Expédition contre les Sérère 1862-1864.

Dans les premiers mois de 1862, les habitants du village de Thiès vinrent renouveler chez les populations voisines de la Tanma, les vols de troupeaux qu'ils avaient tant de fois commis avant que le gouverneur n'accordât au Diander la protection de la France.

A la suite d'une de ces razzias, M. le commandant de Mbidjem envoya son interprète au nommé Dalliton, chef de Thiès, pour l'engager à venir au poste s'expliquer sur ces faits. Plusieurs indigènes du Diander accompagnèrent l'interprète et reconnurent les bœufs qui leur avaient été enlevés dans le troupeau même de Dalliton qui, dès lors, refusa d'obtempérer à l'invitation qui lui était faite. L'interprète voulut employer la force, un conflit s'ensuivit dans lequel nous eûmes 2 hommes et 2 chevaux tués et plusieurs blessés. Indépendamment de ce fait, 3 hommes de Bargny avaient été assassinés peu de jours auparavant sur le territoire de Thiès.

Il était donc indispensable d'infliger aux coupables un châtiment exemplaire, afin de prouver aux populations nouvellement soumises à notre autorité que le règne de la violence était passé, et que si nous exigions d'elles certaines obligations, telle que le paiement de l'impôt , elles pouvaient compter sur notre protection.

Le commandant supérieur de Gorée reçut donc l’ordre de se mettre à la tête des troupes de la garnison, composées comme suit :
80 hommes de l’infanterie de marine, capitaine Chevrel ;
41 tirailleurs sénégalais, sous-lieutenant Gottsmann;
94 hommes de la compagnie disciplinaire, capitaine Bolot;
11 cavaliers spahis, maréchal des logis Hecquet.
1 obusier, 1 chevalet de fusées ;
35 hommes, canonniers et conducteurs ;
50 volontaires commandés par M. Bagay, sous-lieutenant d'artillerie de marine.
M. le capitaine de spahis de Négroni remplissait les fonctions de chef d'état-major de la colonne, et M. Gillet, chirurgien, celles de chef d'ambulance.

Les Sérère, en général, ont pour habitude, lorsqu'ils redoutent quelque attaque, de se réfugier dans les bois fourrés qui entourent leurs cultures, avec leurs troupeaux et leurs biens; ils ne laissent à la merci de leurs ennemis que de mauvaises cases en paille qu'ils peuvent rétablir en peu de jours.

Notre entreprise ne pouvait donc avoir d'effet utile que tout autant que nous surprendrions les coupables. Pour y parvenir, le commandant de Gorée fit répandre, en partant de Rufisque, la fausse nouvelle d'une expédition dans le Cayor; il dirigea des vivres sur le poste de Mbidjem, qui est du côté de Gorée notre base d'opération naturelle contre ce pays, et des guides furent retenus dans tous les villages situés sur la route directe de Rufisque à Mbidjem et à Taïba.
Partie le 10 mai 1862, à 5 heures du matin de Rufisque, la colonne arriva à 9 heures à Ngorom et le lendemain elle marcha sur Golam pour y passer la journée du 11, et se préparer à la marche pénible du lendemain.

La position de Golam, sans trop nous éloigner de la route de Thiès, nous plaçait sur une des routes naturelles du Cayor ; c'est là ce qui masqua nos projets et fut la principale cause du succès de notre opération.

