçue par une vive fusillade. Au bout de quelques minutes, les gens de Samory sont en fuite, le marigot est passé et la colonne campe. Nos auxiliaires, les Malinké de Faraba et de Falama, qui ont fui au premier coup de feu tiré à l’attaque des sagnés, reparaissent pour se mettre à l’abri de la colonne.

Le 27 février 1882, à onze heures du soir, la colonne arrive au Niger et commence immédiatement à passer sur la rive gauche, sans autre incident que quelques coups de fusil tirés par des cavaliers de Samory, qui, conduits par son frère Fabou, voltigent aux alentours.

Du 25 février à quatre heures trente du soir, au 27 février, à onze heures du soir, la colonne avait parcouru 97 kilomètres et combattu une partie de la journée du 26. Un vent d'est brûlant soufflait depuis quelques jours et la chaleur était très pénible.
Personne cependant ne resta en arrière. L'état sanitaire était très satisfaisant. Il n'y avait que les chevaux qui ne pouvaient plus marcher ; ils étaient tous fourbus.

Le 1er mars 1882, la colonne quitte les bords du Niger pour rentrer à Kita par le chemin qu'elle avait déjà suivi en venant. A quelques kilomètres du marigot de Koba, le 2 mars, les 5 spahis dont les chevaux peuvent encore porter leurs cavaliers et qui couvrent les derrières de la colonne, sont attaqués subitement par une soixantaine de cavaliers commandés par Fabou.
La situation était critique. L'officier de spahis, M. de Melville, manœuvre avec audace et sang-froid. Il bat en retraite lentement, s'arrêtant toutes les fois qu'il peut pour faire feu. Mais il était bientôt grièvement blessé et allait être cerné avec ses hommes lorsque les tirailleurs d'arrière-garde, sous la conduite de M. Âlakamessa lieutenant indigène, arrivèrent au pas de course. Les cavaliers ennemis disparurent alors pour ne plus revenir.

La colonne rentrait le 11 mars à Kita, après avoir parcouru 544 kilomètres depuis le 16 février.

Le 14 juin 1882, toute la colonne, sauf les garnisons laissées dans le fort de Kita achevé et dans le poste de Badoumbé, créé pendant cette campagne, était de retour à Kayes.

Troisième campagne (1882-1883).

Devancer Samory à Bammakou qu'il disait vouloir attaquer, nous y installer solidement et, par une marche en avant, faire tomber les résistances qu'une plus longue immobilité de notre part aurait pu provoquer parmi les populations hésitantes du Haut-Sénégal, tel fut le but poursuivi et atteint dans la troisième campagne de pénétration. 542 combattants dont 29 officiers, 4 canons, 738 non combattants, 677 animaux de convoi, composèrent la colonne placée sous les ordres du colonel Borgnis-Desbordes.

Partie le 22 novembre 1882 de Sabouciré où elle s'était concentrée, cette colonne arriva à Kita le 16 décembre, après un arrêt de quelques jours à Bafoulabé et à Badoumbé.
L'état sanitaire général et la mise en train des travaux de réparation du poste de Kita obligèrent le colonel à accorder à ses troupes un repos bien nécessaire avant d'entreprendre une nouvelle marche en pays inconnu.

1. La France dans i* Afrique occidentale page 180 et suivantes.

Destruction de Mourgoula.

Il résolut de mettre à profit ce temps d'inaction forcée pour chasser les Toucouleurs de Mourgoula et raser les murailles derrières lesquelles ils abritaient leurs intrigues et cachaient le fruit de leurs exactions.

L'almamy Abdallah et son ministre Suleyman s'étaient, pendant tout l'hivernage, opposés au ravitaillement du poste en arrêtant les troupeaux que nous envoyaient le Manding, le Baleya et d'autres États riverains du Niger; ils encourageaient les désertions parmi nos troupes indigènes ; enfin ils avaient noué d'étroites relations avec Samory et le poussaient à attaquer Kita.

Laisser impunis de pareils agissements, c’eùt été compromettre notre établissement dans le Soudan. L'acte de vigueur auquel s'était résolu le colonel était donc nécessaire pour notre sécurité : de plus, il délivrerait les Malinké d'un joug détesté et les mettrait dans notre alliance .

