Expédition du Fouta 1862-1881

Combat de Mbirboyan.
Les mauvaises dispositions du Fouta central, les troubles continuels suscités par les chefs de ce pays dans les provinces annexées du Toro et du Damga faisaient, depuis longtemps, pressentir le moment où il faudrait agir contre les Toucouleurs, dont les bravades et les insolences, à l'égard de la colonie, ne faisaient qu'augmenter en raison de l'impunité qu'ils croyaient avoir acquise , considérant d'ailleurs les traités passés entre eux et la France comme des engagements sans valeur.
Encouragés par notre modération et leur éloignement du fleuve, excités par d'anciens et fanatiques partisans d'Al-Hadji, cédant aux insinuations des mécontents, qui trouvaient derrière leurs tata un asile assuré , [presque tous les villages de cette partie du Fouta, dont les Bosséiabé, sous l'électeur Abdoul-Boubakar, forment la principale fraction, s'étaient réunis à ce dernier, se déclarant ouvertement contre nous.
Une partie du Damga fut pillée ; les populations soumises à nos lois furent menacées de destruction, et un chef autrefois désigné par Al-Hadji-Omar comme capable de diriger une guerre sainte contre les Français, Alpha-Amadou-Tierno-Demba , fut élu almamy et mis à la tête du mouvement.

Le gouverneur, M. le capitaine de vaisseau Jauréguiberry, ayant demandé à ce chef une satisfaction des outrages dont nos nationaux avaient été les victimes, et la répression des pillages commis sur nos traitants, un message insolent fut la réponse faite à cette démarche.

Il n'y avait plus à hésiter, une certaine fermentation régnait déjà dans le Toro, et sous peine de voir l'incendie s'étendre rapidement, il fallait avoir recours aux armes.
Le gouverneur résolut donc de monter dans le fleuve avec des forces suffisantes pour obtenir réparation des torts dont on avait à se plaindre.
Les avisos à vapeur le Podor, l’ Archimède, le Grand'Bassam, le Serpent , le Basilic, la Bourrasque et le Crocodile furent chargés de transporter successivement à Saldé, lieu du rendez-vous général, une colonne composée de 300 hommes d'infanterie de marine, commandés par le capitaine Hopfer; 200 tirailleurs sénégalais, sous les ordres du capitaine Ringot; 100 hommes des compagnies de débarquement de la flottille, commandés par M. Ribell, lieutenant de vaisseau; 80 spahis, sous les ordres de M. le capitaine Baussin; 1 batterie d'artillerie de 4 pièces, sous les ordres du capitaine Poète; 25 hommes du génie, sous les ordres du capitaine Lorans ; un détachement du train, commandé par M. Derbesy, et 300 volontaires de Saint-Louis, sous les ordres du capitaine Flize, directeur des affaires indigènes. M. Martin, capitaine d'état-major, remplissait auprès de M. le gouverneur, commandant en chef, les fonctions de chef d'état-major; M. de Négroni, celles d'officier d'ordonnance; l’ambulance était dirigée par M. Crouzet, chirurgien de 2« classe de marine, et M. Chassagnol, écrivain du commissariat de la marine, était chargé du service des vivres.

Le 28 juillet 1862, à 8 heures du matin, la flottille appareillait pour le marigot de Saldé. On savait, depuis quelques jours, que c'était dans les villages de Mbolo, placés à 6 milles environ de l’embouchure du marigot de Saldé, que le nouvel almamy, aidé d'Abdoul-Boubakar, concentrait toutes les forces du Fouta. C'est donc devant ces villages que le débarquement dut s'opérer.
Les Toucouleurs avaient couronné la berge d'embuscades garnies de défenseurs, mais un mouvement tournant, exécuté par l'infanterie débarquée un peu plus bas, dégagea la position, et la mise à terre de la colonne entière s'effectua rapidement. Gomme il était trop tard pour marcher le même jour en avant, on campa auprès des navires, en se contentant de chasser à coups de canon les groupes qui vinrent inquiéter la colonne.
L'ennemi avait choisi pour champ de bataille la plaine de Mbirboyan, qui sépare les villages de Mbolo du marigot de Saldé, et qui a environ 4000 mètres d'étendue. Son armée s'était formée en deux corps, dont l’un devait attaquer nos forces de front, et l'autre les tourner à un moment donné.
L'almamy commandait en personne ce dernier. Une quantité considérable de tirailleurs embusqués dans les herbes et les broussailles étaient en outre répandus çà et là dans la campagne. Les dispositions de marche ayant été prises, en conséquence de ces renseignements, le corps expéditionnaire s'ébranla le 29 juillet 1862 au point du jour, en se dirigeant sur le village de Mbolo-Aly-Sidy situé, par rapport au point de débarquement, à l’extrême droite de la ligne parallèle au marigot que forment les trois villages de Mbolo; il avait à peine marché depuis trois quarts d'heure, que le feu s'engagea à la droite où était déployée une compagnie de tirailleurs, appuyée d'une section d'obusiers. Après une fusillade de quelques instants, l'escadron de spahis fut lancé sur l'ennemi qui l'attendit avec beaucoup de fermeté, mais ne put cependant résister à l’entrain de nos cavaliers et fut poursuivi l'espace de deux kilomètres, laissant plus de 40 cadavres sur la route.

Pendant que cette belle charge avait lieu et que les tirailleurs brûlaient le village de Mbolo-Aly-Sidy, l’almamy, croyant sans doute nos forces suffisamment occupées par sa colonne de gauche, commença son mouvement sur leurs derrières, se plaçant ainsi entre elles et les bâtiments. Aussitôt, ces derniers prirent part au combat, et quelques obus, lancés à propos par le Podor, commandé par le lieutenant de vaisseau Aube, obligèrent l’almamy à se rabattre sur notre flanc gauche. Deux pelotons d'infanterie de marine et les volontaires, appuyés de deux obusiers, furent conduits au-devant de cette nouvelle attaque. Un feu meurtrier engagé à quarante mètres obligea bientôt l’ennemi à battre en retraite. Vivement poursuivis par les volontaires pendant plus d'une demi-heure, et éprouvant encore à grande distance les effets de l’artillerie, les Toucouleurs ne tardèrent pas à être en complète déroute, et le terrain se trouva entièrement dégagé tout autour du champ de bataille.
En même temps qu'avait lieu cette seconde attaque, la compagnie de débarquement brûlait le village de Mbolo-Alcaly.