Le 11 mai 1862, à 11 heures du soir, on se dirigea à tire-d'aile de Golam à Thiès en passant par Sognofil, Pout, Oundia-Khat.
La surprise qu'occasionna notre marche aux habitants de ces villages, qui nous croyaient en plein mouvement sur le Cayor, et les rapports des espions échelonnés jusqu'à Thiès, nous donnèrent l'assurance que nos projets étaient complètement ignorés.
Après six heures d'une marche de nuit exécutée à travers un pays des plus difficiles, nous arrivâmes à l'entrée du plateau déboisé au fond duquel le village de Thiès est situé.
Dès que la tête de la colonne commença à déboucher, elle fut reconnue par quelques bergers qui donnèrent l'alarme. Il n'y avait pas un moment à perdre pour tirer parti de nos avantages.
C'est alors que le commandant supérieur do Gorée lança sous les ordres du capitaine de Négroni les 10 spahis de son escorte, pour tourner le village, et l'attaqua directement avec la section de tirailleurs sénégalais. Mais avant que ces troupes eussent franchi les six cents mètres qui les séparaient des cases, la plus grande partie des habitants s'était jetée dans les bois, abandonnant tous leurs biens.
Quelques-uns furent sabrés par nos spahis ou fusillés par nos tirailleurs. Nous eûmes 2 hommes blessés; le village de Thiès fut immédiatement livré aux flammes et les troupeaux cernés par le reste de la colonne.
Après un repos d'une demi-heure accordé aux troupes, le commandant de Gorée profita du trouble et du désordre de l’ennemi pour faire franchir au troupeau les collines boisées qui séparent Thiès de la Tanma (12 kilomètres). On le plaça sous la conduite des volontaires, dans un grand carré. La première face, formée par l’infanterie de marine, devait ouvrir la marche et repousser l’ennemi que l’on s'attendait à voir nous disputer la route; sur la droite et sur la gauche, la 3ème compagnie disciplinaire était disposée en flanqueurs; les tirailleurs sénégalais formaient l’arrière-garde ou la quatrième face du carré.

A peine étions-nous engagés dans le bois que l’arrière-garde fut vigoureusement attaquée; elle fit bonne contenance. Plusieurs tirailleurs furent blessés ainsi que le cheval du sous-lieutenant Gottsmann qui les commandait; M. le chirurgien de 2ème classe Gillet reçut une balle au pied droit en relevant un blessé.
L'ennemi fit aussi plusieurs tentatives sur notre droite et notre gauche, pour forcer la ligne des flanqueurs et semer l'épouvante dans le troupeau qu'il nous eût été impossible dès lors de pouvoir contenir; mais partout, malgré la difficulté des lieux, il fut énergiquement repoussé.
Voyant que le fruit de notre razzia allait lui échapper, l'ennemi faisait ses principaux efforts sur notre arrière-garde et notre flanc droit qu'il serrait de très près. Le commandant de la colonne se porta de ce côté avec une section d'infanterie prise à l’avant-garde et les spahis démontés dont les chevaux aidaient au transport des blessés.
Nous continuâmes ainsi notre route pendant deux heures, franchissant des collines couvertes de broussailles épaisses, à travers lesquelles nos soldats pouvaient à peine se faire jour, et en conservant intact le troupeau qui, par la ténacité avec laquelle l’ennemi nous le disputait, semblait être désigné comme le prix de la victoire.
Nous arrivâmes enfin à un passage plus découvert, un monticule s'élevait au milieu de l'étroite vallée dans laquelle nous étions engagés. Il fut occupé par une demi-section d'infanterie et par notre obusier de montagne. Le commandant de la colonne donna Tordre à l'arrière-garde de précipiter la retraite pour attirer l'ennemi ; dès qu'il parut dans la clairière, il fut accueilli par trois coups à mitraille et par une vive fusillade qui éclaircit sensiblement ses rangs. L'arrière-garde l'assaillit aussitôt et le rejeta dans le fourré; cette action vigoureusement exécutée fut décisive.

Dès ce moment notre marche ne fut plus inquiétée jusqu'au village de Sognofil, où nous arrivâmes le 12 mai 1862, à 10 heures 1/2, après avoir parcouru en douze heures quarante kilomètres à travers des fourrés épais, escortant, sur seize kilomètres, un troupeau de 200 bœufs que nous disputa énergiquement l'ennemi. Cette opération nous coûta un soldat disciplinaire tué, M. le chirurgien de 2ème classe Gillet et 12 soldats blessés, 4 contusionnés. L'ennemi fit des pertes sensibles qu'il nous fut impossible d'évaluer exactement à cause de la nature des lieux où nous avions combattu.

La rude leçon infligée à Thiès fut accueillie avec joie dans toutes les contrées environnantes. Ce village était un asile de pillards qui y réunissaient les troupeaux enlevés à leurs voisins et où personne n'osait tenter de les reprendre. Aussi le succès de notre entreprise produisit-il la plus heureuse impression sur l'esprit des populations.
Le village de Pont était à peu près dans les mêmes conditions, c'était aussi un lieu de rassem-blement pour les brigands qui pillaient sans cesse les caravanes venant du Baol. Il fut décidé qu'on installerait un blockaus fortifié sur ce point qui, d'ailleurs, était dans les limites de notre territoire.
C'était en outre placer, à une étape en avant de Rufisque, un centre de ravitaillement pour nos opérations dans ces pays abrupts.