Le 22 décembre 1882, le colonel disposait ses troupes (376 combattants) pour l'attaque, à 400 mètres des murailles de Mourgoula, et sommait l'almamy et Suleyman de se rendre à son camp. Ceux-ci, effrayés par cet appareil militaire, obéirent. Le colonel leur reprocha leur duplicité, leurs relations avec Samory, leur mauvais vouloir envers les Français. Il termina son discours en leur disant qu'il ne voulait plus d'eux à Mourgoula; mais que cependant, s'ils voulaient se défendre, ils étaient libres de retourner derrière leur tata, mais « vous le voyez, ajouta le colonel, mes dispositions sont prises et dans quelques instants Mourgoula n'existera plus. »
L'almamy et Suleyman se résignèrent. Emmenant leurs serviteurs, leurs femmes et leurs enfants ils suivirent la colonne à Kita d'où le colonel les dirigea sur Nioro.

Quelques jours après les Toucouleurs qui étaient restés à Mourgoula, quittèrent à leur tour cette ville dans laquelle ils ne se sentaient pas en sûreté. Il se retirèrent, avec l’assentiment du colonel, dans le Diombokho, dans le Dialafara ou dans le Kaarta.

Le 26 et le 27 janvier 1883, M. Borgnis-Desbordes faisait procéder à la destruction des tata de Mourgoula par les habitants du Birgo sous la direction d'un officier de la colonne.

Rassuré de ce côté, le commandant de la colonne se prépara à marcher sur Bammakou, point choisi pour rétablissement d'un poste sur les bords du Niger.
De Kita deux routes s'offraient à lui pour l'atteindre : celle par la vallée du Bakhoy, passant par Mourgoula, Niagassola, Sibi, Nafadié et celle par Kondou et le Bélédougou. La première, un peu plus longue que la seconde, mais d'un parcours plus facile, était à ce moment menacée par les bandes de Samory qui, sous le commandement de son frère Fabou, s'étaient portées sur la rive gauche du Niger. Il eut fallu probablement livrer des combats pour s'ouvrir celte route, certainement s'affaiblir pour la protéger.

Le colonel Borgnis-Desbordes se décida à prendre la seconde , espérant que les Bambara du Bélédougou, dont quelques chefs étaient venus le visiter à Kita, lui feraient bon accueil, qu'il pourrait même contracter d'utiles alliances avec les petites confédérations de ce pays et qu'enfin, de ce côté, il gagnerait Bammakou sans tirer un coup de fusil. Son espoir fut déçu. Au passage du Baoulé, le capitaine Piétri, qui commandait l'avant-garde, apprit que les gens du village de Daba s'apprêtaient à nous disputer le passage. Les tentatives de conciliation ayant échoué, le colonel se décida à attaquer ce village fortifié, dont le chef Naba avait été le principal instigateur de l'attaque de la mission Galliéni à Dio, en mai 1880.

Attaque et prise de Daba,

Le 13 janvier 1883 la colonne forte de 520 combattants, passait le Baoulé: Le 19 au matin le capitaine Piétri débouchait devant Daba. Un indigène, envoyé la veille au soir en parlementaire pour essayer une fois encore d'éviter une collision, ne revînt pas. On apprit plus tard qu'il avait été tué.
Le capitaine Piétri veut encore entrer en pourparlers, mais la fusillade répond à ses paroles de paix, et son interprète, un brave caporal de tirailleurs, tombe à côté de lui mortellement frappé.
Le village de Daba était placé dans une plaine. Un très fort tata, dont l'épaisseur atteignait et dépassait souvent 1m20 faisait le tour de la ville ; ce tata avait la forme d'un grand quadrilatère. Toutes les maisons étaient de vraies casemates défensives, entourées de petits tata qui se reliaient les uns aux autres avec des flanquements, et qui ne laissaient pour la circulation dans le village que des rues tortueuses et étroites ayant quelquefois 60 centimètres seulement de largeur, et enfilées par des créneaux découpés dans des redans nombreux. Deux espingoles et deux perriers pris à la mission Gailliéni étaient placés sur les murs du tata, et augmentaient encore le courage des défenseurs par la confiance que leur inspiraient ces canons pris aux blancs.
Une heure après l'arrivée du capitaine Piétrî, la colonne débouchait à son tour devant le front est de Daba, qu'on avait choisi pour l'attaque.
L'artillerie était très habilement dirigée par le capitaine de Gasquet qui faisait sa troisième campagne dans le Soudan ; cet officier commençait le feu immédiatement, désorganisait la défense en envoyant des projectiles dans tout le village, puis tirait en brèche jusqu'à ce que la chute d'un pan de muraille de 10 à 11 mètres de large permit de donner l’assaut.
A dix heures un quart, la colonne d'assaut, formée d'une compagnie de tirailleurs et d'une compagnie d'infanterie de marine, s'ébranlait sous les ordres du capitaine Combes, qui pénétrait le premier par la brèche. Les défenseurs, que les feux de l'artillerie avaient un moment écartés, se reportaient en avant et ouvraient sur les assaillants un feu meurtrier qui ralentissait leur marche sans l'arrêter. Après une lutte qui dura jusqu'à midi, Daba était pris.