La colonne ayant pris quelques instants de repos se dirigea alors sur le village de Diaba-Maoundou, capitale de l’almamy, nommé nouvellement. Résignés sans doute à considérer comme définitive une défaite à Mbirboyan, les Toucouleurs n'avaient préparé aucun moyen de défense dans ce grand village, qui fut pris sans coup férir et immédiatement livré aux flammes. Il était abondamment pourvu de vivres et de munitions.
Après avoir campé de 10 heures et demie du matin à 4 heures dû soir, pour laisser passer la forte chaleur du milieu de la journée, la colonne se remit en marche et s'empara d'Oréfondé, capitale des Bosséiabé et ancien séjour d'Al-Hadji-Omar, à l’époque où il était maître du Fouta. Ce village et celui d'Oré-Tète furent immédiatement brûlés.

Le lendemain, les troupes furent ramenées à bord des bâtiments, laissant partout des traces durables de leur passage sur les terres de ces Toucouleurs qui s'étaient considérés jusqu'alors invulnérables chez eux.
Les pertes de l’ennemi furent considérables. D'après les renseignements recueillis sur les lieux, 27 chefs, dont 16 tués, avaient été atteints. On compta plus de 60 cadavres sur le champ de bataille.
De notre côté, nous eûmes 7 blessés, dont un, le maréchal des logis de spahis de Serres, succomba le lendemain. Nous perdîmes également le capitaine Grasland, de l'infanterie de marine, qui avait eu l'occasion de se faire remarquer par sa belle conduite, et deux hommes du même corps, foudroyés par des insolations. L'escadron de spahis, entraîné par le capitaine Baussin, avait mérité, sans contredit, les honneurs de la journée.

La rude leçon que venait de subir le Fouta fut cependant insuffisante, et ses bandes réorganisées vinrent bientôt troubler de nouveau le repos de la colonie.

Combat de Loumbel
Dans le courant du mois de septembre 1862 suivant, une armée de Toucouleurs, sous les ordres de l'almamy Alpha-Amadou-Tierno-Demba, composée des bandes un moment battues et dispersées à Mbirboyan , qu'étaient venus grossir les rebelles du Toro, soulevés contre l'autorité de la France, et les mécontents de la province du Dimar où la fermentation commençait à se manifester, osa s'avancer jusqu'au village de Bokol, situé à peu de distance du comptoir fortifié de Dagana.
Pleins de confiance dans une saison qu'ils savaient mortelle pour les troupes blanches en mouvement, dans leur nombre, qu'ils voyaient augmenté par la révolte du Toro, enfin, dans l'état d'agitation que leurs émissaires développaient chaque jour davantage dans les villages restés fidèles, les chefs de mouvement se promettaient d'avoir facilement raison des résistances que pouvaient leur opposer les derniers partisans de l'influence française.
Il devenait urgent d'arrêter les progrès de la révolte, et de repousser immédiatement une invasion menaçante pour les intérêts de notre commerce, alors sans défense dans cette partie du fleuve voisine de Saint-Louis, et même pour notre influence sur le Oualo et les Maures de la rive droite.

Les troupes furent aussitôt assemblées sur les avisos disponibles, et le gouverneur se porta à leur tête, au-devant de l'almamy; la rencontre eut lieu dans la soirée du 22 septembre 1862, à la suite d'une marche sous un soleil meurtrier. Après une heure d'engagement dans la plaine de Loumbel, l’armée ennemie fut mise dans une déroute complète.
L'almany profita de la nuît pour se soustraire à un plus grand désastre, et échapper à une poursuite que la saison empêchait de prolonger par terre. Il ne s'arrêta découragé qu'à 22 lieues du champ de bataille sur lequel il avait abandonné ses morts, ses blessés, et une partie de ses approvisionnements. Les troupeaux qui avaient été enlevés dans le Dimar furent presque tous repris, et cette province rentra dans la soumission.

Nous avions payé cher ce nouveau succès; plusieurs de nos soldats avaient été victimes des insolations sur le champ de bataille même, et la colonne, rentrée à Saint-Louis, expia, par des fièvres violentes, la gloire qu'on ne peut acquérir pendant l’hivernage, sans compter avec de cruelles maladies bien plus meurtrières que le feu de l’ennemi.
Une flottille , composée de trois bâtiments à vapeur, et portant une petite colonne, poursuivit, dans les marigots de Doué et de Balel, les groupes de fuyards, en essayant de les rejoindre sur tous les points où l’inondation permit de débarquer.
Cette flottille enleva ou détruisit les villages rebelles qu'il fut possible par terre d'approcher; elle canonna ceux qui se trouvaient séparés du fleuve par des plaines inondées.

A Gamadj et à Tioubalel-Counta les ennemis essayèrent vainement de s'opposer au débarquement des troupes ; ils furent mis en fuite, après avoir éprouvé des pertes très sensibles. Malheureusement la baisse des eaux empêcha les bâtiments d'approcher à portée de canon d'Odégui et de Kobilo , où tout débarquement était impossible par suite de la nature marécageuse du terrain.
Malgré ces défaites répétées, l'ennemi ne se découragea pas, et employa le reste de l'hivernage à se préparer pour une nouvelle campagne, énergiquement décidé à entraver notre commerce qui, pour descendre de Bakel, était obligé de passer sous le feu des villages ennemis. Il fut donc résolu qu'une grande expédition, devenue indispensable, irait, aussitôt que la saison le permettrait, châtier les coupables au cœur même des forêts réputées inaccessibles où ils s'étaient retranchés et où ils nous attendaient, disaient-ils, pour détruire à jamais notre influence dans le fleuve.

Expédition du Fouta.