Une petite colonne forte de 200 hommes et deux obusiers fut chargée de cette mission en 1863. Elle était commandée par le chef de bataillon Laprade, commandant supérieur de Corée; 800 volontaires convoqués par lui s'étaient aussitôt joints à la colonne pour aider au transport du blockhaus.

En quelques jours, on construisit l'enceinte palissadée , on défricha remplacement du fort ; enfin la belle route qui s'étend aujourd'hui jusqu'à Thiès fut commencée et poussée à six kilomètres dans l’est.
Les 13 hommes qui composaient la garnison de Pout, s'abandonnant à une confiance aveugle, se laissèrent surprendre et massacrer le 13 juillet 1863.

Pour expliquer une tentative aussi hardie, il est nécessaire de se rappeler que les Diobas vivaient alors dans des fourrés où personne n'osait pénétrer. Habitués au pillage des caravanes, ils ne reculèrent pas devant un coup de main conçu secrètement et facile à exécuter, grâce à la configuration toute spéciale du pays.
Ils s'appuyèrent d'ailleurs, dans cette tentative, sur le concours des villages de Santia-Saffet, Palal et Ouandiakhat, situés sur notre territoire et qu'ils traversèrent pour arriver jusqu'à Pout.

Le 12 juillet 1863, au soir, leur projet était arrêté, et le 13, au matin, grâce à la trahison des quatre villages que nous venons de nommer, ils arrivèrent jusqu'à la lisière des bois qui enveloppent la clairière du poste sans éveiller l'attention de la garnison. N'ayant que 150 mètres à parcourir pour arriver sur les palissades, ils franchirent cet espace avant que l'alerte pût être donnée et nos soldats, au nombre de huit, qui se trouvaient dans la baraque, furent impitoyablement égorgés sans défense.
Le sergent Collin, chef du poste, n'était qu'à une centaine de mètres de l’enceinte; il reçut même quelques coups de fusil. Dans l'impossibilité de reprendre lui-même son poste, il courut à Sognofil ; les habitants de ce village prirent aussitôt les armes et le suivirent à Pout. Ils y trouvèrent tous nos soldats morts, à l'exception d'un seul qui survécut à ses blessures. Le poste était en bon état; mais les vivres, les munitions et les effets des hommes avaient été enlevés.

Dans cette pénible affaire, la trahison des villages Ouandiakhat, Santia-Saffet et Palal avait été flagrante; déjà, d'ailleurs, des soupçons planaient sur l'esprit hostile de leurs habitants qui ne devaient pas tarder à subir un châtiment exemplaire.
Une nouvelle garnison plus forte, commandée par M. le sous-lieutenant Cauvin, du 4ème régiment d'infanterie de marine, et composée de 26 hommes du même régiment, de 2 canonniers et de 10 tirailleurs, fut mise dans ce poste que les Sérère, en- hardis par leurs premiers succès, annonçaient devoir attaquer de nouveau.

En effet, le 30 août 1863, ils vinrent au nombre d'environ 500 hommes se présenter devant le blockhaus, et 150 d'entre eux s'approchèrent et commencèrent l'attaque ; mais tout le monde était sur ses gardes, aussi l'ennemi. fut-il repoussé après une fusillade qui ne dura pas moins de 25 minutes.
Les Sérère-None du Diobas éprouvèrent des pertes assez sérieuses, évaluées à 19 tués et à plus de 20 blessés; de notre côté, un tirailleur et un courrier furent légèrement blessés.
Cette tentative infructueuse leur prouva que leurs efforts sont impuissants contre le moindre de nos postes défendu par une garnison vigilante.

Cependant l'agression du 13 juillet 1863 ne pouvait rester impunie ; il fallait en outre ouvrir une route à travers le défilé de Thiès et mettre un terme aux brigandages commis journellement sur l’immense voie de communication existant entre le Baol et notre comptoir de Rufisque. Le plus sur moyen d'atteindre ce but était de construire à Thiès un poste fortifié.