La compagnie de tirailleurs, forte de 80 hommes, avait ses quatre officiers blessés (l'un deux, M. Picquart, lieutenant aux tirailleurs, mourait le soir même), 2 hommes tués, 24 blessés. La compagnie d'infanterie, qui ne comptait que 64 hommes, avait un sous-officier tué et 13 hommes blessés.
L'attaque du village avait été dirigée avec une intrépidité et un sang-froid remarquables par le capitaine Combes.
Le vieux chef, Naba, avait été tué, ainsi que 23 membres de sa famille.
On reprit les deux espingoles et les deux perriers , deux mulets , des instruments de chirurgie , un revolver modèle 1858 , un fusil modèle 1866 et beaucoup d'autres objets sans valeur, le tout provenant du pillage de la mission Galliéni.

Le capitaine Piétri fut reçu par des coups de fusil, à Segnerabougou, où il avait reçu l'ordre de transporter les blessés ; le surlendemain, la colonne, dans les mêmes parages, eut encore un petit engagement avec les fuyards de Daba. Pendant les jours qui suivirent jusqu'au 25 janvier, de petites colonnes mobiles parcoururent les environs de Kondou et de Daba; elle ne rencontrèrent aucune résistance.

La colonne put donc reprendre sa marche vers l’Est. A Ouoloni, Guinina, Dio, tous villages compromis dans l'attaque de la mission Galliéni, le colonel exigea, en réparation de cette insulte, des amendes, des excuses et la remise des objets volés à la mission. Partout il obtint satisfaction; il put même se convaincre qu'avec le temps il serait possible de nouer des relations avec les Bambara. Cette espérance s'est réalisée ; aujourd'hui les gens du Bélédougou sont pour nous des alliés fidèles, sûrs et utiles.

Le 1" février 1883, à 10 heures du matin, la colonne arrivait à Bammakou. Les habitants de ce village et du petit État du même nom étaient divisés en deux camps, d'un côté les Bambara fétichistes, ennemis des Toucouleurs et de Samory, et dont le chef Titi nous accueillit comme des libérateurs; de l'autre côté, les Maures, marchands d'esclaves qui avaient fait alliance avec le grand pourvoyeur de ce genre de marchandise, Samory, et qui entretenaient des relations suivies avec lui.

L'arrivée de nos troupes à Bammakou dérangeait leur projet de s'emparer, avec l'aide de Samory, du pouvoir que leur disputaient les Bambara.Ils dissimulèrent cependant leur irritation sous des protestations d'amitié, mais, en dessous, cherchèrent à nous créer des embarras de tous genres , en mettant des entraves à notre approvisionnement et au recrutement des ouvriers indigènes pour la construction du fort; enfin ils continuèrent leurs intrigues pour amener Samory à Bammakou.

Malgré ces préoccupations politiques, le colonel Borgnis-Desbordes fit, dès le 7 février 1883 commencer les travaux du poste. Ils étaient en pleine activité lorsqu'au commencement d'avril de graves événements se produisirent. Les troupes de Samory, conduites par son frère Fabou, venaient de se mettre en mouvement.

Une petite colonne de ces troupes passait le 29 mars 1883 dans le petit Bélédougou par la route de Sibi à Domila. La ligne de ravitaillement était coupée, la ligne télégraphique détruite, la brigade de construction était attaquée le 3 avril, et l'ennemi nous enlevait un troupeau de bœufs. Tout le ravitaillement était arrêté.