La révolte du Toro était devenue générale. Seuls, quelques villages autour du fort de Podor, restaient encore fidèles ; le Lam-Toro, nommé par le gouverneur, avait été chassé et remplacé par un jeune homme, Samba-Oumané, connu pour ses sentiments hostiles à l'influence française ; Ardo-Isma et Ardo-Ély, chefs des Pouls qui habitent l'île à Morphil et la rive gauche du marigot de Doué, s'étaient immédiatement ralliés à la révolte des Toucouleurs.
Abdoul-Boubakar, électeur des Bosséiabé, jeune fanatique plein d'ardeur, était l'âme de cette ligue à laquelle la tribu maure des Ouled-Eyba était venue ajouter ses contingents dans l'espoir de piller aussi bien ses alliés que l’ennemi lui-même. L'almamy ne conservait qu'un semblant d'autorité parmi tous les chefs qui composaient son conseil, et qui, en réalité, conduisaient la révolte.

Le bruit s'était faussement répandu qu'Al-Hadji-Omar devait quitter le Macina, et se diriger sur le Sénégal, pour en chasser les Français, à la tête de ses vieilles bandes.
Les Maures observaient ce mouvement général, prêts à tomber sur le vaincu^ mais surtout impatients de se voir autorisés à passer sur la rive gauche, objet constant de leur convoitise, d'abord peut-être comme auxiliaires, mais bientôt comme ennemis.
Tant de sang a coulé pour refouler ces hordes meurtrières dans les plaines dont il leur est aujourd'hui défendu de sortir, qu'il eût été désastreux de renoncer, pour l'intérêt du moment, à une politique traditionnelle qui est la base de la sécurité et du développement de la colonie; aucun appel ne fut heureusement fait à leurs contingents de pillards.

La situation était une des plus fâcheuses qu’eùt traversées la colonie. Le commerce au-dessus de Podor se trouvait absolument interrompu; un convoi de bateaux du commerce, descendant de Bakel chargé de produits, était bloqué entre les Ouled-Eyba et les Toucouleurs, au-dessus du village de Gaoul, retenu par la baisse rapide des eaux sur le barrage d'Orénata qu'il n'avait pu dépasser puis venir se mettre en sûreté sous la tour de Saldé;
Il fallait attendre, pour conduire une colonne dans le Fouta, que les terrains qui avaient été couverts par l'inondation fussent suffisamment desséchés et raffermis. Il y avait, d'un autre côté, à craindre que les eaux du fleuve, devenues trop basses, rendissent trop laborieux le passage des chalands destinés à porter les approvisionnements du corps expéditionnaire.

Dés le mois de décembre 1862, le gouverneur, M. le capitaine de vaisseau Jauréguiberry, donna des ordres à tous les chefs de corps afin que chacun d'eux organisât, pour le 8 janvier suivant, tout son personnel disponible, et préparât le matériel nécessaire pour une absence de 45 jours.
Douze cents hommes de toutes armes de la garnison et des troupes d'artillerie et d'infanterie de marine, que la frégate l’Iphigénie venait d'amener à Saint-Louis, composèrent le corps d'expédition. M. le lieutenant-colonel Faron commandait les tirailleurs sénégalais ; les troupes d'infanterie de marine étaient sous les ordres du chef de bataillon de Barolet ; le capitaine d'artillerie Poète commandait son arme ; à la tète de la cavalerie était le capitaine Baussin ; M. Bel, chirurgien de 1ère classe de la marine, dirigeait le service de l'ambulance ; M. le lieutenant d'artillerie Derbesv conduisait le train; le capitaine du génie Lorans, devait, chemin faisant, faire le levé des terrains parcourus par la colonne ; le gouverneur, ayant pour aides de camp le lieutenant de vaisseau Ribell, le capitaine d'élat-major Martin, et le capitaine de spahis de Négroni, prit le commandement supérieur du corps expéditionnaire.

Les contingents de volontaires indigènes de Saint-Louis, du Cayor, la plupart à cheval, et les Poul, nos précieux auxiliaires dans ces sortes d’expéditions, portèrent à plus de 1600 le nombre de bouches à nourrir pendant toute la campagne.
Pour le transport de 140 tonneaux de vivres et de munitions nécessaires à ce petit corps d'armée, il fallut créer une flottille de charge, en s'adressant aux moyens du commerce auquel on loua 18 chalands de 6 à 14 tonneaux ; cette flottille fut complétée à l'aide des ressources de l’arsenal, en chaloupes et en canots légers ; enfin, cinq chalands du commerce furent autorisés à suivre le convoi pour aller à Orénata décharger les bâtiments retenus devant ce barrage. Deux cents hommes composaient le personnel de cette flottille, la plupart laptots détachés des avisos de la station locale, et 60 marins débarqués de la frégate l’Iphigénie devaient lui servir d'escorte et garder les rives du fleuve pendant sa navigation accidentée.
Le gouverneur chargea M. le capitaine de frégate Vallon de l'organisation et du commandement de ce convoi, qui devait se trouver souvent séparé de la colonne, et plaça sous ses ordres le lieutenant de vaisseau Régnault et l'enseigne de vaisseau Bernard, commandant la compagnie de débarquement de l’Iphigénie.
Un chaland spacieux, installé en ambulance, monté par M. O'Neill, chirurgien de marine, devait recevoir les blessés et les hommes gravement malades ; un second chaland portait un four de campagne.

L*expédition quitta Saint-Louis le 12 janvier 1863 pour se rendre, à l'aide des avisos de la station locale, dans le marigot de Doué. Le capitaine d’artillerie Mailhetard, commandant l'arrondissement de Podor, avait reçu l’ordre de se trouver le 14 au village de Guédé, avec les troupes placées sous ses ordres, depuis que la garnison de Podor avait été augmentée.
Les grands navires ne purent remonter au delà de Diaouara, où s'effectua le débarquement. Les canonnières à hélice la Bourrasque, la Couleuvrine, les avisos à roues le Basilic et le Serpent suivirent la colonne jusqu'à Lérabé ; ces deux derniers purent même atteindre le village d'Edy.
En arrivant à Guédé, le corps expéditionnaire fut partagé en 2 colonnes, l’une comprenant 450 hommes de troupes régulières, empruntées aux diverses armes, devait remonter, sous la direction de M. le lieutenant-colonel Faron, la rive droite du marigot de Doué ; l'autre, sous le commandement direct du gouverneur, était destinée à agir sur la rive gauche ; la flottille marchait entre les deux colonnes.
Celte combinaison permettait de visiter tous les villages du Toro, en ôtant à l'ennemi la possibilité de se réfugier sur le côté opposé.
On se mit en marche dans la soirée du 15 janvier 1863. Au début, aucun adversaire ne se montra, tout fuyait devant les colonnes; mais le 16, dans l’après-midi, peu après avoir quitté N'dioum, le colonel Faron fut vivement attaqué dans un ravin entouré de fourrés très épais. Au bout d'une heure de combat, il était maître du passage et l’ennemi avait disparu, mais non sans infliger à cette colonne quelques pertes en tués et en blessés.