Le colonel Laprade, chargé de cette mission; partit de Gorée en avril 1864, à la tête d'une colonne composée comme il suit :
Chef d'état-major, capitaine André;
Artillerie, commandant Alexandre;
La compagnie du génie, commandant Marîtz;
Compagnie de débarquement, lieutenant de vaisseau Desprez ;
200 hommes d’infanterie, capitaine Questel;
200 tirailleurs, capitaine Rey;
La compagnie de disciplinaires, capitaine Bolot.

La principale difficulté de ces opérations consistait dans le passage du défilé de Thiès, couvert sur seize kilomètres de longueur, de rochers et de bois épineux à peine pénétrables, qui séparent sur cinq kilomètres le Dîankin du pays des Diobas.

Tous les renseignements qui parvinrent au commandant de la colonne, avant de commencer ses mouvements, indiquaient que c'était ce passage que les Diobas avaient l’intention de nous dispuler.
Il prit alors les dispositions suivantes : ayant réuni à Pout les baraques et blockhaus destinés au poste de Thiès et un approvisionnement de vivres suffisant pour la durée des opérations, le colonel confia au capitaine Bolot la moitié de ses forces (deux compagnies de tirailleurs, la compagnie disciplinaire et un obusier de montagne) ; il donna l’ordre à cet officier de se rendre directement de Dakar à Mbidjem pour y rallier 1500 volontaires du Diander et du Sagnokhor et donner cinq jours de vivres à ses hommes.

Le 26 avril 1864, au matin, le capitaine Bolot partait sans bagages, se dirigeant sur Thiès par Diaye-Bop-ou-Tangor, à travers les montagnes abruptes du Ndiankin, de manière à occuper le 26, à 8 heures du soir, le débouché du défilé. Ces ordres, ponctuellement exécutés, surprirent les indigènes, et le 27, à 4 heures du matin, le colonel Laprade quittait Pout avec le reste de ses forces, un grand convoi de vivres et 1500 volontaires de Dakar, Rufisque et Bargny, portant une partie du baraquement de Thiès.
Il franchit sans coup férir ce passage difficile, où toute résistance était devenue dangereuse pour l’ennemi, puisqu'il aurait eu sur ses derrières le détachement du capitaine Bolot.
La réunion de toute la colonne eut lieu à la sortie du défilé, le 27 avril 1864, à 6 heures du matin. Le colonel Laprade continua sa route sur Thiès et ordonna au capitaine Bolot de se rendre avec son détachement et les volontaires à Pout, pour y prendre le reste du matériel nécessaire à la construction du poste.

Le lendemain 28 avril 1864, tout était réuni à Thiès, et les travaux furent immédiatement entrepris. Grâce à l’aclivité déployée par tous, officiers, sous-officiers, soldats et volontaires, le 29, au soir, ils étaient assez avancés pour permettre de laisser en toute sûreté nos approvisionnements sous la garde d'une centaine d'hommes; et le 30, à 5 heures du matin, nous marchions sur les Diobas qui, consternés autant par la précision et la rapidité de nos mouvements que par la masse de forces dont nous disposions, avaient renoncé à toute résistance sérieuse.
A 7 heures du matin, le colonel Laprade arriva au centre des villages ennemis, il livra ce pays aux volontaires qui eurent quelques engagements; à Bakak, principalement, il fut obligé de les faire soutenir par les tirailleurs sénégalais et un obusier de montagne. Cette résistance promptement surmontée, les dix villages qui avaient participé au massacre de Pout furent détruits et le 1er mai 1864 au soir, la colonne rentrait à Thiès suivie de 3000 volontaires chargés de butin.
Nous perdîmes 6 volontaires, 20 autres furent blessés.

La question militaire était résolue. Le 2 mai 1864, les troupes de Saint-Louis retournaient dans leur garnison; les compagnies du Jura et de l’Archimède rentraient à bord.

Le capitaine Bolot resta chargé du soin de protéger, avec les troupes de la garnison de Gorée, l’achèvement des travaux du poste et le déboisement du défilé de Thiès.

Le 15 mai 1864, tous ces travaux étaient terminés et la garnison de Gorée rentrait dans ses quartiers.
Nous avions, dans cette expédition, détruit les villages coupables de trahison, assuré la sécurité des caravanes par la construction du poste de Thiës, et porté à une étape plus en avant le drapeau de la France.

  • Expéditions contre le Fouta 1862-1881

  • Campagnes de pénétration vers le Niger 1880-1885