En même temps, l’armée principale, guidée par le fils de Tiécoro, un des chefs maures de Bammakou, continuait sa marche le long du Niger et des cavaliers débouchaient dans la plaine de Bammakou, le 1er avril 1883.

La colonne était dans une situation des plus critiques. La maladie et la mort avaient singulièrement réduit son effectif déjà si faible; la chaleur était devenue accablante, les travaux du fort étaient loin d'être achevés et demandaient, pour l'être en temps utile, un travail sans relâche.
On était donc dans les conditions les plus défavorables pour résister à un ennemi audacieux et fanatisé. Cependant le courage, l’entrain des troupes, les mesures énergiques prises par le colonel Borgnis-Desbordes, permirent de triompher de ces nouvelles difficultés.

Le 31 mars 1883, le capitaine Piétri prenait le commandement d'une petite colonne composée de 13 hommes d'infanterie, montés sur des mulets, d'un peloton de tirailleurs, de 12 spahis, d'un canon de 4 rayé de montagne. Il avait pour mission de rétablir, coûte que coûte, nos communications et d'arrêter dans le Bélédougou toute velléité de révolte.

Le 2 avril, les quelques spahis qui restaient à Bammakou (14 cavaliers) étaient envoyés en reconnaissance du côté de l'armée de Fabou, Ils bousculèrent les avant-postes et arrivèrent au marigot de Oueyako ; là ils se trouvèrent en présence d'un grand nombre de fantassins et de cavaliers. Ils furent ramenés jusqu'à Bammakou où ils arrivèrent en bon ordre.
La colonne, qui avait entendu la fusillade, avait pris les armes, et le colonel jugea utile de faire immédiatement acte de vigueur, malgré le petit nombre d'hommes dont il disposait : 240 com- battants au plus.
Le seul médecin de la colonne, présent à Bammakou, était malade ; il fut remplacé par le vétérinaire.

L'ennemi recula devant la colonne et l'attendit, au nombre de plus de 3000 hommes, sur le marigot de Oueyako, qui était pour lui une excellente ligne de défense.
Déjà les tirailleurs, conduits par le capitaine Fournîer, avaient traversé le marigot avec un élan admirable, et avaient été suivis par les canonniers ouvriers, lorsque l’ennemi déborda notre gauche et bientôt après notre droite, Le feu avait une intensité qui témoignait de l’énergie de la lutte et il devint nécessaire de faire repasser le marigot aux tirailleurs et aux canonniers ouvriers et de prendre une attitude défensive. Après diverses péripéties dans le détail desquelles il est inutile d'entrer, les cartouches commencèrent à manquer. Il était midi; la chaleur était accablante, et les soldats européens étaient tellement épuisés que plusieurs d'entre eux n'avaient plus la force de mettre leur fusil en joue. Les chevaux des spahis ne tenaient plus debout.
L'ennemi avait fait des pertes considérables; son feu s'était ralenti, une dernière charge des spahis avait dégagé notre droite. Le carré fut alors formé. Les cartouches restantes furent partagées. Quelques-uns des blessés, montés sur des cacolets, furent mis au centre du carré et confiés au vétérinaire; les autres, ceux qui pouvaient encore marcher, saisirent la queue d'un mulet d'une main et se traînèrent ainsi péniblement. La colonne opéra sa retraite en bon ordre sur Bammakou.

L'ennemi se montra bientôt sur nos derrières, et devint assez pressant pour qu'il fût nécessaire de faire halte et de le tenir en respect par quelques feux bien dirigés.
Les Européens étaient littéralement à bout de forces et plusieurs s'arrêtaient en route. On avait beau leur répéter qu'en restant eu arrière, ils seraient mutilés .et tués, ils répondaient qu'ils ne pouvaient plus marcher. Us furent sauvés d'une mort certaine, grâce au dévouement de M. de Poly, lieutenant de spahis, et de M. Bonnier, lieutenant d'artillerie.
A heure et demie la colonne rentrait à Bammakou.
Nous avions : deux tirailleurs disparus, 1 homme tué et 20 blessés, c'est-à-dire, plus du dixième de notre effectif hors de combat. Il avait été tiré 8368 coups de fusil et 23 coups de canon.
Les résultats de cette lutte qui d'abord put paraître indécise, se révélèrent plus tard.