Le 17 janvier 1863, la marche fut continuée sur Édy et Touldégal, et, vers six heures et demie du matin, le gouverneur se trouva en présence de l’armée ennemie qui l’attendait dans la ceinture de forêts, connue dans le pays sous le nom de Tata (rempart) de l’almamy, et réputée inexpugnable. Les alliés avaient annoncé leur intention de défendre à outrance le magnifique village de Touldégal, et toutes les mesures étaient prises pour une attaque vigoureuse.
L'action commença immédiatement; à sept heures quarante minutes l’ennemi, complètement battu, fuyait de toutes parts, et les colonnes entraient dans les grands villages d'Édy et de Touldégal où, d'après les marabouts, les blancs ne devaient jamais pouvoir pénétrer.

La journée du 18 fut employée à raser ces deux villages et à pousser des reconnaissances dans les environs. Des forêts impénétrables, des mares d’eau, des obstacles naturels de tout genre ne permettaient plus d'opérer sur la rive droite ; le gouverneur rappela près de lui le colonel Faron, et le capitaine Mailhetard reçut l’ordre de reconduire à Podor les troupes destinées à surveiller les mouvements des Maures pendant l’absence du corps expéditionnaire.
Le Serpent et le Basilic furent chargés de transporter à Saint-Louis les blessés, les malades, les hommes reconnus hors d'état de supporter les fatigues de l’expédition, et le 19 on se mit en marche sur Aéré, dernier village de la frontière du Toro.
La flottille de convoi, réduite à ses moyens de locomotion, devait rejoindre la colonne au village de Médina.

Pour se rendre compte des difficultés qu'avait à vaincre sa navigation, il faut jeter un coup d'œil sur l'aspect que présente, au mois de janvier, le Sénégal dont les eaux baissent jusqu'à la fin d'avril.

Le fleuve, à cette époque de l'année, se compose d'une succession de bassins sans courant sensible, profonds de 2 à 6 mètres, et séparés les uns des autres par des bancs de sable ou de roches qui se croisent d'une rive à l'autre. Ces bancs ne laissent à la navigation qu'un passage étroit et sinueux où le courant reprend une vitesse qui varie de 2 à 6 kilomètres à Theure, et atteint jusqu'à 7 ou 8 kilomètres, comme au barrage de Navadji, au-dessous du village de Bodé. Il fallut les efforts des volontaires de la colonne expéditionnaire elle-même pour faire franchir ce rapide à la flottille. — Soit en montant, soit en descendant, le courant nuit à la marche d'un convoi ; lorsqu'on le refoule , il lance avec force les chalands contre le banc où ils s'échouent, ou contre la berge escarpée où ils s'écrasent les flancs ; il s'oppose en outre à leur marche. En descendant, son inconvénient dangereux est de porter sur un chaland échoué en tête du convoi tous ceux qui le suivent dans l’étroit canal, et de former sur ce point une agglomération où l’ordre ne se remet qu'avec une peine extrême.
Une attaqua de l’ennemi dans un pareil moment jette parmi les travailleurs désarmés et surpris une confusion facile à comprendre. Il importe cependant moins de courir aux armes que de se tirer d'un passage dominé par des berges de 20 à 30 pieds d'élévation. Par temps calme, à l'aviron, le convoi, dans les meilleures conditions, peut avancer de 3 à 4 kilomètres à l'heure ; dès que le vent est contraire, l'aviron devient impuissant sur de lourdes et imparfaites machines chargées de monde et de colis, il faut avoir recours à la cordelle. On ne peut se traîner à la cordelle que lorsque les berges sont dégagées d'arbustes et que l'eau, à quelques mètres de la rive, est assez profonde pour que le chaland passe facilement sur les troncs d'arbre dont le lit du fleuve est parsemé, autrement l'embarcation se défonce et cet accident oblige à la décharger, à la tirer à terre, et à retarder pour la réparer la marche de tout le convoi.
Dès qu'un obstacle se présente sur une rive, il faut traverser le fleuve et reprendre la cordelle de l'autre côté. Dans certains endroits, la navigation n'a d'autres ressources que les perches de fond à l'aide desquelles on se pousse péniblement pendant plusieurs heures jusqu'au point où il redevient possible de débarquer. Pendant tous ces mouvements, il faut aussi défendre les deux rives contre les embuscades d'ennemis isolés qui ne se découvrent que pour tirailler sans danger sur l’arrière- garde.

Le gouverneur parcourut, sans se presser, sans éprouver de résistance, et en détruisant sur son passage les centres de population dont on avait à se plaindre, les provinces du Lao et des Irlabés ; à peu près chaque soir, jusqu'à l'ancien champ de bataille de Mbirboyan, le camp était dressé sur la rive du marigot, où s'opérait la jonction avec la flottille qui ravitaillait la colonne et recevait les malades et les hommes incapables de continuer la route à pied.

De Mbirboyan à Matam, la colonne traversa les provinces des Ébiabé, des Bosséiabé, en un mot le Fouta central tout entier, en continuant à marquer son passage de manière à en imprimer profondément le souvenir chez ses orgueilleux adversaires dispersés devant elle.
Pendant cette marche, quelques individus, se prétendant envoyés parles chefs, vinrent demander quelles seraient les conditions de la paix ? Le gouverneur leur répondit : « Je n'exigerai ni concession de territoire, ni redevance permanente, ni contribution de guerre ; je veux tout simplement un traité sincère établissant de bonnes relations d'amitié, protégeant le commerce et garantissant à tous, Français ou indigènes, une sécurité loyale et complète. » Ces propositions modérées ne purent engager aucun personnage jouissant réellement de quelque autorité à se montrer lui-même pour entrer en négociation. Un traité avec le Fouta ne pouvait être considéré comme valable que signé, non par l’almamy seul, au nom de qui on se présentait, mais par tous les chefs électeurs.

Le corps expéditionnaire pénétra le 29 janvier 1863 dans le Damgapar le village de Bokidiabé et, le 31 , il arriva à Matam, où il ne tarda pas à être rejoint par la petite colonne de M. le chef de bataillon de Pineau, commandant de l’arrondissement de Bakel, à qui ce rendez-vous avait été assigné par le gouverneur.
Le convoi de chalands ne put atteindre Matam que le 2 février 1863, époque extrême convenue pour son arrivée, qu'avaient retardée quelques causes particulières.
Le gouverneur avait jugé nécessaire, en se séparant pour plusieurs jours de la flottille à Mbirboyan, d'augmenter son escorte de marins d'un peloton de 80 hommes d'infanterie de marine.
L'événement justifia cette précaution. Il était naturel que l'ennemi, se dérobant devant la colonne, songeât à se reformer derrière elle pour essayer de combattre un adversaire beaucoup plus faible.
La plus grande modération avait été recommandée au commandant de la flottille ; son devoir était d'arriver aune époque fixée, afin de renouveler les vivres et les munitions du corps expéditionnaire, sans permettre sur sa route aucun acte hostile propre à attirer des représailles, ou à retarder la marche des chalands.
Malgré toute la prudence que lui imposaient les circonstances, il lui devenait impossible, le 28 janvier, de laisser impunies trois agressions successives devant les villages bosséiabé de Thiaski, Ndiafan et Sentch-ou-Bou-Maka dépendant d'Oréfondé; un capitaine de rivière venait d'être blessé sans provocation pendant la halte du dîner devant Thiaski; les marins de l’avant-garde avaient été accueillis à coups de fusil à l'approche de Ndiafan, et la flottille commençait à peine à atteindre le dernier village que l’arrière-garde était assaillie à son tour.
Le commandant Vallon fit masser le convoi, et donna Tordre de débarquer et de riposter sur les deux rives; quittant leurs avirons avec joie, les laptots s'élancèrent sur leurs agresseurs qui furent bientôt repoussés dans la plaine, abandonnant sept morts sur le terrain ; le feu fut aussitôt mis à leurs villages. Cet acte produisît l'effet qui en était attendu, en prouvant que la flottille était en état de se défendre contre un ennemi nombreux, et les Toucouleurs n'osèrent plus l'observer que de loin sans l'inquiéter sérieusement jusqu'à Matam.

Le convoi marchand, retenu à Orénata, avait été ravitaillé chemin faisant, et deux chalands, trop lourds pour s'avancer au delà, avaient été laissés sous bonne garde à ce mouillage, choisi avec discernement par les laptots qui s'y défendaient avec succès depuis près de deux mois.

M. de Pineau ayant annoncé au gouverneur qu'Al-Hadji-Omar n'avait pas quitté le Macina et ne manifestait plus l’intention de se diriger sur le Sénégal, il devenait inutile de pousser l'expédition au delà de Matam .
Les troupes commençaient d'ailleurs à être fatiguées; le nombre des malades grossissait, et l’on était instruit que les Toucouleurs d'Abdoul-Boubakar, réunis aux Ouled-Eyba, tribu maure qui ne reconnaît aucune autorité, voulaient profiter de l’affaiblissement de nos soldats pour essayer de les combattre; ils se vantaient d'ailleurs d'avoir laissé au climat le soin de leur enlever la première ardeur pour en triompher plus facilement pendant le retour.
Le gouverneur se décida à revenir sur ses pas en parcourant cette fois les villages des bords du fleuve; et le 4 février 1863, après avoir renforcé la colonne de M. de Pineau, par suite, la garnison de Bakel, d'un peloton d'infanterie de marine, il prit la route de Gaoul, capitale du Damga.

Plusieurs villages furent détruits le long du fleuve, mais l'ennemi ne voulait pas encore se montrer.
Le 7, la colonne expéditionnaire venait de quitter Gaoul, et de s'engager dans un bois qui sépare ce village des plaines inondées pendant l'hivernage, quand, au point du jour, elle fut vivement attaquée sur les deux flancs et par derrière.
L'ennemi, employant une tactique habile, avait, sans se découvrir, laissé passer la tête de la colonne; mais l’arrière-garde, où se trouvaient les volontaires indigènes et le troupeau, couverte seulement par le peloton d'infanterie de marine du lieutenant Masclary, fut bientôt enveloppée; il en résulta une mêlée confuse où Toucouleurs et auxiliaires ne parvenaient plus à se reconnaître au milieu des bonds et des mugissements de plusieurs centaines de bœufs. Les tirailleurs ayant repoussé l'attaque sur les flancs de la colonne, celle-ci se dégagea sans trop de difficultés, et gagna une plaine voisine d'où le bois fut balayé à coups de canon; le bataillon du 4ème régiment de marine, commandant de Barolet, fut ensuite lancé contre les Toucouleurs, qu'il chassa devant lui en leur faisant éprouver des pertes considérables ; il ramena du bois quelques traînards auxiliaires, chargés du butin de la campagne, qui n'avaient trouvé, dans le premier moment, d'autres ressources que de se disperser dans l’obscurité au milieu des ennemis. Le lieutenant Masclary et la poignée d'hommes qui l'environnaient au moment de l’attaque, avaient glorieusement payé de leur vie une héroïque résistance au milieu d'un cercle d'ennemis à travers lequel ils n'avaient pu se frayer un passage.
Les Ouled-Eyba s'étaient montrés parmi les agresseurs.
Après trois heures de combat, de poursuites, dans lesquelles la cavalerie s'empara de plusieurs prisonniers, ou d'attente sur le champ de bataille, assuré de la défaite de l'ennemi, le gouverneur se rendit au village de Rindiao (rive gauche), où la flottille qui n'avait pas été attaquée arriva quelques heures plus tard.