Pendant ce temps, le capitaine Piétri était arrivé à Guinina le 1" avril 1883, à Domila le 2 , à Guénigué le 3. Ces deux derniers villages étaient abandonnés. Le 4, il arrivait à Sibi, brûlait Kalassa et apprenait que l'ennemi se rendait à Douabougou. Le 5, il marchait à sa rencontre et campait au marigot de Boudanko.
 3 h. 1/2, les grand'gardes signalèrent la présence de l'ennemi. Sans lui donner le temps de se reconnaître, le capitaine Piétri tombait dessus, et, au bout d'une heure de combat, l'ennemi était en déroute, après avoir eu 25 hommes tués. Il laissait entre nos mains 13 prisonniers, 14 chevaux et l'étendard du chef.

Le 6 avril 1883, le capitaine Piétri reprenait le troupeau de bœufs qui nous avait été enlevé; le 7, il entrait dans Douabougou, village qui nous avait trahis. Un grand nombre d'habitants furent tués, et le feu fut mis au village le 8.
Le 9 il rentrait à Bammakou, ayant conduit avec beaucoup d'intelligence, d'entrain et de vigueur cette campagne de dix jours.

Pendant que ces événements se passaient sur notre ligne de ravitaillement, Fabou envoyait au colonel l'ordre de quitter immédiatement l'Afrique, et il mutilait et tuait devant nos grand'gardes quelques indigènes de nos partisans, qui étaient tombés entre ses mains au combat de Boudanko.

Dès que le capitaine Piétri fut rentré, le colonel prit avec lui tous les hommes capables de marcher, y compris ceux légèrement blessés, forma une colonne de 371 combattants et d'une section d'artillerie, auxquels il adjoignit 200 fantassins bambara et 20 cavaliers indigènes ayant Mary Ciré à leur tête. Le 12 avril, cette colonne se mit en marche contre l’armé de Fabou, et se dirigea sur le marigot de Oueyako en tournant l'ennemi par sa gauche.
Fabou ne réussît pas à mettre ses troupes en ligne contre nous : le combat du 2 avril les avait démoralisées, et l'ennemi, après une résistance très molle pendant laquelle nous tirons 3273 cartouches, s'enfuit avec précipitation. Les prisonniers s'accordaient tous à dire que l'armée de Fabou ne voulait plus se battre contre les Français, et, sans reprendre haleine, elle se retira jusqu'à Bankhoumana. Malheureusement l'état sanitaire de la colonne ne permît pas de poursuivre immédiatement l'ennemi.

Le camp de Fabou fut incendié. La colonne revint k Bammakou, et les travaux, qui d'ailleurs n'avaient jamais été interrompus, reprirent avec une nouvelle activité. Le ravitaillement, qui avait cessé depuis le 30 mars, recommença avec toutes les ressources dont on disposait.

Apprenant que Fabou cherchait à reconstituer ses forces à Bankfaoumana, à 65 kilomètres en amont de Bammakou, le colonel Borgnis-Desbordes réunit le peu de troupes dont il pouvait encore disposer après cette rude campagne et marcha contre lui. Il ne voulait pas, au moment de reprendre la route de Saint-Louis avec la colonne , laisser la petite garnison du poste exposée à de nouvelles attaques. Fabou ne l'attendit pas et s'enfuit sur la rive droite du Niger où il rejoignit son chef Samory.

Les combats qu'ils venaient de livrer contre nous les avalent édifiés sur notre puissance ; depuis ils n'osèrent plus nous attaquer et allèrent exercer leur humeur belliqueuse, sans plus de succès du reste, contre les Toucouleurs de l'état de Ségou,

Quatrième (1883-1884) et cinquième (1884-1885) campagnes.

Ces deux dernières campagnes furent toutes pacifiques. Elles eurent pour but principal le ravitaillement des postes du Haut-Sénégal et du Niger.

Pendant la quatrième (1883-1884), la canonnière le Niger fut montée et lancée à Bammakou ; elle commença à naviguer ; mais, par suite d'installations incomplètes, elle ne put dépasser Koulikoro. M. le commandant Archinard, de l’artillerie de marine, qui avait fait les trois campagnes précédentes, construisit le poste de Kondou, entre Kita et Bammakou.

Dans la cinquième campagne (1884-1885), M. le commandant Combes, qui commandait la colonne de ravitaillement, fit construire le poste de Niagassola qui ouvre, à partir de Kita, une deuxième route vers le Niger amont.