Le lendemain, quelques centaines de Toucouleurs se montrèrent dans la plaine ; le gouverneur, laissant le camp à la garde du commandant de la flottille, se porta au-devant d'eux et les poursuivit jusqu'à une grande distance où ils ne tardèrent pas à disparaître. A dater de ce jour l’ennemi ne se montra plus que rarement au corps d'expédition principal et par groupes isolés, ou pour venir la nuit tirer quelques coups de fusil sur les grand'gardes, en essayant de provoquer la fuite du troupeau.

La journée du 9 février 1863 fut employée à détruire, en les traversant, les villages qu'avait déjà en partie incendiés la flottille dix jours auparavant, et le camp fut porté à Diourbiouol d'où la colonne, laissant le fleuve à droite^ devait marcher directement sur l'ancien bivouac de Galaga.

Le nombre de blessés et surtout de malades devenait embarrassant pour la flottille dont il retardait les évolutions; il était également nécessaire de prévenir la colonie de l'époque précise du retour du corps expéditionnaire à Diaouara, où devaient l'attendre les avisos de la station locale ; ces motifs décidèrent le gouverneur à détacher en avant trois chalands armés plus légèrement et porteurs des blessés et des malades les plus affaiblis.
Le lieutenant de vaisseau Régnault, ayant sous ses ordres M. Lelarge, chirurgien de 3ème classe de la frégate l’Iphigénie, fut choisi pour conduire ce convoi à Podor, en suivant le grand bras du fleuve.
Jusqu'à Saldé, cet officier ne rencontra pas d'obstacles à sa marche. Mais le 11 février, arrêté par le passage peu profond de Fondé-Éliman, il se vit assailli, près du village de Tioubalel, des deux rives du fleuve, par des forces considérables.
L'ennemi qui se croyait assuré de sa capture, entrant dans le lit du fleuve, venait insulter le petit nombre des défenseurs du convoi, éloignés de tout secours, et l'eût facilement égorgé sans l’hésitation d'un chef plus prudent qui craignait pour ses villages voisins du fort de Saldé. Tout échange de coups de fusil dans un pareil moment, entraînait la perte des chalands, et le massacre de leur équipage ; il fallait essayer au contraire de gagner du temps et de prévenir le gouverneur; quelques laptots se dévouèrent pendant la nuit, et l’un d'eux fut assez heureux pour échapper à l’étroite surveillance de l’ennemi, et apporter au camp de Gouy, devant Pété, la nouvelle de cette fâcheuse situation.
Le lieutenant-colonel Faron fut aussitôt chargé de traverser l’île à Morphil, avec une colonne légère, et d'aller dégager M. Régnault. Cette ordre fut aussi promptement que rigoureusement exécuté le lendemain; quoique laissé libre de ne pas continuer sa route s'il la jugeait impraticable, doué d'une rare énergie, le lieutenant de vaisseau Régnault, ayant obtenu du colonel un renfort composé de quelques tirailleurs d'élite, poursuivit sa mission périlleuse, entre les berges du fleuve couronnées d'ennemis, desquels il n'avait plus cette fois rien à craindre; les Toucouleurs, l'accompagnant à coups de fusil jusqu'au delà du village d'Aleibé, criblèrent de balles les chalands et les objets de tout genre dont leurs braves défenseurs, parmi lesquels plusieurs furent atteints,s'étaient fait un abri provisoire.
Au retour du colonel Faron, la colonne se remit en marche et, après quelques alertes de nuit, toujours causées par le désir qu'avait l'ennemi de reprendre les troupeaux enlevés dans ses villages, elle atteignit, le 20 février, Diaouara où l'attendaient ses moyens de transport.

Le retour de la flottille ne fut pas aussi paisible.
Le nombre des blessées et des malades qu'elle transportait s'était peu à peu élevé à cent quarante ; un tiers des marins de l’Iphigénie, exténués de faligue ou en proie aux fièvres, ne pouvait plus rendre aucun service; des étapes de 12 à 14 heures par jour, et quelquefois de plus de 30 kilomètres en comptant les sinuosités du fleuve, imposaient à cette faible escorte des marches extrêmement pénibles le long des berges sur lesquelles il n'existe aucun sentier, et en présence d'un ennemi toujours prêt à tirailler sur les retardataires.

Le 17 février 1863, à sept heures du matin, trois chalands d'arrière-garde s'échouèrent au passage d’Aram où l'eau avait baissé, depuis un mois, de 40 à 50 centimètres. L'ennemi en profita pour attaquer les travailleurs qui, sans armes, n'eurent d'autre ressource au premier coup de feu, que de plonger pour s'abriter derrière leurs chalands. C'était ces mêmes Poul et Toucouleurs, irrités de la perte de leurs troupeaux et de la destruction de leurs villages, qui avaient assailli, de l'autre côté de l’île à Morphil , les chalands de M. Régnault, et dont les cris et les imprécations poursuivaient le convoi depuis son départ d'Aram, que la colonne venait d'incendier après y avoir passé la nuit.
Le commandant de la flottille arrêta l’avant-garde qu^il ramena en arrière contre la berge à pic qui lui servit d'abri momentané, et fit sauter à terre tous les hommes armés, même les malades capables de tenir un fusil; l'ennemi était assez nombreux pour envelopper l'espace occupé par toute la flottille, mais il n'était heureusement maître que de la rive droite du fleuve.
Cachés par un rideau peu épais de hautes herbes, les assaillants trahissaient cependant de l'indécision par des cris de mutuel encouragement, et, sans oser avancer davantage tiraient précipitamment et au hasard du côté du fleuve. Ils se montraient à découvert devant le groupe de chalands d'abord attaqué et dégarni de défenseurs.
L'escorte d'arrière-garde avait dû se replier promptement pour ne pas être enveloppée, et quelques moments furent nécessaires pour organiser la défense sur une ligne d'une étendue de 500 à 600 mètres. Lorsque tout fut prêt, une décharge générale à travers les herbes, suivie de l'escalade du talus, jeta le désordre au milieu des ennemis, qui s'enfuirent en traînant après eux plusieurs blessés. Quelques coups d'un obusier rayé, mis en batterie sur la berge, dispersèrent des groupes considérables qui, se croyant hors de portée, paraissaient se consulter pour une nouvelle attaque; répandus dans les bois, ils n'osèrent se remontrer que de loin en loin.
La marche du convoi fut reprise très lentement, et, jusqu'au camp d'Aéré, tous les hommes valides tiraillèrent le long des fourrés ou devant les villages d'où partaient des coups de fusil, mais que l’obligation de rejoindre la colonne le soir même pour prendre des vivres empêcha de détruire.

Le gouverneur, ayant reconnu l'affaiblissement du personnel de la flottille et l'insuffisance de ses moyens de défense contre une nouvelle attaque, lui donna, en quittant Aéré, une escorte de deux pelotons d'infanterie, et sa navigation s'acheva, sans trop de difficultés jusqu'à Diaouara où le commandant, arrivant quelques heures après le gouverneur, trouva des ordres pour embarquer les dernières troupes sur les avisos laissés à sa disposition, et pour ramener à Saint-Louis le reste des forces expéditionnaires, qui étaient toutes rentrées dans cette ville le 23 février, après quarante et un jours d'absence.

Tous les corps appelés à faire partie de cette longue expédition avaient déployé, au plus haut degré, les qualités qui leur sont particulières; l'important service des nombreux malades et des blessés, dirigé par MM. les chirurgiens de marine Bel et O'Neil, avait été conduit avec un dévouement qui sauva bien des existences. On comptait 20 tués devant l’ennemi, dont un officier et 13 volontaires; 55 blessés parmi lesquels 16 volontaires et 9 laptots; enfin 21 hommes étaient morts de fatigue ou de maladies diverses, et 46 entrèrent successivement à l’hôpibal dans les premiers jours du retour à Saint-Louis.

Les résultats politiques de cette campagne ne pouvaient pas se faire longtemps attendre. Les habitants du Toro comptèrent leurs pertes qui étaient énormes; ils pesèrent les avantages et les maux de la guerre, s'avouèrent entre eux leur impuissance, et reconnaissant la modération des exigences, auxquelles, après la victoire, on n'avait rien ajouté, demandèrent à traiter de la paix, pour sauver de la destruction les villages et les récoltes qu'on avait volontairement épargnés, afin de ne pas entièrement ruiner et affamer un pays français par annexion.

Après plusieurs conférences préliminaires entamées par le capitaine Mailhetard, commandant de Podor et conduites plus tard par le lieutenant de vaisseau Régnault, devenu directeur des affaires indigènes, et délégué par le gouverneur, un traité fut conclu et signé à Moctar-Salam, un mois environ après la rentrée à Saint-Louis des dernières forces de l'expédition du Fouta.

Expédition des Bosséyabé 1864

Dans les derniers jours de juin 1864, huit chalands du commerce s'étaient volontairement échoués, pleins de mil et de marchandises, en face du village de Daoualel, à plus de cent trente lieues de Saint-Louis et à six lieues au-dessus de Saldé. Un chef maure, Ould-Eyba, allié des Toucouleurs bosséyabé, chez lesquels il est très influent, vint sur la rive gauche, à la tête de 200 à 300 brigands , attaquer les embarcations qui, n'ayant qu'un petit nombre de fusils, purent néanmoins résister plusieurs heures.

Les chalands ayant consommé toutes leurs munitions, deux de leurs hommes ayant été tués, plusieurs blessés et quatre patrons ayant eu la sottise d'aller se livrer eux-mêmes au chef de la bande de voleurs, le reste des équipages dut se sauver abandonnant tout, et mettant le feu à deux chalands.

Les gens de Daoualel, qui vendaient leur mil à nos traitants, étaient évidemment d'accord avec Ould-Eyba, comme tous les Toucouleurs de ces environs, et laissèrent voler et tuer nos gens sur leur terrain sans rien faire pour s'y opposer.

Aussitôt après l'affaire, Ould-Eyba partagea le butin, se rendit chez son ami Abdoul-Boubakar, chef des Bosséyabé, puis il alla se retirer dans son camp, qui était confondu avec le village bosséyabé de Kaédi (rive droite).

Certes, c'était une grande imprudence de la part des traitants d'aller aux basses eaux se mettre, eux et leurs marchandises, à la merci de populations chez lesquelles le brigandage marchait encore tête levée et où l'autorité n'existait pas ou n'était puissante que pour le mal ; et cela sans même être assez nombreux et assez bien armés pour se défendre.
Néanmoins, il était nécessaire de réprimer par une punition sévère un brigandage commis ainsi en pleine paix et sans la moindre provocation. De plus, ces mêmes Bosséyabé avaient tiré au mois de mars 1864 des coups de fusil sur une embarcation de l’État, montée par un officier de marine, qui faisait le nivellement du fleuve et avaient ainsi empêché cette importante opération.

Aussi, le 15 juillet 1864, la flottille, sous les ordres de M. Aube, capitaine de frégate, partait de Saint-Louis, portant une colonne de 806 hommes commandés par le colonel Despallières, pour tirer vengeance de ces méfaits.

Cette colonne était composée comme suit :
200 hommes d'infanterie de marine, commandés par M. le capitaine Bouët;

300 tirailleurs sénégalais, commandés par le lieutenant-colonel de Barolet; i00 artilleurs, commandant M. Alexandre;
30 hommes du génie , commandant M. Maritz ;
130 hommes des compagnies de débarquement, commandés par le lieutenant de vaisseau Nègre.

Le 18 juillet 1864, à 11 heures du soir, le capitaine Bouêt débarquait près de Daoualel avec 200 hommes, surprenait les habitants, en tuait 40 à la baïonnette et brûlait le village. Le 19, à 5 heures du matin, le reste de la colonne, sous les ordres du colonel Despalîères, enveloppait l’immense village de Kaédi (rive droite).
S'étant aperçu de notre approche, la population prit la fuite sans essayer de se défendre, Ould-Eyba en tête avec ses maures. La flottille lui envoya des paquets de mitraille ; 200 tentes de maures et 2000 cases de Toucouleurs furent livrées aux flammes avec tout ce qu'elles contenaient, approvisionnements , ustensiles et marchandises , les habitants n'ayant rien pu sauver. Beaucoup de femmes, d'enfants et de vieillards furent pris et relâchés.
Dans la même journée et le lendemain, tous les villages bosséyabé des bords du fleuve furent aussi brûlés avec tout ce qu'ils contenaient, principalement ceux de la rive droite. On tua ce jour-là une quarantaine d'hommes aux Bosséyabé.
Les populations demandèrent grâce et la paix au moment où la flottille quittait les lieux pour revenir à Saint-Louis. On leur indiqua les conditions auxquelles elles obtiendraient cette paix.
Le 24 juillet 1864, la colonne était rentrée à Saint-Louis, l’état sanitaire était satisfaisant.

La tribu orgueilleuse et fanatique des Bosséyabé est l'âme de ce Fouta qui, depuis un siècle, dévaste toute l’Afrique occidentale par ses guerres saintes ; c'est elle qui était toute-puissante dans le Fouta avant son démembrement, et c'était à son profit que se prélevait, il y a douze ans encore, à Saldé, des droits énormes de passage sur nos bâtiments du commerce, jusqu'à 1500 francs par navire.

On conçoit qu’ils aient de la peine à se contenter du rôle modeste que nous leur imposons, c’est-à-dire d’ être simplement maîtres et indépendants chez eux, sans faire payer de tribut à personne. Aussi, cherchent-ils par tous les moyens possibles à nous faire du tort.
Ce sont eux qui, en nommant un almany hostile, nous firent faire la guerre par tout le Fouta. Ils avaient cherché quelques temps avant cette expédition à arriver au même but, excités à cela par le plus remuant d’ entre eux, Abdoul-Boubakar, d’ accord avec Ould-Eyba, le maure, et Samba-Oumané du Toro ; l’almany Mohammadou, notre allié, était débordé par eux, et, 15 jours après, il se rendit en personne à Saldé pour annoncer au gouverneur, lors de son passage devant ce poste, que les Bosséyabé , à la suite du juste châtiment qui leur fut infligé, avaient fait leur soumission entre ses mains et que les perturbateurs Abdoul-Boubakar, Mohammed-Oul-Eyba et Samba-Oumané avaient dû quitter le pays.

Dans ce coup de main, nous ne perdîmes personne par le feu de l’ ennemi ; deux hommes seulement mourûrent, l’un de maladie, l’autre par accident.

Une fois de plus, les populations du Sénégal virent, par le succès de cette entreprise, qu’on n’assassine et ne volent pas impunément des sujets français.

Abdoul-Boubakar, chef des Bosséyabé du Fouta sénégalais, depuis longtemps déjà suscitait des embarras au gouvernement de la colonie par son humeur turbulente et par ses intrigues. Poussé par les Toucouleurs de Ségou et du Kaarta, avec lesquelles il entretenait des relations suivies, il rêvait de reconstituer sous son autorité l’ancien État du Fouta que le gouverneur Faidherbe avait réduit à l’impuissance en en séparant le Toro et le Damga.
Ses agissements étaient devenus tels qu'en 1877 une colonne d'observation avait été envoyée dans le Fouta pour y mettre fin. Cette campagne s'était dénouée pacifiquement par le traité de Galoya (octobre 1877), par lequel les différents chefs du Fouta reconnaissaient les traités antérieurs et s'engageaient à les respecter. Cependant, deux ans plus tard, Abdoul-Boubakar entrait en lutte avec Ahmadou-Abdoul, almamy du Toro, notre allié. Enfin, dans les derniers mois de 1880, il faisait savoir qu'il s'opposait par la force à rétablissement de la ligne télégraphique de Saldé à Matam qui devait traverser le territoire du Bosséa.

Au commencement de février 1881, une colonne expéditionnaire sous les ordres du commandant Pons, de l’infanterie de marine, fut envoyée de Saint-Louis pour protéger les travailleurs. Elle se composait de deux compagnies d'infanterie de marine, d'une compagnie de tirailleurs sénégalais, d'un escadron de spahis, d'une section d'artillerie et d'un section de disciplinaires.

Combat de Ndourdabian, 8 mars 1881.

Depuis un mois, cette colonne parcourait le pays sans rencontrer l'ennemi, lorsque le 8 mars, un convoi de ravitaillement, escorté par l'escadron de spahis et par 90 soldats d'infanterie, fut subitement attaqué, près de N'Dourbadian, par les partisans d’Ahdoul-Boubakar.

Les Toucouleurs s'étaient formés en trois colonnes épaisses et cherchaient à envelopper le convoi au passage d'un marigot. Pendant que les disciplinaires et les soldats d'infanterie de marine arrêtaient les colonnes de gauche et du centre par un feu bien dirigé, l'escadron de spahis chargea à fond celle de droite. Il fut accueilli par une décharge à bout portant. Trois officiers, MM. Badenhuyer, capitaine commandant l'escadron, le sous-lieutenant Fonet, le vétérinaire Aouchane, un sous-officier et huit hommes furent tués ; six hommes furent blessés. Malgré ces pertes considérables, les spahis et les troupes d'infanterie continuèrent bravement la lutte contre les Toucouleurs; au bout d'une demi-heure de combat, ceux-ci lâchèrent pied, entraînant Abdoul-Boubakar dans leur fuite et laissant sur le terrain une centaine de cadavres.
Après ce combat, le commandant Pons détruisit les villages qui avaient ouvertement participé à la rébellion d'Abdoul-Boubakar. Enfin, au mois de mai, les Toucouleurs, réduits à l'impuissance, demandèrent et obtinrent la paix. Abdoul-Boubakar signa un traité par lequel lui et les autres chefs du Bosséa s'engageaient à «respecter religieusement» les traités antérieurs, à laisser construire la ligne télégraphique et à en empêcher la destruction.

  • Campagnes de pénétration vers le Niger 1880-1885